Thaïlande: Un temple-refuge pour les sidéens
(Article publié dans le Journal du Médecin du XXXXX)
UN TEMPLE-REFUGE POUR LES SIDEENS
Près d’un million de Thaïlandais ont contracté le sida. Rejetés par leurs proches, certains trouvent refuge à Wat Phrabat Nampu, un temple transformé en hospice. Ils y terminent leur vie dans la quiétude en bénéficiant des médecines traditionnelle et bouddhiste.
Wat Phrabat Nampu est l’oeuvre d’un moine bouddhiste, Phra Alongkot Tikhapanyo. Né en 2496... et donc âgé de 44 ans (le calendrier thaïlandais se base sur le début de l’ère bouddhique, soit 543 ans avant J.-C.), il avait pour habitude d’accomplir son devoir de compassion en se rendant à Bangkok pour prier en compagnie des sidéens mourants. C’est là qu’il a été sensibilisé par l’extrême dénuement dans lequel ils se trouvaient: en Thaïlande, les malades du sida sont encore considérés comme des pestiférés, des personnes à éviter à tout prix. Mal informées sur les facteurs de contagion, les familles isolent complètement la victime, allant jusqu’à refuser de toucher les mêmes objets qu’elle. Dans certains cas, on lui interdira de participer au repas, un moment de partage pourtant très important dans la culture thaïlandaise, ou l’on refusera de manger la nourriture qu’elle a préparée. Le sidéen est souvent contraint de quitter sa famille et se retrouve livré à lui-même, sans travail et sans argent pour se payer les médicaments.
Voici quatre ans, Phra Alongkot a invité huit malades du sida à terminer leurs jours chez lui, sur le site du temple de Wat Phrabat Nampu, non loin de la petite ville de Lopburi, à 150 kilomètres au nord de Bangkok. Deux semaines plus tard, les autres moines de la communauté de Wat Phrabat pliaient bagages: selon la tradition bouddhique, les moines doivent mendier leur nourriture mais les villageois de la région, terrifiés par la présence des sidéens, ne voulaient plus rien leur donner. Ce mécontentement n’a pas découragé Phra Alongkot qui, aidé par les dons de Thaïlandais aisés, a accueilli de plus en plus de malades.
Chacun son rôle
Wat Phrabat Nampu compte aujourd’hui une moyenne de 180 pensionnaires. Chacun y trouve un rôle proportionnel à ses compétences: l’ancien restaurateur s’occupe de la cuisine, l’ancien entrepreneur de la construction de nouveaux bâtiments, le menuisier de la fabrication des cercueils, etc. Trois infirmières résident en permanence sur le site et se relaient dans la petite clinique qui accueille les malades souffrant le plus. Le reste du personnel se compose de volontaires étrangers et de moines eux-mêmes atteints du sida. Ils assistent les habitants dans leurs prières et méditations. « Cette présence est très importante pour les sidéens bouddhistes, explique Brooke Shippee, une bénévole américaine. Elle les aide à mourir dans la sérénité parce qu’ils savent qu’après leur trépas, il y aura une cérémonie religieuse au cours de laquelle les moines prieront auprès de leur dépouille et la béniront afin que l’âme puisse partir en paix ». L’organisation de cette cérémonie est habituellement prise en charge par la famille, mais la plupart des pensionnaires de Wat Phrabat Nampu n’ont plus aucun contact avec les leurs. L’un de leurs gros soucis avant de venir au temple était de savoir ce qu’il adviendrait de leur âme après leur mort.
Approche holistique
La population de Wat Phrabat Nampu est essentiellement masculine. La plupart ont contracté le sida en fréquentant les prostituées, une habitude quasiment culturelle en Thaïlande. 90% des hommes thaïlandais avouent en effet leur rendre visite de temps à autre. Quant aux quelques femmes vivant dans le temple, elles ont généralement « reçu » le virus de la part de leur mari infidèle. Tous ont à coeur d’offrir un peu de joie aux enfants sidéens abandonnés et hébergés dans la communauté. A la différence d’un hôpital, Wat Phrabat Nampu ne se contente pas de soigner le corps du malade. « On pourrait qualifier cette approche d’holistique, déclare Brooke Shippee. Au-delà de la prescription de médicaments, les moines s’intéressent à l’état émotionnel des pensionnaires. Ceux-ci savent qu’ils vont bientôt mourir mais nous voulons rendre la fin de leur vie aussi agréable que possible. Ca signifie leur prodiguer des massages thérapeutiques ou leur donner des herbes médicinales mais aussi les laisser prier, faire de l’exercice, du yoga, organiser des petites soirées, etc. ». L’Occidental pensant visiter un hospice à l’atmosphère déprimante en est pour ses frais: entre le four crématoire et la clinique, on trouve notamment une table de ping-pong et une salle de fêtes. « Si vous ne vous sentez pas bien psychologiquement, vous vous sentirez mal physiquement », remarque un pensionnaire.
