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L’altitude comme bourreau

(octobre 1997)

Article publié dans Le Journal du Médecin du 14 octobre 1997

 

Le gouvernement péruvien est à nouveau montré du doigt pour son non-respect des droits de l’homme: en autorisant la mise en service d’une prison à 5.000 mètres d’altitude, il condamne les prisonniers à de graves maladies, voire à la mort.

 

Le Pérou occupe souvent une place peu enviable dans les rapports annuels des organisations de défense des droits de l’homme. Prisonniers d’opinion, tortures et disparitions valent au pays du président Fujimori une piètre réputation dans le respect des libertés fondamentales. Avec la mise en service de la prison de Challapalca, à 5.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, le gouvernement péruvien se défend cette fois de contrevenir aux normes internationales en soulignant que celles-ci ne stipulent rien quant à l’altitude des prisons. Ce raisonnement étroit n’élude pas le problème posé par plusieurs spécialistes de la médecine de montagne: un séjour prolongé à pareille altitude présente de sérieux risques pour la vie d’un être humain.

 

Challapalca est situé dans le département méridional de Puno, près de la frontière avec la Bolivie, au coeur des Andes. Les avis divergent quant à son altitude exacte: 5.000 mètres selon le Gouvernement, 5.200 selon une organisation péruvienne de défense des droits de l’homme, 4.600 mètres selon l’Institut national pénitentiaire (Instituto Nacional Penitenciaro, INPE). L’endroit est difficile d’accès, ce qui pourrait poser problème s’il fallait évacuer d’urgence l’un des cinquante et un prisonniers qui croupissent dans la prison depuis le 9 août. Selon l’INPE, tous sont des « détenus à la réintégration difficile (problèmes de drogue, d’indiscipline, ...) » qui ne devraient pas séjourner plus d’un an à Challapalca. La plupart sont originaires de régions peu élevées et risquent leur vie en étant transférés sans transition à haute altitude. Une peine de mort déguisée pour des détenus considérés comme irrécupérables ? Les autorités péruviennes le nient. Elles prennent toutefois la précaution d’assurer une relève régulière des gardiens de Challapalca...

 

                                               « Soroche »

 

Les prisonniers qui n’ont pas eu l’habitude de vivre en altitude souffriront rapidement du mal de montagne aigu, dénommé « soroche » au Pérou. En effet, plus on s’éloigne du niveau de la mer et moins l’apport en oxygène pour chaque inspiration est important. Cette insuffisance entraîne un ajustement physiologique se traduisant par une respiration plus rapide et plus superficielle, une fréquence cardiaque au repos plus élevée, des migraines, etc. Le « soroche », s’il persiste, peut être mortel en raison de l’apparition d’oedèmes pulmonaires ou cérébraux. Le Dr Monge, spécialiste mondialement reconnu dans la médecine d’altitude, est formel: « La vie est possible à de pareilles altitudes, mais pas la bonne santé. Pour moi, un établissement pénitentiaire comme Challapalca ne peut être considéré que comme la programmation d’une peine capitale ». La nationalité péruvienne du Dr Monge l’empêche cependant de mener campagne contre la décision de mettre en service la prison des Andes, sans quoi il mettrait sa vie en péril. Un autre spécialiste de la question, le Français Jean-Paul Richalet, contacté par différentes organisations de défense des droits de l’homme, s’est adressé par courrier au ministre péruvien de la Justice pour le mettre en garde: « Aucune population n’a jamais vécu de façon permanente au-delà de 5.000 mètres, que ce soit dans les Andes ou dans l’Himalaya ».

 

Face à l’imminence du danger, Amnesty International a mis en branle son réseau d’ « actions urgentes » à destination du gouvernement péruvien, qui ne semble pas envisager de fermer  Challapalca. Outre les problèmes médicaux, l’organisation souligne les difficultés des visites de la famille ou d’avocats dans un endroit aussi reculé. Isoler des prisonniers considérés comme difficiles ne favorisera certainement pas leur réintégration. A mois que, bien sûr, ce soit leur disparition que l’on souhaite...

 

                                                                                Samuel Grumiau

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