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Contradiction « positive »

(mai 1998)

(Reportage publié dans un dossier sur la médecine en prison réalisé pour le bihebdomadaire belge Le Journal du Médecin paru le 12 mai 1998)

 

           

La prison pour femmes de Hindelbank, à vingt kilomètres au nord de Berne, est équipée depuis 1994 d’un appareil permettant aux détenues d’échanger leurs seringues usagées contre des neuves. Depuis, aucune nouvelle infection au VIH ou hépatite n’a été décelée dans la population carcérale. Mais la consommation de drogue y reste interdite...

 

La petite révolution des mentalités qui a mené à l’installation, à Hindelbank, d’un appareil échangeur de seringues, est l’oeuvre du staff médical de la prison. Suite à l’augmentation du nombre de détenues toxicomanes, le médecin et les infirmières se sont retrouvés face à des demandes croissantes d’aiguilles propres au cours de leurs consultations: celles amenées en prison par « bodypack » (vagin ou intestins des détenues rentrant de congé) ne suffisaient plus à satisfaire les besoins et les prisonnières, conscientes des risques encourus lors du partage des seringues, s’adressaient au personnel médical pour en obtenir. Théoriquement, celui-ci devait refuser d’accéder à ces demandes. En pratique, il constatait une hausse des transmissions du virus du sida et d’hépatites B et C au sein de la population carcérale. Il était temps d’agir...

 

La structure politique de la Suisse, divisée en cantons largement autonomes, n’a pas facilité la mise en route du projet. La prison de Hindelbank héberge en effet les femmes condamnées dans tous les cantons germanophones de la Confédération. Ceux-ci financent le centre pénitentiaire en fonction du nombre de détenues de leur territoire qu’il abrite. Il faut donc obtenir l’accord de tous les cantons de langue allemande avant d’introduire une modification importante dans son fonctionnement. Dans le cas de l’échange de seringues, les discussions ont duré trois ans. Outre les problèmes éthiques, il a fallu tenir compte des réticences des gardiens, inquiets à l’idée que les détenues se servent des aiguilles comme d’une arme. Aucune agression de ce genre n’a cependant été commise depuis 1994. « Cela peut toujours arriver, déclare le médecin de la prison et promoteur du projet, Martin Bachmann, mais les seringues circulaient déjà avant d’installer l’appareil. A choisir, je préfère être attaqué à l’aide d’une aiguille qui n’a servi qu’à une femme plutôt qu’avec une qui a été partagée entre dix codétenues. De plus, les seringues doivent toujours se trouver dans l’armoire personnelle des détenues alors qu’avant, elles les cachaient n’importe où dans leur cellule. Les surveillants risquaient alors de se blesser en effectuant les fouilles ».

 

                                    Contradiction positive

 

A leur entrée à Hindelbank, les condamnées reçoivent une fausse seringue qu’elles peuvent introduire dans l’appareil échangeur pour en obtenir une vraie. L’engin est situé dans les toilettes afin que les détenues puissent s’en servir sans être aperçues par les surveillants: même si la prison fournit les aiguilles, leur utilisation reste prohibée. La prisonnière qui serait surprise à consommer de la drogue est punie par un séjour au cachot ou la suppression de congés pénitentiaires. « Cela peut sembler contradictoire, reconnaît M. Winkler, membre de la direction d’Hindelbank, mais si l’on considère ses effets positifs sur la santé publique, nous préférons vivre avec cette contradiction ». A l’inverse, la détenue qui peut prouver qu’elle ne consomme pas de stupéfiants est récompensée par le gain de « points » qui lui permettront de partir plus rapidement et plus longtemps en congé. « Elle doit alors donner régulièrement des échantillons d’urine, qui sont analysés pour vérifier qu’elle n’a pas pris de drogue, explique le Dr Bachmann. Ce système vise particulièrement les toxicomanes qui ont contracté une hépatite chronique ou le virus HIV. En général, elles ne sont plus motivées pour arrêter la consommation de drogues. En lui offrant des congés supplémentaires ou d’autres avantages, on rend l’abstention intéressante pour tout le monde ».

