« La période des Khmers rouges est absente des livres d’histoire »
(mai 2009)
Article publié dans le mensuel d'Amnesty-Belgique francophone, Libertés!, de mai 2009
« La période des Khmers rouges est absente des livres d’histoire »
Le procès de Kang Kek Ieu, alias « Douch », ex-dirigeant de la prison de Tuol Sleng, a commencé fin mars au Cambodge, 30 ans après la fin de la dictature des Khmers rouges qui a provoqué la mort de 2 millions de Cambodgiens. Ong Thong Hoeung (1), rescapé des « camps de rééducation » de Pol Pot, livre son sentiment sur la signification de ce procès.
Je ne sais pas si Douch regrette vraiment ses actes. Quand il demande pardon devant le tribunal, c’est déjà quelque chose, mais je n’oublie pas ce qu’il a fait : la journée, il tuait des gens, des bébés et le soir, en rentrant chez lui, il embrassait ses enfants, sans remords. Il serait faux de penser que les dirigeants khmers rouges ont commis ces atrocités par crainte de Pol Pot. Seul, celui-ci n’aurait pu tuer 2 millions de Cambodgiens. Dans tous les régimes, il y a des personnes qui veulent se faire apprécier, des arrivistes prêts à dénoncer les autres pour se faire bien voir des chefs. Quand il était chef de Tuol Sleng, Douch a commis plus d’atrocités que ce qui était nécessaire pour suivre l’idéologie, il a agi en ce sens pour être apprécié par les hauts gradés du régime. Ca fonctionne comme dans une secte : quand tu es dans l’engrenage, c’est trop tard, tu n’en sors plus, il t’arrive de douter mais tu veux rester avec le courant dominant. Tu n’imagines plus que Pol Pot va disparaître, tu essaies de t’accommoder de la situation.
Le plus important serait de savoir si, dans les mêmes conditions, ces bourreaux commettraient à nouveau les mêmes atrocités. Je suis assez pessimiste à ce sujet : je pense que la plupart recommenceraient, car peu de gens font un travail sur eux-mêmes. Si la plupart des victimes et des bourreaux avaient tiré les enseignements de l’histoire du Cambodge, ce pays ne connaîtrait pas autant de corruption, d’inégalité sociale, d’exploitation des misères des gens, de tueries. Si ce procès aboutit à un début de réflexion dans la société cambodgienne, c’est déjà important.
L’aspect didactique du procès est d’autant plus important que la période des Khmers rouges n’est pas enseignée dans les livres d’histoire. Cette absence s’explique par le fait que d’anciens Khmers rouges sont au pouvoir actuellement, mais aussi par la fierté nationale. Après mon livre, j’ai reçu des messages de Cambodgiens qui me reprochent de m’intéresser à une période assez courte de l’histoire du Cambodge, alors que notre pays a une longue histoire glorieuse. Et puis, il y a la mentalité asiatique : les gens préfèrent tenter d’oublier le passé pour maintenir l’unité nationale, pour éviter de parler des sujets qui fâchent. Or, la période des Khmers rouges divise les Cambodgiens, notamment sur le rôle de la Chine, du Roi Sihanouk, sur l’invasion vietnamienne qui pour certains (dont le Premier ministre) est le jour de libération alors que pour d’autres il s’agit d’un jour de honte nationale.
Je regrette que seuls cinq responsables khmers rouges soient traduits devant le tribunal. Il faut appeler une dizaine d’autres personnes qui étaient vraiment les massacreurs, qui donnaient l’ordre de tuer. Le Premier ministre, Hun Sen, affirme préférer l’échec du tribunal à voir davantage de responsables traduits en justice. Il a d’ailleurs accepté à contrecœur la tenue de ce procès, qui n’aurait pu exister sans la pression internationale.
Propos recueillis par Samuel Grumiau
(1) Ong Thong Hoeung vit en Belgique depuis 1982. Il est notamment l’auteur du livre « J’ai cru aux Khmers rouges », par aux éditions Buchet/Chastel
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