Pas de droits
(septembre 2007)
L’antithèse de l’Etat de droit !
Au-delà du show médiatique attendu atour du procès de quelques ex-dirigeants khmers rouges en 2008 l’appareil judiciaire est incompétent et inféodé au gouvernement. A l’image du procès consécutif à l’assassinat du syndicaliste Chea Vichea, avec la condamnation à 20 ans de prison de deux innocents, et d’autres affaires de meurtres et agressions violentes de syndicalistes.
Le 22 janvier 2004, Chea Vichea est abattu à bout portant alors qu’il lisait son journal près d’un kiosque du centre de Phnom Penh. Président de la FTUWKC (1), Chea Vichea était l’un des syndicalistes les plus influents du Cambodge. Il n’avait de cesse de dénoncer les violations des droits des travailleurs cambodgiens, l’impossibilité de mener une vie décente avec les salaires de misère qui leur sont payés. L’annonce de cet assassinat suscite de vives protestations internationales et nationales. Chea Mony, frère de Chea Vichea, prend sa succession à la tête de la FTUWKC et menace d’organiser une manifestation de grande ampleur dans les rues de Phnom Penh si les coupables ne sont pas retrouvés et jugés rapidement.
Le pouvoir prend peur face à cette menace : beaucoup soupçonnent les autorités ou les employeurs d’être derrière l’assassinat. Il veut rapidement trouver des coupables pour apaiser la colère populaire. Quelques jours plus tard, la police annonce l’arrestation de deux présumés coupables : Born Samnang et Sok Sam Oeun. Présentés à la presse, les deux hommes clament leur innocence. Born Samnang crie que ses aveux ont été arrachés sous la torture. En mars, un juge qui classe l’affaire sans suite par manque de preuves est démis de son poste. Le 1er août 2005, le tribunal de Pnomh Penh condamne les deux hommes à vingt ans de prison sur la base d’aveux faits par Born Samnang. En dehors de ces aveux forcés, aucun élément de preuve liant les deux hommes au meurtre n’a été présenté au procès.
Le seul témoin du meurtre de Chea Vichea est la propriétaire du kiosque à journaux où il a été abattu, Va Sothy, qui vit aujourd’hui en exil par crainte de représailles. Elle a toujours affirmé que les deux hommes arrêtés n’étaient pas les assassins. Dans une déclaration devant notaire à Bangkok, elle a expliqué qu’elle avait fourni une description détaillée de l’assassin de Chea Vichea et de son complice, mais qu’elle a eu trop peur des représailles pour coopérer avec la police (elle a revu l’assassin à son kiosque un mois après le meurtre). Elle a dénoncé plusieurs tentatives de la police de lui faire identifier le croquis d’une personne comme étant l’assassin, ce qu’elle a refusé. Or, c’est ce croquis qui a été publié dans les journaux, accompagné d’une déclaration de la police disant qu’un témoin l’avait corroboré.
Pourquoi ces deux boucs émissaires ?
Outre le manque de volonté du pouvoir cambodgien de voir mener une véritable enquête pour chercher les vrais coupables, pourquoi le couperet est-il tombé sur ces deux hommes en particulier ? Il semble que Born Samnang et Sok Sam Oeun se soient tout simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Quelques semaines avant son arrestation, Born Samnang avait connu de gros problèmes dans son travail. « Il était représentant d’une société pharmaceutique et avait commis quelques erreurs commerciales, explique sa mère, Noun Kim Sry. Cette société lui réclamait le remboursement de 5.080 dollars perdus par sa faute. Lorsqu’il est venu me raconter ça, et lorsque j’ai compris que la société pourrait se retourner contre notre famille s’il ne parvenait pas à payer, je me suis mise en colère. Mon mari m’a abandonnée voici longtemps, je suis seule avec cinq enfants. Pour protéger ma famille, pour éviter de devoir vendre nos biens, j’ai demandé à l’une de mes filles de déposer à l’administration communale un formulaire par lequel je déclarais ne plus reconnaître Born Samnang comme mon fils. Elle est revenue un peu plus tard en me disant que des employés de cette administration avaient comparé la photo de mon fils sur ce formulaire et le portrait robot des assassins de Chea Vichea, affiché sur le mur de leur bureau. Les visages sont très différents, mais j’ai immédiatement eu un pressentiment. J’ai demandé à ma fille d’aller récupérer le formulaire, mais les employés n’ont pas voulu le rendre ».
