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Une ex-enfant travailleuse devient directrice d’école

(mai 2010)

Article publié en mai 2010 dans une brochure du syndicat des enseignants hollandais AOB, peu avant la Conférence internationale de La Haye sur le travail des enfants.

 

Le parcours de Pinki Jain suscite l’espoir chez des milliers d’enfants travailleurs indiens. Employée dans un atelier clandestin jusqu’à l’âge de 12 ans, elle a ensuite reçu l’aide d’un syndicat qui a convaincu sa mère de l’envoyer à l’école. Agée de 33 ans, Pinki   dirige aujourd’hui une école qui lutte contre le travail des enfants.

 

J’ai connu une enfance difficile. Mon père est mort quand je n’avais que 3 ans. Nous vivions dans l’Etat de Madhya Pradesh, à 110 km d’Agra, une ville connue pour son fameux Taj Mahal. J’avais deux sœurs aînées déjà mariées, une sœur plus jeune et un frère plus âgé. Nous avons déménagé à Agra deux ans après la mort de mon père car nous y avions de la famille. Notre situation était pénible : nous devions louer un logement mais nous n’avions quasiment pas de revenus fixes car ma mère était malade et mon frère avait de mauvaises fréquentations. J’ai donc commencé à travailler dans un atelier clandestin à l’âge de 8 ans, sans avoir jamais connu l’école.

 

Mon travail consistait à trier des déchets métalliques pour en extraire les parties en cuivre. Ce travail s’effectuait à la main ou à l’aide de petits outils, il dégageait des poussières métalliques qui me faisaient souvent tousser. Je travaillais de 9 à 18h, sept jours sur sept, avec une heure de pause de midi (mais le repas n’était pas fourni). Je gagnais 3 roupies par kilo de cuivre découpé (1). En moyenne, il était possible d’en récupérer dix kilos par jour. Il y avait une cinquantaine de travailleurs dans cet atelier clandestin, dont une dizaine d’enfants. L’atelier était situé dans un bâtiment de logements, personne n’aurait pu deviner de l’extérieur que ce genre de travail y était effectué.

 

Nous vivions près du bureau du syndicat UPGMS (2), qui a entendu parler de notre situation. Les dirigeants du syndicat ont aidé ma mère à ouvrir un petit magasin de thé près du local du syndicat. Le soir, après mon travail à l’atelier, j’aidais ma mère jusque 21h pour servir le thé, le livrer chez les voisins, etc. Cette situation a duré environ un an et demi, puis le président du syndicat est parvenu à convaincre ma mère de me laisser aller à l’école à mi-temps. Elle comprenait l’importance de l’éducation, d’autant que tous mes cousins étaient allés à l’école, mais notre situation économique était vraiment difficile. Le syndicat nous a aidés à acheter un peu de fournitures scolaires. C’est ainsi que j’ai connu mes premiers jours à l’école, à l’âge de 10 ans.  

 

Jusqu’à mes 12 ans, j’allais à l’école le matin puis, de 14 à 18 h, je travaillais dans l’atelier et le soir, j’aidais ma mère. Ca ne me laissait guère de temps pour faire mes devoirs. Heureusement, ma mère a commencé à vendre un peu de nourriture dans le magasin de thé, ce qui a permis d’augmenter nos revenus. Grâce à cette amélioration et à une aide de 300 à 400 roupies par mois (3) du syndicat, j’ai pu arrêter mon travail et aller à l’école à temps plein.

 

J’ai terminé mes études secondaires en 1995. A ce moment, le syndicat UPGMS a reçu des fonds internationaux pour ouvrir une école destinée aux ex-enfants travailleurs près d’Agra. Cette école fait partie de la stratégie du syndicat international auquel UPGMS est affilié, BWI (4), pour lutter contre le travail des enfants tout en augmentant les effectifs syndicaux. J’ai accepté d’enseigner dans cette école et ai poursuivi en parallèle mes études pour obtenir, en 2002, un diplôme universitaire en sciences sociales. Entre temps, je suis devenue directrice de mon école.

 

Je pense qu’un enseignant peut aider à changer la société. Dans la zone où se trouve mon école, vous trouvez des personnes aisées qui inscrivent leurs enfants à l’école, mais aussi beaucoup de parents pauvres et de castes inférieures qui n’ont jamais pris conscience des possibilités ouvertes par l’éducation. Si on parvient à intégrer leurs enfants dans les écoles, on peut influencer la façon dont ces enfants pensent maintenant et à l’âge adulte. On peut ainsi lutter contre les démons de notre société comme le système de castes, celui des dotes, ...

