Violences au pays des safaris
(juillet 1998)
Article publié dans Le Journal du médecin du 2 juillet 1998
Le Kenya est réputé pour ses paysages extraordinaires, l’exotisme de sa flore et la diversité de sa faune, qui en font une destination très prisée des touristes. Les coulisses de cette démocratie de façade sont moins idylliques: plus de cent personnes ont perdu la vie dans les violences ethniques qui déchirent l’Ouest du pays depuis fin 1997 tandis que le parti au pouvoir ne recule devant rien pour écarter ses opposants.
Depuis son indépendance, obtenue des mains de la Grande-Bretagne en 1961, le Kenya n’a connu que deux présidents: Jomo Kenyatta jusqu’à sa mort, en 1978, et Daniel Arap Moi ensuite. Leur parti, la KANU (Kenya African National Union), est en effet passé maître dans l’art d’éliminer ses contradicteurs. Assassinats, disparitions, emprisonnements et tortures sont le lot de ceux qui élèvent la voix contre la politique du Président Moi. En 1992, sous la pression des Kenyans et de la communauté internationale, celui-ci a accepté d’instaurer un multipartisme et des élections ont été organisées la même année. La campagne qui les a précédées a été émaillée de nombreuses violences, les partisans de la KANU attaquant les groupes ethniques soupçonnés de soutenir l’opposition. Grâce à ces intimidations et à une manipulation des résultats, le parti du président a pu se maintenir au pouvoir, mais les exactions n’ont plus cessé depuis lors. Elles sont apparues aux yeux du monde en août dernier, lorsque des combats ont éclaté dans la région côtière, une zone fréquentée par de nombreux touristes. On a dénombré septante morts, des centaines de blessés et des dizaines de milliers de déplacés. « Cette vague de violence a été instiguée par le pouvoir, déclare Edaly Gassama, spécialiste du Kenya au sein d’Amnesty International. La province de la Côte, aux alentours de Mombasa, est considérée comme favorable aux partis d’opposition. Or, la législation kenyane stipule qu’un citoyen ne peut voter que dans la circonscription où il réside. En déclenchant les troubles quatre mois avant les élections de décembre 1997, la KANU a éloigné de leur région un grand nombre de personnes qui ne sont pas revenues pour voter ».
Bien que les observateurs locaux et internationaux s’accordent à reconnaître que les élections de fin 1997 n’ont été ni libres ni impartiales, le résultat du scrutin - à savoir la réélection du gouvernement de Moi - a été accepté par l’ensemble des nations. « Les banques internationales favorisent le statu quo et la paix afin que les multinationales puissent continuer à piller les ressources naturelles du pays, affirme Muthoni Kamau, présidente de « Release Political Prisoners », une organisation kenyane de défense des droits de l’homme. Les élections sont truquées. Profitant de ce qu’un grand nombre de personnes sont illettrées, les délégués du Gouvernement leur montrent sur le bulletin la case correspondant à la KANU et leur disent de la cocher s’ils veulent que ce parti quitte le pouvoir... ce qui produit bien sûr l’effet inverse ».
Guerre ethnique
Au Kenya comme dans plusieurs autres pays d’Afrique, le monde politique est divisé selon les groupes ethniques. Les Kalenjins (11% de la population) sont perçus comme des partisans de la KANU tandis que les Kikuyus (21% des Kenyans) supportent plutôt l’opposition. Depuis janvier de cette année, il y a un air de vengeance post-électorale avec la résurgence des conflits ethniques dans la Vallée du Rift, à l’Ouest du pays. Des massacres ont provoqué une centaine de morts, en majorité des Kikuyus vivant dans des circonscriptions qui ont élu des députés de l’opposition. Des milliers de personnes ont fui leurs maisons pour se réfugier dans les grandes villes ou les enceintes d’églises. Les responsables de ces violences semblent être essentiellement des Kamatusas (une large coalition de Kalenjins, de Masais, de Turkanas et de Samburus) armés de fusils d’assaut AK47 - très faciles à trouver le long de la frontière avec le Soudan -, d’arcs et de flèches ainsi que de couteaux. Des attaques de représailles de la part de Kikuyus ont ensuite eu lieu, plongeant la Vallée du Rift dans un climat de guerre ethnique qui persiste jusqu’à ce jour. Ces événements ont suscité peu de réactions de la part des autorités, qui ont qualifié les attaques de simples rafles de bétail, malgré le fait que des écoles et des bars aient été pris pour cibles. Les troubles ont pris un caractère encore plus politique lorsque des députés de la majorité ont déclaré que des violences allaient éclater (sic !) si le dirigeant du principal parti d’opposition persistait à contester l’équité des élections présidentielles. Un député de l’opposition a, quant à lui, invité les Kikuyus à prendre les armes.
L’effet-spirale de la loi du talion
On n’ose imaginer l’ampleur du désastre à venir si la spirale de la violence inter-ethnique n’est pas arrêtée dans la Vallée du Rift. Les tueries déplorées dans le district de Laikipia, en janvier dernier, sont un exemple de l’embrasement général qui menace la région si personne n’intervient. Le 11 janvier, la maison d’une femme kikuyu, Esther Mburu, était attaquée par des hommes armés de l’ethnie pokot, qui l’ont violée ainsi que sa fille avant de voler quinze chèvres. Les assaillants ont été poursuivis par un groupe de Kikuyus qui, irrités de ne pas avoir pu les rattraper, ont attaqué cinquante-quatre animaux appartenant aux Pokots. Ceux-ci se sont alors attaqués à des Kikuyus sans armes, tuant quatre personnes, incendiant et pillant de nombreuses maisons. Cinq filles ont notamment été violées sous les yeux de leurs familles. Les Kikuyus ont à nouveau décidé de se venger. Cent hommes armés de machettes et de bâtons ont retrouvé un groupe de pilleurs, mais ceux-ci possédaient des armes à feu, ce qui a provoqué un nouveau massacre. Au total, les représailles successives suite à la petite attaque de la maison d’Esther Mburu auront provoqué la mort de cinquante personnes ainsi que le déplacement de 2.500 personnes, qui vivent maintenant dans des camps.
Les touristes qui s’amusent dans les safaris ou le long des plages de l’Océan Indien savent-ils ce qui se passe à quelques centaines de kilomètres de là ? La KANU, qui se réserve un contrôle total sur les informations diffusées dans la presse nationale, semble, elle, bien au courant. Certains l’accusent même d’être l’instigatrice et actrice des violences (on a aperçu des hommes en uniforme parmi les bandes de pilleurs-tueurs), appliquant ainsi le vieux principe « diviser pour mieux régner ». Une tactique qui joue actuellement un vilain tour au Président Moi. Afin de se ménager un maximum de soutien au cours de la campagne électorale, celui-ci a, semble-t-il, promis le poste de vice-président à plusieurs personnes issues d’ethnies différentes. Il se trouve aujourd’hui dans l’embarras pour désigner son bras droit, un poste d’autant plus envié que Daniel Arap Moi devrait se retirer à la fin de son mandat actuel et que le vice-président a toutes les chances de lui succéder. La KANU est donc actuellement déchirée par des querelles internes qui l’éloignent de la situation tendue sur le terrain. Amnesty International qualifie pourtant le Kenya de véritable poudrière, et certains observateurs sur le terrain craignent qu’elle n’explose dans un scénario « à la rwandaise ».
Samuel Grumiau
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