Fais-moi mal !
(décembre 1999)
Article paru dans le mensuel belge "Ma Santé" de décembre 1999
La libéralisation des mœurs entamée ces dernières décennies a permis aux pratiques sadomasochistes de sortir du bois où elles étaient pudiquement cachées. En Belgique et dans le Nord de l’Europe, le nombre de clubs privés, et de soirées à thème consacrées au SM (abréviation de sadomasochisme) ne cesse d’augmenter avec, pour corollaire, un accroissement du nombre de pratiquants. « Tous des pervers ! », s'exclament certains. Le jugement doit certainement être nuancé.
Domination-soumission
Notons tout d’abord que la majorité des pratiquants ne se définissent pas en tant qu’amateurs de « SM » mais bien de « DS », autrement dit de « domination-soumission ». La différence se situe principalement au niveau du type de souffrances subies : chez les « domi-soumis », on se limite généralement à des jeux d’humiliation avec, éventuellement, une douleur physique modérée, par exemple une petite fessée, quelques légers coups de martinet, l’écoulement de cire de bougie sur la peau, … « Ca fait moins mal que ce qu’on pense, affirme Marc, un fonctionnaire bruxellois de 42 ans qui aime le rôle de soumis. Ca impressionne parce que ça fait du bruit, mais c’est très supportable ». A la différence des vrais masochistes, qui sont rares et recherchent avant tout la douleur, les soumis trouvent leur plaisir dans la relation qu’ils entretiennent avec leur maître ou maîtresse. « J’aime qu’une dominatrice s’occupe de moi, qu’elle me fasse sentir que je lui appartiens totalement, éventuellement en portant sur le corps les marques de griffes qu’elle m’inflige, un peu comme dans le Kama Sutra », poursuit Marc.
C’est le soumis qui domine
Les pratiquants du SM insistent également sur la notion de « jeu » qui prédomine à la relation : il y a une mise en scène, un scénario est parfois élaboré à l’avance, des rôles sont distribués, … Le côté « respect de l’autre » est lui aussi très important : le dominant doit se maintenir dans les limites définies à l’avance avec la personne soumise. Souvent, un geste ou un mot de code existe entre eux : la « victime » poussera des gémissements, criera éventuellement « Aïe ! » mais tant qu’elle n’aura pas prononcé, par exemple, le mot « Pitié ! », ça signifiera qu’elle supporte parfaitement les douleurs ou humiliations qu’elle subit. Il ne s’agit donc pas d’une scène ou un sadique frappe à sa guise un masochiste. Les amateurs de SM estiment que c’est le soumis qui est le vrai maître du jeu, puisque c’est lui qui en définit les règles. Bien des partenaires aiment d’ailleurs échanger les rôles de temps à autre. Les dominants qui ne sauraient pas se contrôler sont fuis comme la peste et dénoncés dans tout le milieu SM, mais ils sont extrêmement rares, voire inexistants. Il s’agirait là de vrais sadiques du style Marquis de Sade (voir encadré), de malades mentaux à soigner au plus vite.
Le plaisir avant tout ?
Les débutants qui se lancent en tant que soumis dans le SM ont tout intérêt à essayer de rencontrer quelqu’un qui jouit d’une certaine expérience et peut donc sentir leurs envies, leurs limites. « Lorsque je regarde quelqu’un dans les yeux, je sais exactement ce qu’elle aime », confie Babi, une danseuse de 31 ans qui joue le plus souvent le rôle de dominatrice. « Tout commence par un petit baiser, on fait connaissance et on évolue ensemble vers des jeux plus hards si on en a envie, ce qui ne nous empêche pas d’adorer faire l’amour de façon ordinaire en d’autres temps. J’accepte parfois d’être soumise, mais il faut que le mec dominant me plaise beaucoup ».
Le plaisir serait le seul objectif du jeu SM, même s’il ne s’agit parfois que d’un plaisir cérébral. « Pour moi, il est hors de question qu’il y ait une pénétration pendant la séance de SM, affirme Murielle, 27 ans, professeur de Maths et… dominatrice dans ses temps libres. J’éprouve une grande jouissance cérébrale à avoir quelqu’un en mon pouvoir, mais aucun plaisir sexuel ».
Quand vient la déviance...
Le corps médical ne s'élève généralement pas contre le SM, tant que celui-ci se pratique entre personnes adultes, saines d'esprit et consentantes. Seuls les déviants se retrouvent, parfois, chez un médecin. « On est déviant à partir du moment où le SM est le mode d'érotisation privilégié, voire obligatoire et exclusif, affirme un médecin sexologue. Les déviants doivent aller jusqu'au passage à l'acte pour apaiser les pensées qui les envahissent; ce qui peut être très gênant car il faut se payer les services coûteux d'une prostituée, le cacher à sa partenaire... Ce sont souvent des hommes, masochistes, qui ont subi une atteinte dans leur identité de genre, un trauma dans leur enfance. On peut les aider à gérer leurs pulsions par un travail sexo-corporel: prise de conscience des tensions musculaires, de la respiration... Ils ont souvent une érection liée plus à leurs émotions, à leurs fantasmes, et pas tellement conectée aux sensations du corps. On les aide à inverser cette tendance, puis à comprendre comment ils ont construit cette déviance et, enfin, à corriger le fantasme lui-même. Tout le monde n'est toutefois pas réceptif à ce genre de thérapie ».