Les policiers arrêtent Born Samnang quelques jours plus tard « Ils ont beaucoup battu mon fils pour qu’il avoue être le meurtrier de Chea Vichea, mais il ne le connaissait pas. Ils lui ont dit qu’ils savaient qu’il a de gros ennuis, que j’ai voulu le renier, que sa fiancée est elle aussi en prison et que ses problèmes s’arrangeraient plus tard s’il reconnaissait le crime. Comme il refusait encore, ils ont pris sa main et ont apposé son emprunte digitale en bas d’un document écrit. Je ne sais pas ce qui était écrit, mais c’est à ce moment qu’il a été présenté à la presse comme le coupable qui aurait avoué. Je m’en veux énormément. Si je n’avais pas réagi si vivement lorsqu’il m’a annoncé son problème, jamais ils ne se seraient servi de sa situation pour l’accuser ainsi ». Born Samnang avait pourtant un alibi : il fêtait le Nouvel An chinois en compagnie de sa fiancée à une soixantaine de kilomètres de la scène du crime le jour où l’assassinat s’est produit, de nombreuses personnes étaient avec lui ce jour-là. Des témoins ont cependant été victimes d’actes d’intimidation de la part de policiers.
Le cas de Sok Sam Oeun est assez similaire. Lui aussi fêtait le Nouvel An chinois le jour du crime, à Au Bekkaam, à 25 km de Phnom Penh. « Il avait passé cette journée à boire et manger avec d’autres personnes, explique Vorn Thun, le père de Sok Sam Oeun. L’une de ces personnes est le fils d’un homme très haut placé au sein du parti politique Funcinpec, Mr Sourng Supul. Le 28 janvier 2004, mon fils a été arrêté alors qu’il se trouvait dans la maison de cet homme. Ils ne lui ont pas dit pourquoi ils l’arrêtaient ni où ils l’emmenaient. Comme il ne cessait de crier dans le véhicule de police qu’il n’avait rien fait, les policiers l’ont battu à coups de crosse de fusil, ils lui ont aussi enfoncé la tête dans un sac en plastique. Je pense que ce Mr Sourng Supul a cherché à se débarrasser de mon fils, à qui il devait de l’argent. Je n’ai appris son arrestation que le 30 janvier, lorsque ma sœur l’a vu à la télévision, où l’on annonçait qu’il avait tué Chea Vichea. Il n’a jamais admis avoir commis ce crime. Il est têtu, il ne reconnaîtrait jamais une chose pareille s’il ne l’a pas commise. D’ailleurs, il ne connaissait pas du tout Born Samnang, ils sont de provinces différentes. J’ai imploré les personnes qui étaient avec lui le jour du crime de venir témoigner au procès, mais elles ont toutes refusé, elles avaient peur, elles ont d’abord pensé à leur propre sécurité ».
Craintes pour la santé des deux innocents
Les proches de Born Samnang et Sok Sam Oeun sont très inquiets : jusqu’à présent, le Cambodge est demeuré sourd aux pressions nationales et internationales demandant la libération des deux innocents. Or, ceux-ci sont en mauvaise santé. « Les conditions de détention ont affaibli mon fils, témoigne la mère de Born Samnang. Il a beaucoup maigri et souffre souvent de fièvre et de migraines. Ils sont entre dix et vingt dans sa cellule, l’air est irrespirable, il ne peut respirer normalement que lorsqu’il est dans la salle des visites de la prison. Il tient le coup moralement, en partie parce qu’il est au courant des campagnes nationales et internationales en faveur de sa libération, mais sa santé se détériore ». Idem pour Sok Sam Oeun : « Il souffre de douleurs à l’estomac en raison de la nourriture exécrable et a perdu toute sensibilité en dessous des genoux, dit son père. Sa cellule mesure environ 7 mètres sur 4, entre 17 et 30 prisonniers s’y entassent en permanence. Vu l’étroitesse de la cellule, les prisonniers ne peuvent jamais s’allonger en même temps sur le sol, ils ne peuvent que rester assis, jambes croisées et repliées, serrés les uns contre les autres. Ils se tiennent debout à tour de rôle pour que les autres puissent parfois allonger leurs jambes ».