Crémation informatisée
Chacun s’efforce de mener un semblant de vie normale, mais l’atmosphère est parfois lourde au sein du petit village que forme la communauté. Si certains arrivent au centre quelques heures avant de décéder, d’autres peuvent encore y vivre un an ou deux et leur disparition engendre la tristesse de leurs camarades d’infortune. Chaque jour, quatre ou cinq cercueils sont emmenés vers le crématorium, rappelant si nécessaire aux habitants qu’ils n’en ont plus pour très longtemps. L’incinération est la règle dans le bouddhisme, mais le rythme des décès à Wat Phrabat Nampu a incité Phra Alongkot à moderniser le four afin de ne plus avoir de « file » à son entrée. Un équipement informatique de fabrication américaine est à présent utilisé afin d’optimaliser la vitesse de crémation et un second four est en construction. Les cendres sont ensuite enveloppées dans un petit sac que les familles sont censées conserver chez elles. Certaines poussent toutefois leur abandon du malade jusqu’à refuser de reprendre ses cendres. Un bon millier de sacs restent entassés dans le coin d’une pièce, au pied d’une statue de Bouddha.
Trois millions par mois
Le budget de fonctionnement de Wat Phrabat Nampu est d’environ trois millions de francs par mois, dont 150.000 pour les seuls médicaments. Les malades, souvent issus de milieux pauvres, ne doivent rien payer en échange de l’hébergement, de la nourriture et des soins médicaux. Le Gouvernement thaïlandais n’intervenant que pour une bonne centaine de milliers de francs chaque année, Phra Alongkot trouve l’essentiel du financement dans les donations de la population. Son centre est devenu très connu en Thaïlande, où le don d’argent à une bonne oeuvre est supposé apporter un meilleur karma dans une prochaine vie. Le charisme et la sagesse du moine lui ont par ailleurs valu d’obtenir une émission diffusée chaque samedi matin sur les antennes d’une chaîne de télévision. Il y donne des conseils sur la prévention du sida et tente de faire comprendre aux familles qu’il est tout à fait possible de vivre en compagnie d’un sidéen. Compte tenu du principe des « bonnes et mauvaises actions », omniprésent dans le bouddhisme tel que vécu en Thaïlande, ces paroles sont d’autant plus importantes qu’elles sortent de la bouche d’un religieux: l’ostracisme dont sont victimes les malades du sida est aussi dû au fait qu’il a d’abord touché les drogués et les homosexuels, c’est-à-dire des personnes qui auraient eu un « mauvais » comportement et en seraient, en quelque sorte, punies.
Même si plusieurs centres du même genre ont été créés récemment en Thaïlande, la liste d’attente avant d’être admis à Wat Phrabat Nampu est longue: 20.000 sidéens souhaiteraient venir y terminer leurs jours. Faute de pouvoir tous les accueillir, Phra Alongkot veut convaincre un maximum de familles de prendre soin de leur proche atteint par la terrible maladie. Outre les émissions télévisées, le centre organise régulièrement des conférences et des visites à l’attention de groupes scolaires, de personnel d’entreprises ou d’habitants de la région. Ces derniers ont d’ailleurs fini par s’habituer à la présence des malades à proximité de chez eux. Le passage de sidéens dans les commerces de Lopburi reste remarqué, mais on est généralement loin des réactions de frayeur constatées au début.
A se promener dans le site de Wat Phrabat Nampu, niché aux pieds de jolies collines où trône une statue géante du Bouddha, le visiteur ignorant la nature des lieux pourrait se sentir dans un centre de vacances: allées bien entretenues, parterres fleuris, bungalows proprets pour deux pensionnaires, etc. Les indispensables clinique et crématorium exceptés, chaque détail inspire la sérénité. La sérénité de ceux qui partent en paix.
Samuel Grumiau
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