 

Dès le début du projet de BWI, les enseignants ont passé beaucoup de temps à rencontrer les parents chez eux afin de comprendre pourquoi ils n’envoyaient pas leurs enfants à l’école, pourquoi ils les faisaient travailler. Leur réponse était souvent qu’il n’y a pas d’école publique à proximité, que les écoles privées sont chères. Nous leur avons expliqué que notre école ne coûte presque rien : nous ne leur demandons que 10 roupies par mois (5) afin qu’ils se sentent un peu responsables de l’inscription de leur enfant, mais ils ne sont pas obligés de payer s’ils sont trop pauvres. Nous insistons aussi beaucoup sur la qualité de l’enseignement, avec un maximum de 30 élèves par classe. J’essaie d’inspirer ces parents par ma propre expérience en leur disant que si je suis devenue enseignante et responsable d’école, leurs enfants peuvent eux aussi avoir un futur plus brillant.

 

Notre message passe bien : l’école de BWI n’accueillait que 40 élèves en 1995, il y a maintenant 252 enfants âgés de 5 à 14 ans, dont 131 filles. La petite majorité de filles s’explique par le fait que les garçons reçoivent plus facilement la permission de leur parents de se déplacer plus loin, là où se trouvent les écoles publiques. Nous accueillons aussi quelques adolescentes de 15 à 16 ans qui viennent suivre des cours de formation professionnelle (couture, …) : là aussi, les parents les voir chez nous que dans des zones sans protection où des incidents graves (viols, …) pourraient se produire.    

 

Le succès de notre école est tel que nous devons refuser des inscriptions. Nous essayons d’accepter les enfants les plus défavorisés : les enfants travailleurs, ceux des familles les plus pauvres, … Les parents ne doivent pas nécessairement être membres du syndicat pour inscrire leurs enfants mais beaucoup le deviennent car ils sont reconnaissants face à ce que nous faisons pour leurs enfants. Ils comprennent aussi toutes les aides qu’ils peuvent recevoir de nos militants syndicaux, même pour des problèmes qui relèveraient davantage de la compétence d’assistants sociaux (par exemple des conseils sur la contraception).

 

Nous devons maintenant impliquer les enseignants indiens qui ne se sentent pas encore concernés par nos projets, comme ceux qui travaillent dans les écoles privées. Leurs élèves sont les futurs employeurs, il faut donc qu’ils comprennent les questions d’exploitation des travailleurs afin d’évoluer vers une société plus égalitaire et de lutter contre le travail des enfants. Le projet de BWI est très efficace dans notre communauté locale, nous parvenons même à faire évoluer les écoles publiques proches de la nôtre, mais si l’on veut provoquer un changement de société, il faut que tous les enseignants indiens placent la priorité sur un accès égal à une éducation de qualité. 

 

Nous voulons que la communauté entourant cette école sente qu’elle lui appartient, afin que l’école soit le moteur du changement vers le respect des droits des enfants et des droits liés au travail. Un comité de parents et d’enseignants se réunit tous les mois, il décide des actions prioritaires à placer à l’agenda : amélioration de la fréquentation scolaire, de la qualité de l’enseignement, réparations dans l’école, questions de santé et d’hygiène dans l’école et dans la communauté, … Nous invitons tous les parents lors des jours de fête. A côté des spectacles culturels présentés par les élèves, de petits textes sont lus pour sensibiliser aux droits des enfants, des femmes et des travailleurs. Les parents sont heureux de voir leurs enfants capables de réaliser ces spectacles, et tout cela renforce leur volonté de maintenir leurs enfants à l’école.

 

La lutte en faveur d’une éducation de qualité pour tous est un moyen de lutter contre le travail des enfants sur le long terme et pour une société plus égalitaire : si une partie des enfants d’une communauté fréquentent des écoles privées de bon niveau, et une autre partie des écoles publiques de moins bonne qualité, vous ne leur offrez pas les mêmes chances de réussite dans la vie. Lorsque les enfants de parents pauvres seront adultes, ils n’auront pas conscience de leurs droits ni de ceux de leurs propres enfants, et ceux-ci aboutiront sans doute dans des situations de travail dès le plus jeune âge, reproduisant ainsi le cercle vicieux de la pauvreté.

   

                                                                                        Samuel Grumiau

 

(1) 1 roupie = 0,016 euro

(2) UPGMS (Uttar Pradesh Gramin Mazdoor Sangthan) est un syndicat de l’Etat de l’Uttar Pradesh affilié sur le plan international à BWI (Building and Wood Workers’ International). Il compte 48.000 membres dans les secteurs de la construction, de la briquèterie, des travaux du bois et de l’agriculture.  

(3) 4,8 à 6,4 euros par mois

(4) Building and Wood Workers’ International

(5) 0,16 euro

 

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