Les victimes de l'amiante s'organisent
(janvier 2001)
(Article paru dans le Journal du Médecin du 23 janvier 2001)
Les personnes atteintes de mésothéliomes et d’asbestose ne souffriront plus en silence. Leur nouvelle association, l’ABEVA, veut amener pouvoirs publics et entreprises à prendre leurs responsabilités tout en sensibilisant le corps médical (1).
Souvent isolées, toujours rongées par des maladies douloureuses et invalidantes, les victimes de l’amiante ont décidé de se regrouper. L’ABEVA – Association belge des victimes de l’amiante – vient ainsi de voir le jour. Elle se veut un centre de conseil qui va aiguiller le patient vers le service approprié : médecin généraliste ou pneumologue pour les aspects médicaux, cabinets d’avocats pour les actions en justice. L’association sera aussi un lieu d’échange d’expériences vécues, l’occasion de créer des liens de solidarités entre victimes.
« Nous voulons demeurer une petite structure indépendante, mais également jouer un rôle d’aiguillon vis-à-vis de l’Etat et de l’industrie, explique l’un de ses fondateurs, le Dr Vandenbroucke. Nous voulons obtenir, pour toutes les victimes, la réparation la plus complète possible des préjudices résultant d’une exposition à l’amiante. Dans la situation actuelle, seuls les salariés des entreprises qui cotisent au Fonds des maladies professionnelles (FMP) sont susceptibles d’être reconnus comme victimes. Les travailleurs indépendants, le personnel des sociétés qui ne cotisent pas au FMP (SNCB, la Poste, l’armée, …), ne bénéficient d’aucune indemnisation ou réparation, tout comme de nombreuses victimes contaminées à la suite d’une exposition non-professionnelle : famille en contact avec le travailleur, personnes habitant dans le voisinage des usines ou victimes d’exposition passive dans des locaux pollués par l’amiante ».
Etablir le lien entre la maladie et l’exposition à l’amiante est parfois difficile tant la période de latence des maladies liées à l’asbeste peut être longue. De plus, dans le cas du mésothéliome, il n’existe pas de dose-seuil à partir de laquelle l’exposition à l’amiante est dangereuse : tout dépend de la sensibilité de l’individu. « Il n’est pas nécessaire d’avoir travaillé longtemps dans une société où il y a de l’amiante pour développer un mésothéliome, déclare le Dr Vandenbroucke. Un seul intérim peut suffire. C’est pour ça qu’entre 65 et 75% des mésothéliomes ne sont pas dus à un travail prolongé mais à l’environnement ». Difficile, dans ce cas, de faire valoir ses droits à une réparation. C’est pourtant ce que tente de faire une famille qui a longtemps habité à Kapelle-op-den-Bos, à deux pas de l’usine Eternit. Jusqu’il y a peu, cette entreprise intégrait de l’amiante à ses produits. Le père, ingénieur, avait été prié par son employeur d’habiter dans un rayon de 10 kilomètres autour de l’usine. En 1987, il décède d’un mésothéliome. Douze ans plus tard, on diagnostique le même cancer chez son épouse, qui n’a jamais travaillé chez Eternit. Des plaques pleurales sont également décelées chez deux des cinq enfants. La maman, Françoise Jonckheere, dépose alors plainte contre Eternit, à qui elle réclame des dommages. Elle est toutefois décédée des suites de son mésothéliome en juillet dernier. Depuis, l’affaire est toujours en cours.
Syndrome de Stockholm ?
Tous les habitants de Kapelle-op-den-Bos ont inhalé, durant des années, la poussière d’amiante dégagée par Eternit. Madame Jonckheere est pourtant la seule à avoir osé l’attaquer. En Belgique, c’est d’ailleurs la première action en justice d’une victime « environnementale » de l’amiante (par opposition aux victimes contaminées sur leur lieu de travail). « Il y a une espèce de syndrome de Stockholm : les gens vivent dans des maisons qui appartiennent à l’entreprise Eternit, ils ont de la famille qui travaille directement ou indirectement pour des sociétés appartenant à Eternit, … Ils ont peur d’attaquer en justice, souligne le Dr Vandenbroucke. Nous voulons que les victimes puissent être reconnues et indemnisées sans être obligées d’aller en justice. Aux Etats-Unis et en France, des centaines de procès ont lieu, mais ils durent tellement longtemps que les victimes meurent avant leur aboutissement. L’ABEVA aura gagné si elle arrive à un changement réel en Belgique avec un minimum de recours en justice. Pour ça, il faudra beaucoup de bonne volonté, mais je crois qu’elle existe, tant du côté politique que de celui des industriels. Les dirigeants d’entreprise actuels ne sont pas directement à l’origine du problème. Nous voudrions pouvoir discuter avec eux, que chacun assume ses responsabilités »
L’ABEVA insiste sur la nécessité de modifier la législation afin de faire disparaître la notion de « faute intentionnelle » : en Belgique, un travailleur indemnisé par le FMP n’a quasiment aucune chance de gagner un procès contre un employeur qui, par souci d’économie, n’a pris aucune précaution pour le protéger contre l’amiante. Pour ce faire, il faudrait en effet que le travailleur prouve que son patron a intentionnellement provoqué sa maladie. Absurde. Tout comme le délai de prescription, qui est de 20 ans en Belgique alors que les maladies découlant de l’amiante apparaissent 20 ou 30 ans, parfois plus, après l’exposition. Autre problème dénoncé par l’ABEVA: la multiplicité des compétences ministérielles relatives à l’amiante. « Nous avons dû envoyer notre dossier à plus de dix ministères qui s’occupent, chacun partiellement, de l’amiante, dénonce le Dr Vandenbroucke. Nous voulons que soit crée une cellule de coordination au niveau fédéral, afin d’homogénéiser les actions des différents services ».
L’ABEVA est encouragée dans ses démarches par les succès de son homologue française qui, en cinq ans d’existence, est parvenue à obtenir en justice des indemnisations conséquentes pour 200 malades et la création prochaine d’un fonds d’indemnisation spécifique pour toutes les victimes de l’amiante, quelles que soient les circonstances de contamination.
Samuel Grumiau
ABEVA
Rue Saint Bernard 64
1060 Bruxelles
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Pour en savoir plus à ce sujet:
Encadré:
« A qui le tour ? »
Michel Verniers, 68 ans, ancien employé de l’entreprise Fabrecim Coverit, à Harmignies (près de Mons), était présent lors de la conférence de presse de lancement de l’ABEVA, en décembre dernier. Il est atteint d’asbestose et accuse l’ex-filiale d’Eternit, aujourd’hui fermée, qui était spécialisée dans les plaques ondulées et tuyaux à base d’amiante. « Dès qu’il fait un peu chaud, je deviens violet, je dois rester dans les endroits frais de la maison, impossible par exemple d’aller au jardin. Mon ancien directeur, lui, doit dormir avec l’assistance de bouteilles d’oxygène. Beaucoup de mes ex-collègues n’osent pas témoigner, tant ils sont gênés de se monter dans l’état où ils sont. Depuis la fermeture de l’usine en 1987, 68 sont déjà morts à cause de l’amiante. A chaque enterrement, on se regarde en se disant : à qui le tour ? Certains n’ont plus le courage de vivre dans ces conditions : en 1990, quatre de mes anciens collègues se sont tirés une balle dans la tête lorsqu’ils ont appris qu’ils avaient le cancer du poumon. Les patrons qui nous ont laissé travailler sans protection avec un produit aussi dangereux que l’amiante sont des assassins ».
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