fren

Rechercher dans :


acc

Médecine carcérale, médecine sociale ?

(mai 1998)

(Reportage publié dans un dossier sur la médecine en prison réalisé pour le Journal du Médecin paru le 12 mai 1998)

 

 

Les prisons belges abritent actuellement 8.450 détenus. La plupart d’entre eux provenant de couches sociales défavorisées, leur état de santé est rarement excellent au moment de l’incarcération. En milieu carcéral, ils bénéficient d’une médecine gratuite, qu’ils qualifient de routinière et impersonnelle.

 

La première chose qui a frappé un jeune dealer, Luc, lors de sa première incarcération à la prison de Mons, c’est le caractère dégradant de la procédure d’admission. « On est d’abord conduit au greffe, où l’on vous confisque votre portefeuille, y compris la carte d’identité et les papiers personnels. On vous prend en photo également. Puis, on vous conduit dans un local où vous devez vous déshabiller. Vous subissez une fouille, la première d’une longue série, puis vous prenez une douche avant de recevoir un uniforme. Le mien était beaucoup trop petit, mais il n’y en avait plus à ma taille. C’est la galère qui commence... Ensuite, je me suis retrouvé dans une cellule de trois personnes, avec un seau hygiénique pour tout WC ». Il est vrai que les conditions d’incarcération de la prison de Mons sont parmi les pires du pays.

 

Le lendemain de leur admission, parfois le jour même lorsqu’il y a urgence, tous les détenus se rendent dans le bureau du docteur de la prison pour une visite médicale de routine. Durant le reste de leur incarcération, ils devront d’abord s’adresser au gardien de leur section lorsqu’ils souhaitent rencontrer le médecin. Selon les cas, la demande peut être effectuée oralement, par exemple lors de l’ouverture des portes des cellules le matin, ou sur un formulaire à remettre au surveillant. Le détenu sera alors inscrit à la prochaine consultation du praticien. Dans certaines prisons, celle-ci a lieu à un horaire fixe, souvent en début de journée, mais dans d’autres, seul le médecin connaît vraiment l’heure à laquelle il passe. « Si vous tombez malade l’après-midi, vous pouvez danser sur votre tête, rien n’y fera: vous ne verrez le médecin que le lendemain, et pas plus de cinq minutes ». Cette remarque d’un prisonnier de Saint-Hubert revient souvent dans la bouche des anciens détenus. Autre grief parfois formulé: le pouvoir que s’arrogeraient certains surveillants de signaler ou non la demande de visite au staff médical. « Un jour, je souffrais de migraines, déclare Luc, mais le gardien de l’après-midi me détestait. Il a dit que je faisais des grimaces et il a refusé de m’inscrire à la visite ».

 

                                     Rôle psychologique

 

S’il est difficile de vérifier le bien-fondé de ce genre d’accusations, force est de constater que, pour un ancien détenu, tout ce qui tourne autour du monde de la prison a une connotation négative, y compris les soins médicaux. Beaucoup utilisent la consultation du médecin dans le seul but de parler à quelqu’un de l’extérieur ou comme une occasion de rencontrer d’autres prisonniers dans la salle d’attente du cabinet. « Ce n’est pas facile, note le Dr Groetenbriel, médecin de la prison de Forest: au début de l’incarcération, certains détenus sont très déprimés et viennent nous voir parce qu’ils ont besoin de contact. Mais avec l’habitude, les gardiens et les infirmières repèrent ceux qui viennent pour un oui ou un non. Quand ils ont déjà rencontré le médecin trois fois sur la semaine, on leur dit d’attendre que les médicaments agissent avant de revenir. Je ne pense pas qu’un surveillant ose prendre la lourde responsabilité d’empêcher un détenu d’accéder à la consultation ». Il semble en tout cas bien difficile, pour des gardiens qui n’ont généralement aucune formation médicale, de juger du caractère sérieux d’une demande de visite chez le médecin. « Les généralistes perdent parfois de vue l’importance de leur rôle psychologique, note un membre de la direction d’une prison francophone. Leur cabinet est l’un des rares endroits de la prison où le prisonnier peut être pris en considération comme personne, avec ses propres problèmes, et non comme justiciable. Lorsqu’un médecin lui prescrit par exemple un régime, il n’est subitement plus un numéro mais quelqu’un qui a droit à un régime ».