Mais si l’on n’a qu’une simple envie d’essayer un autre mode de sexualité, que l’on n’a pas vraiment le SM dans la peau, on ne court aucun risque de devenir « accro » au point de ne plus aimer faire l’amour « normalement ». Il faut, cependant, avoir une bonne ouverture d’esprit et aimer la nouveauté pour se lancer dans ces petits jeux. « Les gens qui pratiquent le SM sont, avant tout, des gens qui aiment le sexe », conclut Jean-Jacques, 48 ans, qui a découvert la soumission voici un an.
Bref, chatouiller les orteils de son mari ou de son compagnon ne constitue certainement pas une déviance! Quant à celles qui voudraient aller plus loin, un seul conseil: prudence !
Samuel Grumiau
« J’ai vu une lueur d’excitation dans son regard, j’ai commencé à le fouetter avec sa ceinture »
Christine, 40 ans, de la région de Mons, est dominatrice et pratique le SM de façon régulière depuis quinze ans. Elle livre un témoignage sur ses motivations, ses fantasmes, …
Quel a été ton premier contact avec le SM ?
Un jour, avec un partenaire de rencontre, nous avions loué une chambre d’hôtel. Lorsque nous sommes entrés dans la chambre, il m’est venu une sorte d’impulsion, je lui ai dit sur un ton sec de se déshabiller. J’ai vu une lueur d’excitation dans son regard, il s’est exécuté et je lui ai dit sur le même ton de se coucher sur le lit, auquel je l’ai attaché avec tout ce qui me tombait sous la main (cravate, chemise, …). J’ai enlevé la ceinture de son pantalon et j’ai commencé à le frapper modérément. Je voyais que ça l’excitait et nous avons continué le petit jeu, puis je l’ai « violé ». C’était très stimulant, pour lui comme pour moi. J’ai eu envie de réitérer ce genre d’expérience en diversifiant, en raffinant de plus en plus.
Avant ça, je n’avais jamais pensé au SM.
C’est moi qui prends l’initiative, qui domine l’autre au lieu d’être simplement celle qui se soumet au plaisir de l’homme. Le pouvoir que j’ai sur le plaisir de la personne soumise m’excite beaucoup.
Je suis mariée à un homme soumis et, avec son consentement, j’ai plusieurs partenaires réguliers dont les fantasmes SM correspondent parfaitement à certains des miens.
Oui. Pendant une période, j’ai évolué vers des jeux de plus en plus durs dans la domination mais j’ai un jour atteint les limites qu’une personne équilibrée ne peut franchir : il est hors de question de mutiler ou de laisser des traces définitives sur le corps de quelqu’un. J’ai alors évolué vers plus de raffinement : au lieu de simplement donner des coups de martinet à un ou une masochiste, je vais jouer sur sa sensibilité, échauffer progressivement ses zones érogènes avec des instruments différents, de façon à maintenir un niveau de sensation élevé et arriver graduellement à la libération des tensions. Propos recueillis par Samuel Grumiau
ENCADRE 1:
Si vous voulez en savoir plus…
Le sadomasochisme a inspiré de très nombreux auteurs. Au rayon des lectures à conseiller pour le comprendre un peu mieux, on peut placer « L’image » de Jean De Berg (éditions Minuit, 1990) ainsi que « La Vénus à la fourrure », de Sacher-Masoch (éditions Mille et une nuits, 1999)ou encore l’interprétation qui en est faite par Gilles Deleuze, dans « Présentation de Sacher-Masoch » (éditions Minuit, 1990). En vidéo, le grand classique « Histoire d’O » demeure un must pour ce qui concerne la soumission féminine.
Les rayons des libraires proposent plusieurs revues axées sur le sadomasochisme, tel « Secret Magazine » ou « Talons Aiguilles ».
Parmi les boutiques spécialisées, citons la librairie « Jaybird » (Rue Scailquin, 60 à 1030 Bruxelles, tél. 02/219.80.07), sorte de caverne d’Ali Baba pour la littérature SM. Le bar-restaurant fétichiste « Moda-Moda » (Chaussée de Waterloo, 343 à 1060 Bruxelles, tél. 02/537.69.19) est, quant à lui, un lieu célèbre de la capitale dans ce secteur.
Notons enfin l’existence, en Flandre, de « VVSM », « Vereniging voor SadoMasochisme » (Azaleastraat, 58 à 9920 Lovendegem, tél. et fax 09/372.97.35), qui se donne pour but de favoriser la tolérance du SM dans la société. Cette asbl organise chaque mois des soirées avec « dresscode ». Elle ne possède pas son équivalent en Wallonie, mais les francophones y sont les bienvenus.
S.G.
ENCADRE 2:
Régler son compte au Marquis de Sade
L’expression « sadomasochisme » tire son origine du Marquis de Sade, écrivain français et de Leopold Sacher-Masoch, son confrère autrichien. Si Sacher-Masoch décrit bel et bien le masochisme masculin, on se doit d’être beaucoup moins tolérant à l’égard de Sade, dont les conceptions vont à l’opposé du respect de l’autre cher aux pratiquants du sadomasochisme. Le « divin » Marquis, comme certains aiment à le présenter, prône en effet le sadisme le plus vil, celui qui prend pour objet sexuel des femmes ou des hommes non-consentants et, parfois, des enfants. Dans les « Cent-vingt journées de Sodome », par exemple, il se délecte à placer ce genre de victimes dans des scènes de torture ou des actes scatophiles. Pervers pédophile justifiant ses positions par les arguments les plus triviaux, le Marquis de Sade possédait un don très poussé pour l’écriture. Une bonne plume qu’il a malheureusement placée au service de causes ignobles.
S.G.
Le rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar
Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.
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« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »
La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.
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