Bhoutan : l’une des dernières monarchies absolues
(2004)
Bhoutan : l’une des dernières monarchies absolues
Tous les pouvoirs sont aux mains du Roi. Aucune contestation n’est tolérée. Au cœur de l’Himalaya oriental, le Bhoutan est resté une monarchie telle qu’il en existait, chez nous, voici plusieurs siècles. Un sixième de sa population est exilée dans des camps au Népal.
C’est l’histoire d’un petit pays oublié du monde. Le Bhoutan, niché aux confins du Tibet et de l’Inde, met tout en œuvre pour entretenir son mystère. Les premiers touristes étrangers n’ont été admis qu’en 1974, au compte-goutte. Aujourd’hui encore, ils ne sont que quelques milliers par an à recevoir un visa car la monarchie au pouvoir tient à préserver le pays des influences occidentales et sélectionne ses touristes, qui sont contraints d’ouvrir largement les cordons de leur bourse pour avoir le privilège de pénétrer dans le pays.
Héritier du trône en 1972, le Roi Jigme Singye Wangchuck, instruit à l’occidentale, gère son pays sans tolérer la moindre contestation. Le parlement est constitué pour les deux tiers de représentants nommés par les chefs de village, mais ses pouvoirs sont très limités et, dans la pratique, jamais il n’oserait s’opposer à des décisions du Roi. Les partis politiques sont interdits, le système judiciaire soumis au Roi. Lorsqu’on le critique de l’étranger pour sa gestion autocratique du pays, le souverain bhoutanais répond volontiers que « nous avons pour but le bonheur national brut, pas le produit national brut ». Derrière cette belle formule se cache une réalité moins sympathique : au Bhoutan, remettre en question l’autorité du Roi équivaut à une trahison, participer à une manifestation ou exiger des libertés démocratiques est synonyme d’activité « antinationaliste », avec à chaque fois des emprisonnements, tortures ou assassinats comme conséquence.
Un coup d’œil à l’histoire et à la géographie du royaume est nécessaire pour comprendre sa situation actuelle. Contrairement au reste du pays, essentiellement montagneux, le sud du royaume est constitué de terres situées à basse altitude. Elles ont longtemps été désertes car les populations montagnardes d’origine tibétaine, seules habitantes du pays durant de nombreux siècles, ont toujours rechigné à s’installer sur ces terres et à les cultiver, en raison notamment de la chaleur étouffante qui y règne. Consciente du potentiel agricole de cette région, la famille royale a toutefois invité, voici plus d’un siècle, des citoyens népalais à venir s’y établir moyennant le paiement de taxes.
C’est par milliers que les Népalais ont afflué de générations en générations, jusqu’à constituer une part non négligeable de la population du pays (aucune statistique officielle fiable n’existe à ce sujet, mais cette part varie de 15 à 40% selon les différentes estimations). Les contacts entre ces migrants et les Bhoutanais de souche (communément appelés « Dropkas ») étaient rares jusque dans les années 60, lorsqu’une route a été ouverte entre la capitale, Thimphu, et la frontière indienne (une route largement construite par le travail soi-disant volontaire des Bhoutanais du Sud). Cette route a contribué à augmenter les contacts entre Dropkas et habitants du sud du pays. La grande majorité d’entre eux avaient entre temps obtenu la citoyenneté bhoutanaise, mais sont restés de culture et de langue népalaise ainsi que de religion hindouiste.
Retrouver des documents de 1958 ou quitter le pays
Au fil des années, les habitants du sud du Bhoutan occupent de plus en plus de postes dans l’administration et inspirent une certaine crainte aux dirigeants des Dropkas, habitués à occuper les postes-clés des instances gouvernantes. En 1988, un recensement de la population est organisé dans le Sud du pays. S’ils veulent conserver leur droit à la citoyenneté bhoutanaise et celui de rester dans le pays, les habitants doivent prouver qu’eux-mêmes ou leurs parents y sont installés sans interruption depuis 1958. Les preuves doivent être des documents officiels, par exemple les reçus de paiement de la taxe d’occupation de la terre. Tous ceux qui ne peuvent présenter de tels documents sont priés de quitter le pays « volontairement ». Des manifestations contre cette mesure rétroactive et en faveur de mesures de démocratisation ont lieu dans le sud de pays. Elles sont suivies d’une longue liste de répression par les autorités bhoutanaises : arrestations arbitraires, détentions sans jugement, tortures, viols collectifs, destruction de maisons de Bhoutanais d’origine népalaise, etc.
Dès le début des années 90, le mot « Lhotshampa », qui désigne les Bhoutanais du Sud, d’origine népalaise, devient quasi synonyme d’opposant au régime pour l’élite au pouvoir. « Parallèlement aux répressions des manifestations, le gouvernement a imposé de plus en plus de brimades pour nous inciter à quitter le pays, explique Uttam Adhikari, un Bhoutanais du sud qui, pour avoir protesté contre ces mesures, a été arrêté puis torturé par les autorités et demande à présent l’asile politique en Belgique (1) : interdiction de la langue népalaise à l’école, obligation de porter le costume traditionnel bhoutanais (adapté aux hautes montagnes mais pas à la chaleur des régions méridionales), obligation de suivre les habitudes culinaires et les rites religieux bhoutanais, très différents de la tradition népalaise, etc ». Certaines professions sont interdites aux Bhoutanais parlant le népalais (administration, enseignement, ...). « Une nation, un peuple » est devenu le leitmotiv d’un gouvernement déterminé à faire fuir les Bhoutanais d’origine népalaise.
Bhoutan et Népal se renvoient 100.000 réfugiés
Des expulsions massives de citoyens d’origine népalaise ont commencé en 1991, sous la menace de tortures et d’emprisonnements. 100.000 réfugiés, le sixième de la population bhoutanaise, se sont ainsi retrouvés dans des camps situés à l’est du Népal, après un passage par l’Inde. Les gouvernements du Bhoutan et du Népal se sont plusieurs fois rencontrés depuis lors pour tenter de régler la question de ces réfugiés, mais sans grande avancée jusqu’à présent, le Bhoutan n’acceptant le retour que d’une infime partie d’entre eux et le Népal refusant de les laisser intégrer la population népalaise. Les terres qu’occupaient ces réfugiés dans le sud du Bhoutan ont entre temps été redistribuées à des Dropkas.
Les très graves violations des droits humains dont sont victimes les Bhoutanais d’origine népalaise n’ont, curieusement, jamais attiré l’attention de la communauté internationale. Hormis les touristes, quelques journalistes ou chercheurs reçoivent l’autorisation de séjourner dans le pays de temps à autre, mais la plupart d’entre eux se gardent bien de s’impliquer dans les dénonciations des exactions par la suite, peut-être par peur de ne plus recevoir de visa à l’avenir. Les 100.000 Bhoutanais contraints à l’exil au Népal ne demandent eux qu’une chose : pouvoir rentrer sur leurs terres et recommencer à vivre normalement, sans risque de torture ou d’emprisonnement. Cette demande ne trouve pour l’instant aucun écho du côté des promoteurs du « bonheur national brut », obsédés qu’ils sont par la promotion de leur propre bonheur.
Samuel Grumiau
(1) L’histoire d’Uttam Adhikari est relatée dans le magazine d'Amnesty-Belgique francophone, "Libertés !", de septembre 2003, page 6.
Le Bhoutan en bref
Capitale : Thimphu
Population : environ 600.000
Superficie : 46.500 km² (1,5 fois la Belgique)
Langue officielle : le dzonkha (dialecte tibétain)
Chef de l’Etat : le Roi Jigme Singye Wangchuck
Régime : monarchie
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