Prévenir les ventes d'enfants
(2003)
(Article publié dans le Journal du Médecin du XXX 2003, dans le cadre d'un dossier sur le Cambodge)
PREVENIR LES VENTES D’ENFANTS
Poipet, ville-frontière avec la Thaïlande, génère la misère et le trafic d’être humains vers Bangkok ou Pattaya. Une ONG tente d’y relancer l’espoir à travers un dispensaire et un centre d’accueil pour enfants.
S’il est un endroit détestable au Cambodge, c’est celui-là… Lorsqu’ils arrivent à Poipet, ville-frontière avec la Thaïlande, même les plus endurcis des routards prennent leurs jambes à leur cou : misère et saleté épouvantables, corruption des policiers, trafic d’enfants vers Bangkok, Poipet est encore plus répugnante à la saison des pluies, lorsque toutes ses rues ensevelies sous des tonnes de boue. Pour les Khmers (1), Poipet est pourtant synonyme de rêve, d’Eldorado. C’est le point de passage principal du commerce entre le Cambodge et son bien plus riche voisin, la Thaïlande. Chacun espère y trouver un emploi dans l’un des casinos fréquentés par les Thaïlandais (les casinos sont interdits dans l’ancien Siam), développer un business, vendre quelque marchandise de l’autre côté de la frontière, etc. En deux ans, la population de Poipet est ainsi passée de 50 à 70.000 habitants. Rares sont toutefois les nouveaux arrivants qui y trouvent de quoi survivre. Les bonnes places sur les marchés sont déjà prises, l’offre de main-d’œuvre est trop abondante et ce sont surtout les bidonvilles qui ont connu une forte croissance ces derniers temps. La désillusion est énorme pour de nombreuses familles qui, acculées par la misère et la faim, finissent par accepter les propositions des trafiquants d’êtres humains. Le contrat verbal est simple : j’emmène votre enfant en Thaïlande et je vous donne une somme d’argent, maintenant ou tous les mois.
« Hello, 10 Bahts ! »
Immigrés clandestins en Thaïlande, les enfants khmers y sont à la merci du trafiquant. Ils sont contraints de mendier (certains après avoir été mutilés pour inspirer plus de pitié), de vendre des bonbons ou des fleurs dans la rue, parfois de se prostituer… Bangkok et Pattaya, où séjournent de nombreux touristes occidentaux, ont la cote auprès des « employeurs ». « La journée, je dormais chez mon patron, explique Borei, un garçon de 8 ans qui a passé un an à Pattaya. La nuit, je devais vendre des chewing-gums aux étrangers. Je connais d’ailleurs deux mots d’anglais : Hello, ten Bahts ! (2) Il y a moins de patrouilles de police la nuit, mais je me suis quand même fait arrêter. Comme je n’avais pas d’argent à donner au policier, il m’a enfermé au poste ». Des centaines de Cambodgiens sont ainsi arrêtés, chaque mois, par les autorités thaïlandaises, qui les renvoient à Poipet. Certains enfants ont la chance d’être pris en charge par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui organise un retour plus humain vers le Cambodge. Là, l’OIM collabore avec l’Unicef et une ONG suisse, « Goutte d’eau », afin d’essayer d’offrir un début d’avenir à ces enfants.
L’objectif de l’OIM est de pouvoir réintégrer l’enfant dans sa famille si on la retrouve. Pour chaque cas, une évaluation est faite : a-t-on suffisamment de garanties que les parents ne vont plus renvoyer leurs enfants vers la Thaïlande ? Dans deux tiers des cas, la réintégration familiale est jugée possible. Pour les autres, l’enfant est accueilli dans des sortes d’orphelinats gérés par des ONG cambodgiennes. Si les enfants retournent chez leurs parents, ceux-ci doivent s’engager à les envoyer chaque jour dans un centre d’accueil de la « Goutte d’eau ». Ils y reçoivent gratuitement le repas de midi, un suivi médical et des cours de rattrapage scolaire. Les parents peuvent également contracter un petit prêt afin de se relancer dans la vie. « Beaucoup d’entre eux ont perdu toute confiance en eux après leur échec à Poipet, ils sont encore traumatisés par les horreurs qu’ils ont vécues sous Pol Pot et pendant la guerre, explique Suo-Malai, travailleur social pour l’ONG suisse. Grâce un prêt d’environ 800 francs, une maman a par exemple pu s’acheter une petite charrette avec laquelle elle va vendre ses légumes. Elle a maintenant un revenu et n’a plus besoin d’envoyer sa fille de 12 ans en Thaïlande ».
Un dispensaire au milieu de la boue
Faute de moyens financiers, le dispensaire de la « Goutte d’eau » se résume à très peu : une pièce au premier étage d’une maison en bois avec une table d’auscultation, deux chaises, quelques fioles et ustensiles pour prodiguer les premiers soins. C’est peu, mais au moins, c’est gratuit, au contraire du petit hôpital gouvernemental de Poipet, où les habitants des bidonvilles n’ont pas les moyens d’être soignés. Pour les cas graves, la « Goutte d’eau » transfère le patient vers Siem Reap, l’hôpital complet le plus proche… à cinq heures de voiture sur des routes d’un autre âge. « Beaucoup de maladies sont dues à l’absence d’hygiène, note l’infirmière du dispensaire. L’eau n’est pas propre et les gens ne savent pas qu’il faut la bouillir avant de la boire. Nous voyons donc beaucoup de diarrhées, de maladies de l’estomac, etc. Il y a aussi de nombreux cas de tuberculose, mais les patients arrêtent de prendre les médicaments dès que les symptômes disparaissent, la maladie revient donc et tue souvent à Poipet. Dans les bidonvilles, les gens sont vraiment très pauvres, ils ne peuvent se nourrir correctement. Sur 10 enfants que nous auscultons, 7 présentent des signes de malnutrition Et puis, vous avez vu l’état de nos rues…toute la population de la ville vit dans la boue, qui rentre jusque dans les maisons ». Les jours où il pleut beaucoup, il est quasiment impossible d’atteindre le centre d’accueil de la « Goutte d’eau » et son dispensaire car on s’enfonce dans des dizaines de centimètres de boue sur les rues. Il faut bien du courage aux travailleurs sociaux pour continuer dans de telles conditions.
Difficile d’admettre, pour un Occidental, que des parents puissent en arriver à confier leur enfant à un trafiquant en échange d’une petite somme d’argent, même si c’est pour partir vers une « riche » Thaïlande dont rêvent les Khmers. Plongés dans la misère et le désespoir de Poipet, à peine sortis de décennies de guerres et de génocide, certains Cambodgiens n’ont, cependant, plus les mêmes repères qu’ailleurs. Leur gouvernement étant inefficace, seules des initiatives comme celles de la « Goutte d’eau » et de l’OIM peuvent donner un peu d’espoir aux familles pauvres. 800 francs pour relancer une vie de famille, ce n’est vraiment pas beaucoup…
Samuel Grumiau
(1) Les Khmers sont les habitants du Cambodge
(2) Hello, 10 francs
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