Deux autres syndicalistes ont été froidement assassinés au Cambodge depuis le meurtre de Chea Vichea. En mai 2004, c’est Ros Sovannareth, président du FTUKWC de l’usine Trinunggal Komara, qui était abattu. Aucune enquête judiciaire indépendante et impartiale n’a été menée jusqu’ici. Le 24 février dernier, un nouveau meurtre était commis. Hy Vuthy, président du syndicat
La CSI s’est jointe aux syndicats démocratiques, aux organisations de la société civile du Cambodge et à de nombreuses organisations de défense des droits humains (dont Amnesty International et Human Rights Watch) pour réclamer la libération des deux innocents emprisonnés suite au meurtre de Chea Vichea, et des enquêtes sérieuses sur les meurtres de Ros Sovannareth et d’Hy Vuthy. A quelques mois du début du procès des ex-Khmers rouges, la Justice cambodgienne doit enfin retrouver sa crédibilité.
(1) Free Trade
ENCADRE :
Le courage d’un syndicaliste
Menaces de mort, tabassages, licenciement et liste noire… Le syndicaliste Chi Simun, de l’usine Bright Sky, a vécu à lui seul tout l’arsenal de la répression antisyndicale.
Chi Simun a de la chance d’être encore en vie. Le matin du 3 mai 2006, ce président du syndicat
En plus de blessures à l’œil et à la tête, Chi Simun a eu besoin de 15 points de suture après cette agression. Il n’a pas été en mesure de reprendre le travail avant le 12 mai. « Ce jour-là, les travailleurs membres de la
Les rivalités intersyndicales au sein de Bright Sky et les disputes avec la direction concernant le recours excessif aux contrats à courte durée ne se sont pas estompées après les agressions à l’encontre de Chi Simun et d’autres délégués syndicaux. Le 16 octobre, la direction a fait appel à la police pour réprimer un rassemblement organisé par le FTUWKC devant l’usine. Les policiers ont tiré en l’air et usé de leurs matraques. Alors que les travailleurs fuyaient, une travailleuse enceinte de 24 ans, Muth Savy, a été touchée par une balle tirée par la police et a dû être emmenée de toute urgence à l’hôpital, où elle a perdu son bébé. De nombreux autres travailleurs ont été blessés par les policiers ce jour-là.
Peu après ces incidents, la direction de Bright Sky a annoncé la fermeture de la production nocturne, mettant à la rue plus de 1.500 travailleurs… presque tous les membres de la FTUWKC. Bright Sky a ensuite distribué aux autres usines la liste des noms des militants et dirigeants de ce syndicat, avec leur photo. « Depuis que je suis sur cette liste noire, on refuse de m’embaucher partout, témoigne Chi Simun. Parfois, je parviens à décrocher un emploi durant une ou deux semaines en utilisant le nom d’un ami qui n’est pas sur la liste noire, auprès d’une petite usine qui est sous-sous-contractante ».
L’ex-délégué syndical est amer. « J’ai sacrifié beaucoup à la lutte pour aider les autres travailleurs, pour faire appliquer la législation du travail. La direction m’avait proposé de l’argent pour arrêter la lutte syndicale, certains syndicalistes ont accepté 15.000 dollars de cette manière, mais j’ai toujours refusé. J’ai 27 ans, une femme et une fille de 5 ans, mais je n’ai plus de futur professionnel ».
Le rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar
Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.
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« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »
La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.
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