Les prisonniers de la tuberculose
(aout 1997)
Article publié dans Le Journal du Médecin du 22 août 1997
Dans la colonie pénale n°33 de Mariinsk, en Sibérie centrale, le Dr Nathalia se désole: faute d’argent, elle doit relâcher des détenus qui ne sont pas encore guéris de la tuberculose, renforçant ainsi l’épidémie en recrudescence dans le monde. Des médecins belges ont décidé de lui venir en aide.
L’hôpital-prison de Mariinsk, spécialisé dans le traitement des prisonniers tuberculeux, est le plus important de son genre en Russie. Conçu pour abriter huit cents personnes, il accueille aujourd’hui mille huit cents détenus venant de toute la Fédération, et même d’autres pays de la Communauté des Etats indépendants. Cette surpopulation, accompagnée de conditions d’hygiène déplorables et d’un régime alimentaire peu équilibré, entrave la guérison des malades. La situation s’est encore détériorée avec l’effondrement de l’économie russe, qui a contraint le Gouvernement à réduire fortement ses dépenses en soins de santé. La colonie pénale n°33 ne reçoit plus l’argent nécessaire à l’achat des médicaments antituberculeux. Le médecin-colonel Nathalia, sa directrice, a lancé un appel au secours à la communauté internationale afin de trouver une ONG prête à s’investir à Mariinsk.
La section belge de Médecins Sans Frontières, qui gère déjà un programme d’aide aux sans-abris de Moscou, a répondu à l’appel en envoyant sur place une mission exploratoire. La permission de travailler dans la colonie pénale n’a pas été facile à obtenir: « il a fallu six mois de négociations avant de tomber d’accord sur l’aménagement que nous exigions, c’est-à-dire la division de l’hôpital en une zone contaminée et une autre décontaminée, se rappelle Alain Devaux, le responsable du programme. La colonie demeure une prison et la direction administrative, qui se préoccupe avant tout de l’aspect sécurité, rechignait à effectuer ce bouleversement ». Une fois l’accord obtenu, une première équipe belge a été envoyée sur place pour collaborer avec les médecins russes et prendre en charge la moitié des détenus. Elle a été doublée voici quelques mois pour atteindre neuf personnes, ce qui permet de couvrir l’ensemble de la population carcérale.
Il était temps ! « Avant l’arrivée de MSF, nous devions relâcher chaque année six cents détenus arrivés au bout de leur peine mais qui n’étaient pas encore guéris, regrette le Dr Nathalia. D’un point de vue épidémiologique, c’est évidemment très grave puisque ces tuberculeux contaminent d’autres personnes à leur sortie. Nous leur conseillons de poursuivre le traitement, mais les détenus sont souvent des anciens sans-abris qui retournent dans la marginalité lorsqu’on les libère. Ils bougent beaucoup d’un coin à l’autre d’une région et fréquentent rarement les dispensaires où ils pourraient trouver des médicaments ». Et puis, il y a la question du prix: théoriquement, les soins de santé sont gratuits en Russie pour les tuberculeux mais en pratique, faute de moyens alloués par l’Etat, on se dirige petit à petit vers une médecine payante. « La première phase du traitement de la tuberculose revient à trois millions de roubles (environ vingt-cinq mille francs belges), poursuit le Dr Nathalia. Or, le salaire mensuel d’un russe moyen est d’un million de roubles et certains pensionnés ne touchent qu’entre deux et trois cent mille roubles ! »
Les médecins traient les vaches
Les médecins russes ne sont pas mieux lotis que le reste de la population. Dans les hôpitaux civils, nombreux sont ceux qui n’ont pas reçu leur salaire depuis plusieurs mois et qui sont contraints de jardiner pour survivre. « C’est bien que les gens puissent travailler la terre pour leur plaisir, déclare le Dr Nathalia, mais ici c’est une obligation s’ils veulent manger ! Après sept ans d’études, des médecins doivent apprendre à traire les vaches et à cultiver un potager pour survivre car le prix de la nourriture est très élevé: au marché public, le kilo de fromage coûte cinq dollars, c’est-à-dire la même chose que le loyer d’un petit appartement ! Parfois, les médecins cèdent aussi au découragement parce que les bons comme les mauvais sont traités de la même façon ». Dans ces conditions, on comprend pourquoi le système de médecine gratuite évolue lentement vers la vénalité, alors qu’aucune protection mutuelle n’est encore en vigueur. Seuls les médecins travaillant en milieu carcéral touchent leur salaire régulièrement.
