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Les "fourmis" de l’économie népalaise s’organisent

(mars 2010)

Article publié dans "Vision Syndicale" de mars 2010, disponible également surhttp://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/VS_migrant_Fr-2.pdf

 

L’image des porteurs est souvent utilisée comme symbole des travailleurs népalais. Cinq ans après la création de leur syndicat, ils font le bilan.     

Au Népal, le transport de marchandises sur de courtes distances s’effectue généralement à dos d’homme. Véritables fourmis de l’économie népalaise, plus de 300.000 porteurs arpentent quotidiennement routes et sentiers, transportant sur leur dos de lourdes charges maintenues par des sangles passées autour de la tête. Ils sont entre 40.000 et 50.000 dans la vallée de Katmandou. Rabilal Gautham, 52 ans, militant du Syndicat des porteurs du Népal (SPN), est l’un d’eux : « Nous sommes des personnes issues des classes inférieures de la société, nous venons de régions rurales où nous n’avons que des logements de misère, où nous n’arrivons pas à subvenir aux besoins de nos enfant. En ville, nous sommes victimes des personnes des classes économiques supérieures qui ne se privent pas de nous exploiter et de nous harceler. C’est pour ça que nous sommes entrés en contact avec le mouvement syndical. Nous nous sommes dits qu’avec un syndicat à nos côtés, nous pourrions faire respecter nos droits et augmenter nos revenus ».

L’une des premières tâches du syndicat a été de fixer une rémunération pour les porteurs en fonction du poids transporté et de la distance à parcourir. « Dans chaque unité, nos membres les plus éduqués se réunissent pour fixer les prix, mais c’est à nous qu’il incombe de les faire respecter, à travers nos discussions avec les donneurs d’ordres et les autres travailleurs, explique Rabilal Gautham. En général, nous essayons d’obtenir 100 roupies (ndlr : 1,3 dollars) pour une charge de 50 à 60 kilos transportée sur une distance de 2,5 à 3 kilomètres. Les membres de notre syndicat peuvent descendre jusque 70 roupies après négociation, mais nous pensons que certains porteurs qui ne sont pas membres acceptent le même travail pour 50 roupies ! ».

                   Réduire la concurrence malsaine entre porteurs

Le SPN ne comptant que 4.000 membres à l’heure actuelle (dont 1.500 membres payants), il n’a pas encore le poids nécessaire pour faire respecter un niveau décent de rémunération. Bisnu Kunwar, lui aussi militant du SPN, note toutefois quelques avancées : « Avant nos efforts de syndicalisation, il y avait une concurrence malsaine entre tous les porteurs de Katmandou. Actuellement, elle n’existe plus qu’entre les membres du syndicat et les non-membres. C’est une évolution positive qui nous a permis d’augmenter quelque peu nos revenus ». Selon la plupart des membres, cette hausse de revenus n’a toutefois guère d’incidence sur leur niveau de vie car elle compense à peine l’inflation. « Il y a 5 ans, nous épargnions de 500 à 700 roupies (de 7 à 9,5 dollars) par mois, maintenant nous parvenons parfois à épargner 3000 roupies par mois, mais comme le coût de la vie a augmenté, nous ne sommes pas plus avancés », souligne Thala Bahadur Shrestha, 50 ans, qui peine chaque jour dans les rues de la capitale pour nourrir ses six enfants.

L’une des priorités du SPN est aussi de lutter contre le harcèlement des policiers, qui mettent la pression sur ces travailleurs en raison des perturbations de la circulation qu’ils contribuent parfois à occasionner. « Depuis la restauration de la démocratie, nous avons accru la prise de conscience des porteurs en ce qui concerne leurs droits, nous sommes parvenus à faire diminuer le harcèlement de la police. Moi-même, j’ai été attaqué à plusieurs reprises par des policiers, qui exigeaient parfois  100 roupies pour ne pas me battre. Ca arrive beaucoup moins à l’heure actuelle », se réjouit Nir Bahadur Shrestha, militant du syndicat.

  Des « camps de santé » identifient maux de dos et problèmes cardiaques

Lorsqu’il trouve des subsides, le Syndicat des porteurs mène des activités sur les plans de la santé et de la sécurité, par exemple des séances de sensibilisation au HIV et, parfois, des « camps de santé ». « Les « camps de santé » sont des check-up médicaux que nous organisons en rue, sous une tente, dans les lieux où se réunissent les porteurs, explique Bhakta Lama, président du SPN. Ils sont le fruit d’une coopération entre une ONG et le Congrès syndical népalais indépendant (NTUC-I), auquel nous sommes affiliés. Un médecin et un peu de matériel médical se trouvent sous la tente, tout est gratuit pour les porteurs, y compris les médicaments. Lors des derniers check-up, les affections les plus courantes étaient les douleurs de dos et les problèmes cardiaques ». Les charges énormes transportées par ces travailleurs expliquent les problèmes dorsaux. « Les porteurs jeunes arrivent à transporter jusque 150 et parfois 200 kilos », note Thala Bahadur Shrestha.   

A l’avenir, le SPN espère développer ses activités grâce notamment aux petits groupes d’épargne et de crédit qu’il crée au sein des porteurs. Bhakta Lama : « Le nombre de membres de ces groupes varie, mais le principe est de payer une cotisation mensuelle pour constituer un fonds placé en banque. En cas de besoin, un membre peut emprunter et rembourser un maximum de 5.000 roupies (68 dollars) avec un intérêt de 12% par an, alors que les banques demandent un taux de 13 à 18%. Le prêt doit être remboursé en six mois. L’un de nos rêves est de réunir suffisamment d’argent pour acheter un petit véhicule de transporter de marchandises, ce qui augmenterait considérablement nos revenus. A terme, nous espérons aussi développer des plans d’assurance santé ».

                                                                                Samuel Grumiau

Citation :

« Si un donneur d’ordres est d’accord de payer 100 roupies (1,3 dollars), tant mieux pour nous…  si pas, nous acceptons de recevoir moins car si nous refusons, un autre porteur recevra le travail »

(Rabilal Gautham, militant du Syndicat des porteurs du Népal)

 

Encadré :  

Je suis originaire du district de Dolhaka. Mon père est mort quand je n’avais que quatre ans. Comme ma famille était extrêmement pauvre, j’ai été amené à Katmandou par un adulte originaire de mon village. J’ai commencé à travailler dans de petits restaurants, mais je me suis coupé la main et ai quitté cet emploi pour être aidant dans un magasin. Vers l’âge de huit ans, j’ai commencé à transporter des poids de 10 à 15 kilos, ce job me rapportait environ 800 roupies par mois. J’ai été marié à l’âge de 15 ans avec une fille de mon village d’origine, nous avons un enfant de 18 mois et un autre de 5 ans qui va à l’école. Je ne les vois qu’une fois par mois car mon village se situe à un jour de route de Katmandou. On ne voit plus vraiment d’enfants porteurs à l’heure actuelle à Katmandou, mais des enfants des rues ramassent et trient les déchets.

(Bisnu Kunwar, 28 ans, militant du Syndicat des porteurs du Népal)

 

 

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