 

                                   Hôpitaux en prison              

 

Les détenus qui ont besoin d’examens ou de soins spécialisés dépassant les compétences ou le matériel du médecin généraliste sont envoyés au Centre médico-chirurgical de la prison de Saint-Gilles (CMC) s’ils sont francophones et à Bruges s’ils sont néerlandophones. Le transport s’effectue en même temps que les transferts entre prisons, par fourgon cellulaire, à jour fixes. Le CMC dispose d’une vingtaine de spécialistes, de deux salles d’opération et d’une trentaine de lits. « Nous rencontrons beaucoup de cas de traumatologie et de stomatologie, déclare son directeur, le Dr Donot. En chirurgie, il s’agit souvent de nez-gorge-oreille, d’otites chroniques ou d’hernies. Un grand nombre des ces problèmes viennent de l’extérieur, où ils n’ont jamais été soignés. En prison, les patients n’ont rien d’autre à faire... et c’est gratuit alors que, dans le civil, ce serait matériellement impossible pour beaucoup de les traiter parce qu’ils sont dépourvus de couverture sociale ». La seule limitation du CMC concerne les soins intensifs. Pour les interventions qui les nécessitent, les détenus sont transférés dans un hôpital normal.   

 

Les maladies affectant les couches sociales défavorisées sont nettement plus répandues dans les prisons qu’à l’extérieur. Ainsi, alors que la prévalence de la tuberculose dans la population était de 12,7 pour 100.000 personnes en 1997, elle atteignait 88,5 chez les nouveaux entrants en milieu carcéral. Tous les cas détectés sont envoyés au CMC ou à son équivalent brugeois. Rares sont les prisons équipées d’un appareil radiologique fixe. Lorsque ce n’est pas le cas,  le FARES (Fondation contre les Affections Respiratoires et pour l’Education à la Santé) côté francophone et le VRGT (Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding) côté néerlandophone envoient leur car radiologique entre deux et quatre fois par an dans les centres pénitentiaires. Cette fréquence de dépistage n’est pas idéale: étant donné les nombreux transferts de détenus entre prisons et la courte durée de détention de certains, il est probable que plusieurs tuberculeux passent entre les mailles du filet.

 

                                   Pourquoi pas la capote ?

 

La prévalence du sida est tout aussi alarmante puisque, selon un rapport de l’Agence de Prévention du Sida, le VIH affecte environ 2% des détenus alors qu’il ne touche qu’entre 0,10 et 0,17 % de l’ensemble de la population. A cet égard, on peut s’interroger sur les raisons qui empêchent l’Administration pénitentiaire de proposer gratuitement les préservatifs aux détenus. Si certains médecins de prison minimisent le nombre de relations homosexuelles en milieu carcéral, bon nombre d’anciens détenus reconnaissent du bout des lèvres qu’elles sont assez fréquentes. Des cas de viols existeraient eux aussi, tout comme la prostitution masculine. Dans tous les centres pénitentiaires belges, les prisonniers peuvent acheter les préservatifs à la cantine, c’est-à-dire à la boutique de la prison. Etant donné l’absence de discrétion de ce mode d’approvisionnement (les feuilles de commande d’articles sont ramassées par des détenus aidants ou des gardiens), très peu de personnes y ont recours, d’autant que les préservatifs achetés sont rarement adaptés aux relations anales. Certains responsables déduisent de cette faible demande qu’il ne s’agit pas d’un besoin. L’asbl CAPITI (voir article page ...), qui a placé dans son bureau de la prison de Saint-Gilles une boîte de préservatifs, doit pourtant la réapprovisionner régulièrement. On a peine à imaginer qu’il ne soit pas possible de trouver un endroit discret (un coin du préau, l’infirmerie, ...) où les détenus puissent se servir discrètement. Les arguments selon lesquels « les gardiens en chiperont également » ou « les prisonniers les utiliseront pour autre chose » semblent dérisoires comparés au problème de santé publique posé. Doit-on voir dans cette carence un nouveau dérapage institutionnel, la gestion pénitentiaire étant du ressort du fédéral et la prévention du sida une matière régionalisée ?

 

Même si tout n’est pas parfait, il faut reconnaître à la médecine pénitentiaire un rôle social: beaucoup de détenus étant dépourvus de mutuelle à l’extérieur, ils sont certainement mieux soignés en prison qu’avant ou juste après leur incarcération. La situation semble en tout cas s’améliorer, comme le témoigne la mise en place actuelle d’un réseau informatique reliant toutes les prisons belges, ce qui permettra au dossier médical de le suivre plus rapidement lorsqu’il est transféré vers un autre établissement. Une première européenne, semble-t-il...

 

                                                                             Samuel Grumiau

 

Dernier article

photoLe rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar

Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.

Lire la suite

Dernière interview

photo« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »

La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.

Lire la suite

Dernière photo

image