Si la transition du régime « communiste » vers le capitalisme reste très douloureuse pour une majorité de Russes, quelques points positifs se détachent ci et là. Le système carcéral a ainsi été réformé dans un sens plutôt libéral: une fois condamnés, les détenus quittent la prison pour rejoindre les colonies, c’est-à-dire les établissements à la discipline allégée au sein desquels ils ne sont pas contraints de rester en cellule. A Mariinsk par exemple, les prisonniers sont libres de se rendre à la bibliothèque ou à la cantine durant la journée. Plus tard, s’ils se comportent bien, ils pourront être transférés dans des colonies aux formules encore plus libérales où on leur donne la possibilité de travailler la terre, de faire venir leurs familles, etc. Seuls les auteurs de crimes graves sont contraints de séjourner dans les prisons classiques, tout comme les personnes en détention préventive (celle-ci peut durer de nombreux mois, même pour les délits mineurs). On est donc loin des goulags et des travaux forcés imposés sous le régime soviétique. « A l’époque, certains détenus contractaient volontairement la tuberculose pour être transférés dans notre centre de Mariinsk, confie le Dr Nathalia. Ils respiraient les crachats de tuberculeux, espérant ainsi échapper aux travaux obligatoires dans les camps. Ce n’est bien entendu plus le cas aujourd’hui ».
Médicaments trop chers
Depuis le début du projet, il y a un an, la section belge de Médecins Sans Frontières a investi quarante millions de francs dans la colonie n°33. Une bonne partie de cet argent a été dépensé en frais de bâtiment et d’infrastructure: mise en place d’un appareil de décontamination de l’air par soufflerie, modernisation du laboratoire, remise à neuf des toilettes, etc. A présent que ces travaux sont terminés, l’ONG pense pouvoir continuer son projet avec la moitié du budget actuel. Compte tenu de la dimension mondiale de l’épidémie de tuberculose, MSF aurait aimé pouvoir compter sur le soutien financier de l’une ou l’autre organisation internationale. Il n’en a rien été jusqu’ici... et c’est bien dommage pour les patients qui, pour l’une ou l’autre raison, ont interrompu leur traitement de base: ils développent alors des « multirésistances » les rendant insensibles aux antituberculeux normaux et ont besoin de médicaments plus chers pour s’en sortir. Vaincre le bacille de Koch revient alors à environ cent mille francs par personne !
Outre l’aspect matériel, les Belges ont apporté de nouveaux schémas thérapeutiques aux médecins sibériens. Ces derniers, vivant dans une région éloignée de tout, n’ont pas vraiment eu l’occasion de se tenir au courant des dernières évolutions suggérées par l’Organisation Mondiale de la Santé. L’effort de Médecins Sans Frontières commence à porter ses fruits. « Au cours des deux années précédant l’arrivée des médecins belges, le taux de mortalité de nos patients s’était multiplié par dix, explique le Dr Nathalia, en raison du manque de médicaments et des formes complexes de la maladie développées chez certains détenus. Depuis un an, nous ne déplorons plus qu’un petit nombre de morts chez les prisonniers pris en charge par le projet, et la condition générale des malades s’est améliorée. Petit à petit, certains peuvent sortir entièrement guéris ». Plus de guérisons engendrant plus de place pour les malades restant ou plus de possibilités d’accueil pour d’autres, on entrevoit une légère amélioration du sort des détenus tuberculeux en Russie. « L’évolution de la tuberculose est préoccupante dans le monde entier, y compris dans les pays riches, où l’on dénombre plus de cas que précédemment. Il est très important que tous les médecins se rassemblent pour lutter contre l’épidémie », conclut le Dr Nathalia.
Samuel Grumiau
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