Cambodge: Les soins de qualité passent par des médecins décemment payés
(2003)
(Article publié dans le Journal du Médecin du XXX 2003, dans le cadre d'un dossier sur le Cambodge)
LES SOINS DE QUALITE PASSENT PAR DES MEDECINS DECEMMENT PAYES
L’inefficacité du système de soins de santé cambodgiens s’explique en partie par les salaires dérisoires que l’on y gagne. MSF-Belgique prouve à Sotnikum qu’en payant décemment le personnel médical, on peut éliminer les pratiques malhonnêtes.
Pour un salaire compris entre 500 et 800 francs par mois, on ne peut demander de miracles aux médecins khmers. Au Cambodge pas plus que dans un autre pays, personne ne peut vivre dans des conditions décentes avec si peu d’argent. Les praticiens ont donc recours à toute une série de ficelles pour s’en sortir, ternissant l’image de la médecine publique auprès de la population. Les médicaments reçus gratuitement par les hôpitaux de la part de l’Etat sont ainsi revendus assez cher par leurs médecins aux patients. Les actes médicaux, censés être inclus dans le prix d’entrée à l’hôpital, sont facturés en noir, tout comme les opérations chirurgicales, qui peuvent s’élever à près de 10.000 francs. D’autres médecins, employés à temps plein par hôpital, n’y passent que deux heures par jour, le temps de repérer quelques malades à qui ils demandent de venir à leur consultation privée. Les plus honnêtes ouvrent un petit commerce, dans les domaines les plus divers, simplement pour avoir de quoi survivre.
La personne malade qui pénètre dans un hôpital public ne sait donc jamais à l’avance combien elle va devoir payer. Beaucoup s’endettent pour être soignés, à tel point que les soins médicaux sont considérés comme l’un des principaux facteurs contribuant à maintenir la pauvreté au Cambodge. Les familles démunies tentent toutes les solutions avant de se déplacer à l’hôpital, souvent distant de plusieurs dizaines de kilomètres : elles s’adressent en premier lieu au guérisseur traditionnel ou au « vendeur de médicaments » du village, qui ont pour avantage de faire crédit et d’adapter leurs tarifs aux revenus du patient. « Ca marche » dans la majorité des cas… autrement dit, la maladie part d’elle-même. Pour les affections les plus graves, il n’en va bien sûr pas ainsi, mais l’on attend la dernière minute pour investir dans la consultation d’un médecin. Les transports publics étant quasiment inexistants dans les villages, on voit des personnes dans le coma amenées en moto à l’hôpital, coincées entre le chauffeur et un proche installé à l’arrière du siège ! D’autres « urgences » font le trajet à pied, en char à bœufs, etc. Beaucoup meurent en cours de route.
Rémunérer en fonction de la qualité des prestations
Face à cette organisation des soins médicaux d’un autre âge, la section belge de Médecins sans frontières a décider d’innover. L’idée : adapter les salaires des praticiens à ce qu’ils estiment nécessaire tout en exigeant en échange des prestations honnêtes et sérieuses. Un projet-pilote a été créé à Sotnikum, non loin des temples d’Angkor, dans un district de 220.000 habitants qui compte un seul hôpital. « Nous avons conclu avec le personnel qu’une moyenne de 2.700 francs par mois serait acceptable comme salaire, explique le Dr Johan von Schreeb, chirurgien et coordinateur du projet de Sotnikum. Cette moyenne tient compte des différences de revenu entre médecins et ouvriers d’entretien, mais n’est pas acquise d’avance. Par exemple, le salaire d’un praticien varie en fonction de la qualité des soins qu’il dispense et du temps qu’il passe à l’hôpital. Un comité composé du directeur de l’établissement, de représentants des différents services et de MSF se réunit chaque mois pour évaluer les prestations. Un médecin peut ainsi gagner jusqu’à 4.600 francs par mois s’il travaille bien. Mais s’il est négligent, ses revenus peuvent baisser sérieusement ». Autre changement suggéré par MSF : désormais, les patients paient 300 francs pour être admis à l’hôpital et ce montant couvre l’intégralité des frais de leur séjour. « Nous avons réalisé une étude qui montre que dans l’ancien système, 80% des malades avaient déjà dépensé 500 francs en traitements inadaptés avant même de se présenter à l’hôpital », ajoute le Dr von Schreeb.
Les résultats de la réforme ne se sont pas faits attendre : on trouve désormais des médecins et des infirmières 24 heures sur 24 à l’hôpital de Sotnikum, avec un degré de satisfaction nettement plus important chez les patients et le personnel. Un praticien raconte ainsi qu’il peut désormais faire de la médecine et non plus du business : avant, il devait prescrire ce que son patient voulait, sans quoi il craignait de le voir partir chez un concurrent. Or, parmi les traitements favoris des Khmers, on trouve par exemple les infusions de glucose ou les injections… quel que soit le mal dont ils souffrent ! L’éthique médicale était donc régulièrement bafouée, surtout si l’on sait que malaria et tuberculose figurent parmi les maladies les plus fréquentes dans cette partie du Cambodge. Désormais, à Sotnikum, les revenus des médecins ne dépendent plus de leur complaisance à prescrire tel ou tel produit inefficace, mais bien de la façon dont ils les guérissent. Les renvois aux consultations privées ont quasiment disparu. Et du côté des patients, on est certains de ne plus être escroqués en cours d’hospitalisation.
Actuellement, MSF assume environ 25 % du budget de l’hôpital de Sotnikum, ce qui correspond à la hausse des salaires. Le reste provient des paiements des patients et du support du gouvernement. L’ONG espère que d’ici quelques années, celui-ci se sera organisé de façon à pouvoir prendre intégralement le relais, à Sotnikum mais aussi dans le reste du pays. Pour donner encore plus de chances de réussite à son projet-pilote, la section belge de MSF a investi dans la rénovation du bâtiment de l’hôpital ainsi que la mise sur pied d’un service de chirurgie et d’une banque de sang. Elle finance également une organisation locale qui a pour tâche de repérer les malades les plus démunis et de leur payer les soins médicaux. Une deuxième ambulance a aussi été achetée, elle sert principalement au transfert des malades entre les 17 centres de santé du district et l’hôpital. « On ne trouve que des infirmières dans ces centres de santé, précise le Dr von Schreeb, mais elles sont suffisamment formées pour pouvoir traiter les maladies courantes, comme la pneumonie ou la malaria. Nous y avons introduit le même système de rémunération en fonction des prestations ». MSF voudrait que de plus en plus d’accouchements se passent dans les centres de santé, mais l’ONG va devoir accepter un compromis avec les traditions locales : celui de laisser allumer un feu en dessous du lit de la maman et du bébé juste après la naissance ! Selon les croyances locales, la fumée chasse en effet les mauvais esprits. Si ce compromis pouvait aussi diminuer le nombre d’accouchements à la maison, et donc le taux de mortinatalité, ce un bon début…
Samuel Grumiau
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