Un milieu « toxicomanogène » ?
(mai 1998)
(Reportage publié dans un dossier sur la médecine en prison réalisé pour le Journal du Médecin paru le 12 mai 1998)
La drogue est le principal problème de santé rencontré dans les prisons: un tiers des détenus sont enfermés pour des faits liés aux stupéfiants et la moitié de la population carcérale en consomme de façon régulière ou irrégulière. « La prison n’est pas vivable sans la drogue », entend-on répéter tant du côté des prisonniers que de celui de l’Administration. Vraiment ?
Le bon sens populaire aimerait parfois croire que puisqu’une prison est entourée de murs et de barreaux, elle devrait pouvoir fonctionner en vase clos, sans grand contact avec l’extérieur. En ce qui concerne le trafic de drogue, rien n’est plus faux: visites de la famille, congés pénitentiaires, courrier et même, plus rarement, corruption de gardiens et jet par-dessus les murs sont autant de moyens utilisés par les détenus pour se procurer tout ce qui se trouve à l’extérieur comme stupéfiants. Le haschisch et la marijuana sont ce qui circule le plus fréquemment sur le marché interne des prisons, mais l’héroïne et la cocaïne sont loin d’être introuvables. Idem pour les seringues. L’argent étant interdit en milieu carcéral, les prisonniers utilisent leur monnaie de substitution préférée, la télécarte ou les cigarettes, pour l’acheter à des prix nettement supérieurs à ceux de l’extérieur (en raison du risque pris pour la faire entrer).
« Mieux vaut le haschisch que l’alcool »
Du côté des autorités pénitentiaires, si l’on ne se désintéresse pas du problème, on ne s’y attaque pas vraiment tant qu’il se limite aux drogues douces. « Pour dix à vingt pour cent des détenus, la consommation de stupéfiants était l’élément essentiel de la vie en dehors de la prison, déclare le Dr Van Mol, directeur des services médicaux des prisons belges. Il est quasi-inévitable qu’il en soit de même à l’intérieur. Le jour où l’on trouve un système qui empêche l’entrée des drogues en prison, nous aurons des problèmes, c’est sûr, parce qu’elles remplissent un rôle dans l’équilibre d’une prison. Que ferait le personnel face à un détenu en manque ? » Le directeur du centre pénitentiaire ouvert de Saint-Hubert, Jacques Meeus, est encore plus direct: « Le détenu qui prend du haschisch nous f... la paix ! Je préfère qu’il fasse ça que de consommer de l’alcool, sous l’effet duquel nous avons déjà connu pas mal de réactions d’agressivité ».
Cercle vicieux
Si bon nombre de condamnés entrent en prison en étant déjà consommateurs réguliers ou occasionnels de drogues, d’autres « replongent » ou y goûtent pour la première fois entre les barreaux. « Le milieu carcéral est « toxicomanogène », note Romain Bosmans, directeur de l’asbl CAPITI (Centre d’accueil post-pénitentiaire et d’information aux toxicomanes incarcérés). De par la vacuité de la vie carcérale et considérant tout ce qu’elle engendre comme angoisses, surtout en préventive (réaction de la famille, attente du jugement, ...), le détenu recherche tout ce qui peut le calmer. Or, les produits circulent. Dans ce contexte de promiscuité, de pressions, le non-toxixomane risque d’entrer dans le cycle de la consommation. S’il ne bénéficie pas d’une assistance particulière durant son incarcération, il peut entamer une carrière de toxicomane qu’il poursuivra à l’extérieur... et se retrouver à nouveau en tôle, pour trafic de drogues cette fois ».
Pressions des caïds
On comprend d’autant plus facilement ce glissement aux enfers si l’on considère la faiblesse mentale de la plupart des détenus, des personnes souvent fragiles dans l’existence (la preuve par la bévue qui les a amenés là). Que peuvent ces nouveaux entrants contre les pressions des caïds qui dirigent le trafic de drogues en prison ? S’ils partent en congés pénitentiaires, ils reçoivent parfois des adresses où ils sont chargés d’acheter des stupéfiants pour le compte des dealers incarcérés. « C’est comme si la prison était un lieu privilégié pour continuer sa toxicomanie, explique Romain Bosmans: dans leur propre famille, les toxicomanes ont souvent vécu des problèmes de séparation, de tensions entre les parents, etc. Ils retrouvent des situations tendues dans les rôles des différents acteurs du milieu carcéral: le gardien, qui est tiraillé entre ses devoirs de surveillance et de faire de la réinsertion; le médecin, qui vient pour le soigner mais aussi pour vérifier la dose qu’il a prise, ... Le toxicomane sent bien ces situations ».
Les limites de l’aide
Que peut faire le médecin de prison face à cette omniprésence de la drogue dans la vie de ses patients ? Ceux-ci lui reprochent parfois de ne pas avoir (ou prendre) le temps de les écouter, alors qu’ils en ont besoin là plus qu’ailleurs. Un sevrage progressif est appliqué pour tenter de supprimer la dépendance physique du toxicomane mais on sait que celui-ci a bien des chances de « rechuter » au contact des autres détenus. Quant à la méthadone, elle n’est prescrite qu’en dose dégressive, sauf dans quelques établissements où les praticiens y sont résolument opposés (ce qui soulève à nouveau la question du libre choix du médecin en milieu carcéral). CAPITI, de son côté, rencontre tous les entrants aux prisons de Saint-Gilles et Forest. Elle les informe sur les possibilités de cure de désintoxication et offre aux consommateurs un accompagnement psychosocial au cours et au terme de leur détention. « C’est vrai que certains viennent à nos consultations pour sortir un peu de leur cellule, reconnaît Romain Bosmans, mais s’il n’y avait que ça, nous arrêterions. Sur les huit cents détenus que nous voyons chaque année, il y en a pas mal qui nous demandent de les aider à mettre une distance entre eux et la drogue. Ils viennent pour nous dire « c’est la quatrième fois que je retombe pour ça, faites-moi sortir de cette merde » ».
Malgré le nombre impressionnant de toxicomanes emprisonnés, les cas d’overdoses y sont rares. « De ce côté, on pourrait dire que la prison est la meilleure des préventions », déclare le Dr Van Mol. L’injection de doses mortelles a plutôt lieu juste après la libération, lorsque le consommateur retrouve son produit et qu’il ne doit plus se shooter en cachette. Il s’injecte ou renifle alors la quantité de drogue qu’il avait l’habitude de prendre avant son incarcération, et c’est l’overdose. En soi, ce n’est pas une victoire pour le monde carcéral.
Samuel Grumiau
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