Le rêve américain du Dr De Braekeleer
(1996)
(Article publié dans Le Journal du médecin du 13 septembre 1996)
De Huissignies, un village situé près de Beloeil, à Chicoutimi, petite ville perdue au fin fond du Québec, le trajet de Marc De Braekeleer ne manque pas d’originalité. C’est celui d’un médecin généraliste devenu un spécialiste mondialement reconnu dans la recherche sur les maladies héréditaires.
« J’ai toujours été intéressé par la recherche, confie Marc de Braekeleer. Dès mes humanités, à l’Athénée d’Ath, j’avais réalisé un travail sur les grenouilles qui a obtenu le premier prix de la Société de zoologie de Belgique. Je me suis ensuite installé comme médecin: dans les années 1975, en Belgique, il était difficile de vivre de recherches ». Le docteur ne perd cependant pas de vue ses premières amours: il consacre son temps libre à la mise au point d’une base de données sur le cancer. Il finance ensuite avec ses propres deniers une série de voyages aux Etats-Unis, où il assiste à des congrès afin de rencontrer d’éminents scientifiques à qui il veut « vendre » son projet: une étude génétique de la leucémie. L’Université de Calgary, au Canada, se montre intéressée et lui permet d’obtenir une bourse post-doctorale de quatre ans de la part du gouvernement de l’Alberta.
L’étonnement est grand à Huissignies lorsque le Dr De Braekeleer annonce son départ, en 1983. Il s’était en effet forgé une large clientèle dont il était très apprécié et venait de construire une maison. Fils unique, il emmène femme et enfant dans son aventure canadienne. « Certains de mes patients n’ont toujours pas compris pourquoi je suis parti, confie le médecin en exil. Inconsciemment, je pense que je craignais de m’enliser dans une espèce de routine: en hiver, je voyais des grippes, et encore des grippes, toujours des grippes! Et puis, il y avait surtout l’attrait de la recherche ». La transition a été rude: du jour au lendemain, la famille De Braekeleer est passée d’un village de 1.100 âmes, où tout le monde se connaît, à une ville anglophone de 500.000 habitants où personne ne parle français.
Professeur d’université
Les quatre ans passés à Calgary permettront à Marc De Braekeleer de se familiariser avec l’Amérique du Nord. « Ici, si tu as de bonnes idées et que tu travailles dur, il y a moyen de passer au-dessus des contraintes hiérarchiques. A la différence de la Belgique, on donne « sa chance au coureur » !». Au terme de sa bourse, notre compatriote apprend que l’on cherche un spécialiste de la génétique à Chicoutimi, une ville située dans une région reculée, à 200 kilomètres au nord de Québec. Il y devient professeur d’université et donne cours aux infirmières (au Québec, celles-ci doivent suivre trois ans d’études universitaires après leur formation de base pour occuper des postes plus élevés dans un hôpital). Des cours de génétique d’abord, d’épidémiologie et de « technique d’évaluation de l’état de santé » ensuite. « Il est préférable que ces deux dernières matières soient enseignées par un médecin, or je suis le seul ancien praticien de l’Université de Chicoutimi. Les cours ne me prennent toutefois que huit heures par semaine, le reste étant consacré à la recherche ».
Boom démographique
Chicoutimi est au coeur de la région du Saguenay - Lac St-Jean, où les maladies héréditaires sont beaucoup plus fréquentes qu’ailleurs. Des raisons historiques sont à la base de ce phénomène. Les cinq millions de Québécois « pure souche », c’est-à-dire descendant directement de la première vague d’immigrants du dix-septième siècle, sont issus d’un très petit nombre de pionniers français: 8.500 individus, dont seulement 1.600 femmes. On comprend dès lors que les affections héréditaires s’y soient particulièrement bien développées. C’est d’autant plus vrai dans une région éloignée comme le Saguenay - Lac St-Jean, où peu d’immigrants se sont aventurés. Encore aujourd’hui, se rendre à Chicoutimi au départ de Québec relève quasiment de l’épopée: une seule route traverse 200 kilomètres de collines boisées sans rencontrer le moindre village. Certains automobilistes y mourraient encore de froid jusqu’il y a peu si leur voiture tombait en panne la nuit: en hiver, la température peut descendre jusque 40 degrés sous zéro et si aucun autre véhicule ne passait, c’était le drame. Des patrouilles de police sillonnent à présent l’axe routier pour secourir les chauffeurs malchanceux.