 

                                  Importance du suivi

 

Le programme d’échange de seringues est accompagné d’un suivi médical et psychologique des détenues toxicomanes. Une infirmière est employée à mi-temps dans ce but. « Je rencontre toutes les détenues à leur entrée, explique-t-elle. Je les conseille en ce qui concerne les risques de transmission d’hépatite et de sida par voie sexuelle ou par échange d’aiguilles. Les toxicomanes ont notamment la possibilité de se faire vacciner contre l’hépatite. Je leur explique  pourquoi l’appareil échangeur existe et comment se servir des seringues pour ne pas se blesser en se piquant ». Au cours des premières semaines qui ont suivi l’installation de l’engin dans les toilettes, peu de détenues s’en sont servi, sans doute par crainte d’être surveillées. Vint ensuite une période où les seringues s’en allaient comme des petits pains. « Je pense qu’elles ont cru qu’on finirait par enlever l’appareil, explique le Dr Bachmann. Certaines femmes ont fait leurs réserves. Dans une cellule, on a retrouvé dix seringues neuves ». Ces derniers mois, une moyenne de deux seringues est échangée chaque jour, mais ce chiffre varie beaucoup en fonction de la quantité de drogue disponible et du type de détenues. « L’appareil est utilisé plus souvent lorsqu’il y a un grand nombre de toxicomanes condamnées à de courtes peines, déclare l’infirmière spécialisée dans ce domaine, Daniella Desantis. Elles sont en effet moins motivées par un sevrage car elles se disent qu’elles replongeront de toute façon dans leur environnement après quelques mois. Par ailleurs, elles ont droit à plus de congés et ont donc plus souvent l’occasion de faire entrer des stupéfiants dans la prison ». A noter que les détenues non-toxicomanes sont l’objet de fortes pressions de la part des autres pour ramener de la drogue par « bodypack », car elles savent qu’elles seront fouillées plus légèrement.     

 

                            Confiance accrue dans le staff médical

 

Le nombre d’overdoses dans la prison a nettement diminué depuis l’instauration du projet. Il s’est stabilisé autour d’une ou deux par an. Martin Bachmann: « Avant 1994, lorsque de la drogue entrait à Hindelbank après une absence plus ou moins longue, il arrivait qu’un groupe de détenues se la partage. Par exemple, elles plaçaient un gramme dans une seringue et étaient obligées de consommer très rapidement pour la passer à leur amie avant la fermeture des cellules, le soir. On déplorait plusieurs overdoses par semaine ». Cette pratique a aujourd’hui disparu. Seules les détenues « amies » se partagent encore de temps à autre une aiguille pour se prouver leur confiance mutuelle. Grâce au climat de confiance établi entre les détenues et le staff médical, il arrive par ailleurs que certaines toxicomanes rendent de la drogue aux infirmières afin qu’elles la détruisent. « Auparavant, je devais lutter avec les prisonnières pour ne pas leur donner la seringue qu’elles réclamaient, remarque le Dr Bachmann. Aujourd’hui, il est plus facile de parler thérapie ».       

 

Un rapport commandé par l’Office fédéral suisse de la santé publique à la Clinique psychiatrique de Berne souligne la réussite du programme mis en place dans la prison pour femmes. Un nombre croissant de pénitenciers helvètes suit à présent son exemple. Autre nouveauté introduite à Hindelbank: constatant que bon nombre de détenues se livraient à la prostitution pendant les congés pénitentiaires, le staff médical a obtenu qu’on leur offre des préservatifs à leur sortie. Un contraste de plus par rapport à la Belgique, où l’on doit encore se battre pour en obtenir gratuitement... à l’intérieur des prisons.

 

                                                                               Samuel Grumiau

 

 

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