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Ryanair - Valeurs sociales opposées à celle des tickets ?

(2004)

(Article paru dans le mensuel belge d'Amnesty, "Libertés!", en novembre 2004) 

 

 

Ryanair 

 

Valeurs sociales opposées à celle des tickets ?

 

Ryanair s’est fait un nom en Europe grâce aux tickets à bas prix vendus à une partie de ses passagers. Elle est aussi l’une des compagnies aériennes les plus rentables du moment. Sur le dos des pratiques sociales ?

 

Fin des vacances chahutée pour Ryanair cette année. Dès le 1er septembre, en Suède, un syndicat organisait des manifestations sur plusieurs aéroports contre les conditions de travail imposées par la compagnie aérienne irlandaise. « Nous voulons encourager les voyageurs à choisir une compagnie qui a de bonnes conditions de travail », déclare Bengt Olsson, de la Fédération des employés du secteur privé, HTF. Ce syndicat exige que les employés suédois de Ryanair aient droit aux mêmes avantages sociaux que leurs compatriotes des compagnies suédoises. Selon HTF, Ryanair peut faire travailler ses employés 64 heures par semaine et leur accorder seulement 20 jours de vacances par an alors que les conventions collectives limitent la semaine de travail à 38,5 heures et donnent droit à 25 jours de congés. 

 

La situation dénoncée par le syndicat suédois est répandue dans les autres pays où Ryanair opère, dont la Belgique : la compagnie à bas prix contraint ses employés à signer des contrats de travail irlandais, même lorsqu’ils opèrent à partir d’aéroports situés hors d’Irlande. Ryanair bénéficie ainsi de la législation du travail irlandaise, moins avantageuse pour les travailleurs que la plupart des autres législations européennes. Trois jeunes travailleurs belges dont les contrats n’ont pas été reconduits par Ryanair sont en procès depuis deux ans contre cette compagnie. « Puisque le contrat de travail est irlandais, Ryanair estime que la période d’essai pouvait porter sur un an alors qu’en Belgique, avec un salaire si bas, elle ne peut dépasser six mois, explique Tony Demonte, permanent syndical de la CNE (Centrale nationale des employés). Nous accompagnons ces personnes en Justice afin de faire falloir que le droit belge doit leur être appliqué, notamment parce qu’ils ont été engagés sur la base de leur lieu de résidence en Belgique et qu’ils étaient reliés à l’aéroport de Charleroi. Il ne s’agit donc pas d’une non-reconduction de contrat mais d’un licenciement, avec toutes les conséquences sur le plan des indemnités ».

 

                                    Pas de dialogue avec les syndicats

 

Les bénéfices réalisés par Ryanair ont régulièrement défrayé la chronique depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont précipité de nombreuses autres compagnies aériennes dans le rouge. Les syndicats expliquent que l’intelligence en affaires de son directeur général, Michael O’Leary, n’explique pas à elle seule cette situation : la façon dont il traite son personnel lui permet d’épargner beaucoup de coûts. Or, ils ne peuvent défendre ces travailleurs auprès de la compagnie vu qu’elle refuse tout dialogue avec eux et met tout en œuvre pour les décourager de s’y affilier. « Ryanair est la seule compagnie aérienne importante ou les syndicats n’ont pas été reconnus, explique Francois Ballestero, responsable de l’aviation civile au sein de la Fédération européenne des syndicats des travailleurs des transports. Ce n’est pas un hasard. Même les autres compagnies low cost reconnaissent les syndicats, sauf peut-être celles qui ont été crées les plus récemment et ou les travailleurs n’ont pas encore eu le temps de s’organiser ».