Pionnier de la recherche en génétique
C’est dans cette contrée peu hospitalière que s’est installé le Dr De Braekeleer. « Lorsque je suis arrivé à Chicoutimi, en 1986, personne ne s’était encore vraiment consacré à la recherche en génétique, explique-t-il. Je me suis donc trouvé dans des conditions idéales pour travailler. Ma première tâche a été de dresser un inventaire des maladies présentes dans la région: certaines étaient connues ailleurs, d’autres pas. J’ai ensuite réuni une équipe pluridisciplinaire qui a réalisé une série d’études génétiques, démographiques, géographiques et historiques. Notre but était de comprendre à travers l’histoire de la population québécoise comment on en est arrivé à la situation actuelle. Cela a duré environ six ans et nous savons maintenant pourquoi les maladies héréditaires sont plus nombreuses ici ».
28.000 Tremblay !
Marc De Braekeleer mène actuellement des études plus ponctuelles sur la distribution géographique de ces affections dans la région du Saguenay - Lac St-Jean. « Les 285.000 habitants se répartissent en 66 villes et villages. Grâce aux informations que me communiquent les médecins, j’essaie de découvrir si certaines maladies ne sont pas plus fréquentes dans l’une ou l’autre localité, ce qui peut avoir des implications en termes de conseils génétiques. On s’est aperçu par ailleurs que les risques d’affections sont plus importants dans certaines familles. Le problème est qu’une partie importante de la population se partage les mêmes noms. Ainsi, 10% des habitants du Saguenay - Lac St-Jean s’appellent Tremblay et sont issus du même couple pionnier! ».
Exclusivité malheureuse
La région de Chicoutimi a le triste privilège d’être la seule au monde à connaître de graves maladies neurologiques comme la polyneuropathie ou l’ataxie de Charlevoix - Saguenay, toutes deux caractérisées par une atteinte musculaire progressive. Une autre affection héréditaire, l’acidose lactique, s’y rencontre presque exclusivement: « les enfants fabriquent dans ce cas trop d’acide lactique. Il passe dans le sang puis dans le cerveau, ce qui provoque la mort avant l’âge de deux ans, explique le Dr De Braekeleer. Une équipe a été mise sur pieds avec des spécialistes de Toronto, de Montréal, des pédiatres d’ici et moi-même pour mieux comprendre comment évolue cette maladie et trouver des traitements plus appropriés ». Les recherches en laboratoire dans le domaine de la thérapie génétique sont menées à Québec et à Montréal, l’Université de Chicoutimi ne possédant pas les infrastructures nécessaires.
Certaines maladies relativement rares chez nous, comme les myopathies, la mucoviscidose ou la dystrophie de Steinert, le sont beaucoup moins dans le Saguenay - Lac St-Jean. « La mucoviscidose, qui frappe une naissance sur 2.500 en Belgique, concerne ici un cas sur 900, précise Marc De Braekeleer. Des cliniques spécialisées ont d’ailleurs été crées pour la soigner. L’expérience que nous avons accumulée est vraiment unique au monde, à tel point que nous allons écrire un livre sur la question en collaboration avec un spécialiste de la région de Brest, en France, où l’on a également noté une fréquence plus élevée de mucoviscidose ».
Outre les visites familiales, le Dr de Braekeleer revient régulièrement en Europe pour donner des conférences sur les maladies héréditaires. Lors de son passage à Calgary, il a développé deux méthodes d’analyse statistique du cancer qui ont été publiées et pour lesquelles il reçoit régulièrement des demandes de collaboration: de New York à Vienne en passant par l’Inde ou l’Arizona, notre compatriote a ainsi l’occasion de découvrir de nouvelles manières de travailler. Un enrichissement de plus pour ce médecin généraliste qui a su forger son propre destin.
Samuel Grumiau
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