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L’impossible retour

(janvier 1999)

(Reportage publié dans un dossier sur la médecine en Bosnie réalisé pour le Journal du Médecin paru le 8 janvier 1999)

 

 

S’il est un problème qui empoisonne la reconstruction en Bosnie-Herzégovine, c’est celui des personnes déplacées dans le pays ou réfugiées à l’étranger. Elles sont deux millions à avoir fui la guerre et l’« épuration ethnique ». Les trois quarts ne sont pas encore rentrées dans leur région d’origine. Elles vivent dans des centres collectifs ou dans les logements désertés par les anciens adversaires.

 

En général, les personnes déplacées expriment l’envie de rentrer dans leur maison, mais à une condition : qu’elles ne se retrouvent pas minoritaires dans une commune dominée par une autre ethnie. Pas question pour un Musulman de retourner vivre dans un Srebrenica à majorité serbe, pour un Croate de Mostar de rejoindre le côté musulman de la ville, etc. On les comprend : à plusieurs reprises, les journaux ont titré sur les mésaventures de ceux qui ont osé bravé la peur de l’autre ethnie. A Glamoc, une municipalité à 80% serbe avant l’offensive croate de 1995, les deux premières familles serbes de retour sont rapidement reparties : à peine installées, un incendie a ravagé leurs maisons. Difficile de croire au hasard. Et puis, il y a les brimades, les menaces, les insultes, voire les agressions physiques... Les Serbes qui sont revenus vivre à Sarajevo y ont la paix mais lorsqu’ils sont malades, ils préfèrent se faire soigner dans la partie de la ville située en République serbe. « J’avais dit à ma tante de ne pas retourner dans la région de Banja Luka, déclare un syndicaliste musulman, mais elle y est allée. Son fils a été agressé par des Serbes et la police a laissé faire ».

 

La vie n’est pas agréable lorsque l’on est un « déplacé ». Les rares emplois qui se libèrent sont généralement pour les autochtones et les conditions d’hébergement dans les centres collectifs (parfois d’anciennes prisons !) sont très dures : à huit dans une même pièce, peu de sanitaires, un chauffage hésitant, ... Ceux qui ont trouvé un logement privé occupent le plus souvent une maison ou un appartement qui a été déserté par des membres de l’ethnie adverse. Ceux-ci peuvent revenir à tout moment et jeter la famille déplacée à la rue. L’idéal serait sans doute que les populations de villages entiers soient échangées au même moment, mais c’est très difficile à organiser en pratique. 60% des logements ont été détruits pendant les affrontements et, malgré l’aide financière massive de la communauté internationale, il n’y a pas encore de place pour tout le monde.

 

                                    Rejet des réfugiés rentrés au pays

 

La Bosnie-Herzégovine est malade de ses divisions : entre autochtones et « déplacés », entre communautés et, surtout, entre ceux qui sont restés au pays durant le conflit et ceux qui sont de retour après avoir fui à l’étranger (la population bosniaque est passée de 4,4 millions en 1991 à 3,7 millions en 1997 !). Ceux-ci sont rejetés par les Bosniaques qui ont vécu toute la guerre : « Vous n’avez pas souffert comme nous, vous vous êtes enrichi à l’étranger pendant que nous étions sous les bombes ». C’est oublier que beaucoup de familles ont survécu - et survivent encore - grâce à l’argent envoyé par ces réfugiés, qui sont aujourd’hui plus méprisés que les ressortissants de la communauté adverse. Certaines offres d’emploi locales les excluent explicitement. Leur connaissance des langues et de la mentalité occidentale leur permettent de travailler pour le compte des nombreuses organisations internationales établies en Bosnie... ce qui accentue la jalousie des autres, qui savent que les étrangers paient bien.

 

Soulignons cependant que malgré tous ses problèmes, la Bosnie ouvre ses frontières à ceux dont le sort est encore moins enviable, comme les réfugiés du Kosovo, qui sont entre 10 et 15.000 sur le territoire bosniaque. Ils ne sont bien sûr pas logés à l’hôtel. 1.500 d’entre eux croupissent dans l’usine de Coca-Cola, près de Sarajevo, dans des conditions indignes : la multinationale, qui désire récupérer rapidement son bâtiment (tout le matériel qu’il abritait a été volé par les Serbes durant la guerre), interdit aux réfugiés d’entrer dans les locaux administratifs, les seuls à êtres équipés de chauffage. La place manque dans l’usine et des tentes ont été dressées par le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) dans la cour pour « loger » les derniers arrivants. C’est très dur, mais la Bosnie ne s’est pas encore abaissée à étouffer sous un coussin ceux qui y cherchent refuge.

  

                                                                       Samuel Grumiau

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