fren

Rechercher dans :


acc

Les mains sales des exploitants de pétrole

(1999)

(Article écrt en 1999, non publié dans un magazine dont je préfère taire le nom, suite à des pressions "venues d'en haut...")

 

                  Les mains sales des exploitants de pétrole

 

La Colombie possède d’importantes réserves souterraines de pétrole. C’est aussi l’un des pays les plus violents de la planète. Pour assurer la sécurité de leurs installations et de leur personnel, les compagnies pétrolières, au premier rang desquelles la British Petroleum (BP), soutiennent financièrement l’armée colombienne. De nombreux témoignages les accusent d’aller plus loin.

 

La compagnie britannique BP a mis à jour, dans le département colombien du Casanare, au nord-est du pays, ce qu’elle appelle « l’un des plus grands gisements découverts dans l’hémisphère occidental depuis vingt ans ». Un contrat a été conclu en association avec l’américain Triton, le français Total et la compagnie nationale colombienne Ecopetrole pour exploiter les réserves de Cusiana et Cupiagua, estimées à deux milliards de barils de pétrole. Ceux-ci ne représentent cependant qu’une fraction des énormes potentialités de la Colombie en la matière. Alors que les sociétés pétrolières poursuivent leurs prospections, certaines d’entre elles sont la cible des mouvements de guérilla, qui estiment qu’elles pillent les richesses de leur pays sans se préoccuper de son futur. L’ELN (Armée de libération nationale), forte de quelque cinq mille hommes, considère ainsi les installations et le personnel de BP comme des objectifs militaires. Des dizaines d’employés ont déjà perdu la vie lors d’attentats perpétrés par les guérilleros.

 

                                                « Impôt de guerre »

 

Le pétrole ayant récemment détrôné le café comme premier produit d’exportation légale de la Colombie, le gouvernement affecte un tiers de son armée à la protection des exploitations d’hydrocarbures. Un élu local affirme que lorsque les municipalités sont attaquées, les soldats ne les protègent pas, consacrant toutes leurs forces à BP. Comme les autres compagnies, celle-ci paie au gouvernement, en échange de la protection de l’armée, un « impôt de guerre » d’1,25 dollar par baril extrait. BP utilise également les services d’une entreprise privée de sécurité, la britannique « Defense Systems Limited », pour assurer la formation anti-insurrectionnelle d’une unité de police chargée de protéger son personnel et ses installations. Compte tenu des violations des droits de l’homme (tortures, exécutions extrajudiciaires, disparitions de civils, ...) très fréquemment commises par les forces de sécurité colombiennes, il semble difficile de soutenir que ce genre de formation n’entraîne pas de nouvelles exactions à l’encontre de la population locale.

 

Peu d’habitants du Casanare osent témoigner des conséquences écologiques et sociales de la présence de BP. Ceux qui osent s’exprimer sont considérés comme des guérilleros et reçoivent des menaces de mort de la part des groupes paramilitaires qui, souvent, passent à l’acte ensuite, encouragés par la passivité d’un gouvernement censé les combattre. Un scandale a éclaté au sujet du comportement de BP, dont certains employés photographient ou filment discrètement les réunions de protestation afin d’aider l’armée à identifier ceux qui osent parler. « Après avoir nié dans un premier temps cette accusation, BP reconnaît à présent qu’elle a bien transmis des cassettes vidéo au gouvernement », déclare le parlementaire européen britannique Richard Howitt, qui a enquêté à deux reprises sur le terrain.

 

                        Alliance tacite entre BP et paramilitaires

 

Outre les personnes accusées d’être des guérilleros, les paysans qui refusent de quitter leur terre dans les régions où les compagnies pétrolières prospectent sont aussi la cible des groupes paramilitaires. « La majorité des terres de Colombie ne fait l’objet d’aucun titre de propriété, explique Freddy Pulecio, secrétaire à  l’organisation de l’Union Syndicale Ouvrière (USO). Les fermiers qui y habitent depuis plusieurs générations ne peuvent rien opposer de légal à BP lorsqu’elle vient  acheter leur terrain. BP peut donc leur proposer la somme qu’elle juge suffisante ». Quant aux récalcitrants... « Un matin, à huit heures, des hommes masqués sont entrés alors que nous prenions le petit déjeuner, explique Tatiana, 10 ans, à la chaîne de télévision BBC. Ils ont dit qu’ils venaient pour les guérilleros, puis ils ont pris du nylon pour attacher mes parents, mais ma mère a voulu s’y opposer. Ils ont tiré sur mes parents trois fois, puis ils ont commencé à ouvrir le feu sur nous. Ma mère a hurlé et ils ont dit « la garce n’est pas encore morte ». Alors, pendant qu’ils se retournaient pour la tuer, je me suis enfuie avec mon petit frère de deux ans dans les bras ». Tant qu’ils s’en prennent à de présumés guérilleros, les groupes paramilitaires ne sont pas inquiétés par l’armée colombienne. « Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont documenté le lien entre militaires et paramilitaires », souligne Richard Howitt. Le vice-président associé de BP en Colombie, Phil Mead, affirme quant à lui à la BBC que « nous n’avons aucune preuve que l’armée viole les droits de l’homme à Casanare. La Colombie est une démocratie en évolution ».                  

 

Les paramilitaires ont déclaré que l’une de leurs tâches est d’empêcher les travailleurs de s’affilier à un syndicat - en clair, de se débarrasser de l’USO dans l’industrie du pétrole. Là aussi, ils sont sur la même longueur d’onde avec l’armée et, par conséquent, avec BP. Voici plusieurs mois, une grève avait été organisée par les agents de sécurité de BP, qui réclamaient un meilleur salaire. Ils occupaient pacifiquement la route conduisant à une installation de production de BP. Celle-ci a demandé aux autorités de débloquer le chemin. Après l’intervention de la police et de l’armée, on a dénombré un mort et de nombreux blessés, dont des enfants. « C’est tragique, déclare Phil Mead, mais nous n’avons fait que suivre la procédure légale normale ».

 

BP n’a pas seulement les mains sales. Elle possède aussi l’art de... s’en laver les mains.

 

                                                                                            Samuel Grumiau

 

 

Dernier article

photoLe rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar

Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.

Lire la suite

Dernière interview

photo« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »

La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.

Lire la suite

Dernière photo

image