   

Personne n’a encore été licencié par Ryanair pour avoir mené des activités syndicales (ce serait contraire à la loi), mais le message antisyndical est parfois véhiculé de façon très directe à l’intérieur de l’entreprise. Un responsable de Ryanair à l’aéroport britannique de Stansted a ainsi soulevé l’indignation voici quelques semaines en envoyant un mémo au personnel lui conseillant de plutôt consacrer l’argent de leurs cotisations syndicales aux filles faciles ou aux courses de chevaux ou de chiens, expliquant que cela procurerait au moins quelques minutes de plaisir ! (1). Selon Ryanair, ses travailleurs ne désirent pas se syndiquer car ils bénéficient de salaires et d’options sur les actions plus avantageux que dans les autres compagnies. Un argument réfuté par les syndicats, mais sans possibilité d’en apporter toutes les preuves vu le manque de dialogue avec l’entreprise et la plupart de ses travailleurs.

 

                                    Beaucoup de travailleurs ont peur de parler

 

Pour un journaliste ou un syndicaliste, il est souvent difficile d’obtenir des informations sur les conditions d’emploi et de travail de la part de travailleurs ou d’ex-travailleurs de Ryanair. «Je parlais récemment à une personne qui a été licenciée de façon très offensante après dix ans d’emploi chez Ryanair, explique un syndicaliste irlandais. Elle se sent victime d’une injustice de la part de la compagnie, mais elle a trouvé un autre emploi et a peur de me parler : si elle fait la moindre chose qui déplait à la direction de Ryanair, elle pense que celle-ci téléphonera à son nouvel employeur et elle craint alors de perdre ce nouvel emploi. J’ai aussi appris à ne plus téléphoner à un travailleur de Ryanair sans avoir été introduit par une autre personne, car ils se demandent si je suis bien un syndicaliste, si je ne suis pas un employé de la compagnie qui vérifie s’il est intéressé par un contact syndical. C’est très difficile de convaincre les gens qu’en 2004, les majorités des travailleurs d’une entreprise européenne sont conditionnés de cette façon ».

  

Les syndicats dénoncent le recours par Ryanair au contrat individuel. « Ce système implique que des gens qui font le même travail peuvent être employés dans des conditions très différentes, souligne Trevor Phillips, en charge du dossier Ryanair au sein de l’association des pilotes britanniques BALPA (British  Air Line Pilots Association). En agissant ainsi, on peut facilement monter des gens les uns contre les autres. Nous admettons que les pilotes débutants aient un salaire différent de ceux qui ont beaucoup d’expérience, mais ils ne devraient quand même pas être exploités comme ils le sont parfois chez Ryanair. Ceux qui sont dans les meilleures positions sont très bien payés, mais les salaires sont vraiment maigres en bas de l’échelle ». Un ex-pilote irlandais dénonce lui aussi ce système : « Le modèle américain est très présent dans Ryanair. O’Leary a cassé toutes les barrières, il ignore toute règle et forme de comportement acceptée dans la société. Dans son système, les gens sont sans cesse en concurrence. Si quelqu’un proteste, il sera comparé à ceux qui subissent tout sans rien dire, il sera mis sous pression et comprendra que s’il persiste, il pourrait avoir des problèmes, perdre son emploi. L’absence de tout contrepoids syndical dans une compagnie aérienne comme celle-là amène toutes les choses qui sont mauvaises dans le capitalisme ».

 

La Fédération internationale des employés des transports a lancé un site internet public (2) sur lequel les employés de Ryanair peuvent exprimer leurs doléances. Selon les syndicats, c’est l’une des seules façons d’obtenir des témoignages directs de la part de travailleurs. Les syndicats de pilote sont en train, de leur côté, de créer un site réservé au personnel de la compagnie. Tous espèrent ainsi faire monter la pression sur Ryanair afin qu’elle améliore ses pratiques sociales. « Notre ambition n’est certainement pas de causer du tort à Ryanair, ni remettre en question sa volonté de viser le low cost, conclut Trevor Philips, mais bien d’en arriver à ce qu’elle traite ses travailleurs correctement ».

 

                                                                                          Samuel Grumiau

[1] The Guardian, 31 août 2004

[2] www.ryan-be-fair.org

 

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