fren

Rechercher dans :


acc

« Le travail domestique doit devenir un travail décent »

(mars 2010)

Article publié dans "Vision Syndicale" de mars 2010, disponible également sur http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/VS_migrant_Fr-2.pdf

 

La majorité des travailleurs domestiques du Népal sont des enfants durement exploités. Un syndicat a vu le jour en janvier pour contrer cette tendance et défendre les droits des travailleurs adultes.

 

Une étude réalisée dans près de 2.000 ménages employeurs de travailleurs domestiques au Népal a révélé qu’environ 70% de ces travailleurs ont moins de 18 ans (1). Leurs horaires sont très longs : plus de 60% des employés domestiques travaillent plus de 12 heures par jour. Le tiers des travailleurs sujets à l’enquête s’est plaint de mauvais traitements (passages à tabac et engueulades) de la part des employeurs. Servitude pour dette et travail sans salaire ne sont pas rares.

 

La grande majorité des travailleurs domestiques employés en ville sont issus de régions rurales. Isolés au sein des familles d’employeurs, ils n’ont guère d’endroit où se plaindre en cas d’abus. C’est pour leur venir en aide que la Fédération générale des syndicats népalais (GEFONT) a œuvré en faveur de la fondation, en janvier, du Syndicat indépendant des travailleurs domestiques du Népal (NIDWU) (2). « Nous voulons conscientiser nos membres au sujet des exploitations dont sont victimes la grande majorité des travailleurs domestiques népalais, avec pour objectif que le travail domestique devienne un travail décent », déclare le secrétaire général de GEFONT, Umesh Upadhyaya. NIDWU reçoit une aide du syndicat britannique TUC pour se développer. 

 

Beaucoup d’enfants domestiques ont été envoyés à Katmandou par leurs parents durant la guerre civile afin qu’ils échappent au recrutement forcé comme combattants par les rebelles maoïstes. C’est le cas notamment du secrétaire général de NIDWU, Rohini Prasad Dahal : « Je suis originaire du district de Dhading, à trois heures de route de la capitale. J’allais à l’école, mais mes parents étaient pauvres, ils craignaient que mon frère et moi soyons enrôlés de force par les Maoïstes dans leur armée, comme plusieurs élèves de mon école. Dès l’âge de 10 ans, mon père m’a amené à Katmandou, où je suis devenu travailleur domestique »

 

            Des dirigeants syndicaux jeunes mais expérimentés

 

La direction de NIDWU a été confiée à des personnes très jeunes mais qui ont déjà de nombreuses années d’expérience professionnelle et savent donc de quoi elles parlent. A 18 ans, Rohini Prasad Dahal est peut-être le plus jeune secrétaire général d’un syndicat dans le monde, mais il compte déjà huit années de travail domestique derrière lui. La présidente, Sanu Danuwar, 24 ans, est employée comme travailleuse domestique depuis l’âge de 7 ans. « L’un de nos objectifs est de faire comprendre tous les problèmes vécus par les travailleurs domestiques, explique-t-elle. Leur ampleur est difficile à imaginer si l’on n’a pas occupé soi-même ce type d’emploi : aucune limitation des horaires de travail (souvent de tôt le matin à minuit), non-reconnaissance par la législation du travail, traitements inhumains, absence de congés et de loisirs, etc. La seule chose que les enfants domestiques savent est qu’ils appartiennent à leur employeur. Ils n’ont aucune conscience de leurs droits et sont donc constamment exploités ».

   

CWISH (3), une organisation non gouvernementale népalaise, anime depuis plusieurs années des « clubs d’enfants » et « clubs de jeunes » dont beaucoup de membres sont des travailleurs domestiques. « A travers ces clubs, CWISH organise beaucoup d’activités liées aux droits des enfants, explique Sanu Danuwar, mais beaucoup de problèmes ne peuvent être résolus au sein d’un club de jeunes, nous devions donc créer un syndicat. CWISH a collaboré avec GEFONT pour former les dirigeants de NIDWU. Nous comptons actuellement 900 membres, mais nous avons un grand potentiel de développement puisqu’on estime à 200.000 le nombre de travailleurs domestiques au Népal, dont 15.000 dans la vallée de Katmandou, où se concentrent nos militants ».               

« Isolée, une travailleuse domestique n’a guère de chance d’être entendue »

 

L’une des premières tâches de NIDWU est d’aider les travailleurs domestiques à prendre conscience de leurs droits. « Le gouvernement a fixé le salaire minimum à 4.600 roupies (63 dollars) par mois, mais la plupart des travailleuses domestiques hébergées par leur employeur ne touchent aucun salaire, explique Sanu Danuwar. Une travailleuse domestique isolée n’a guère de chances de faire entendre sa voix auprès d’un employeur qui a décidé de l’exploiter. Au sein d’un syndicat, on peut protester collectivement, aller trouver les employeurs pour les confronter à leurs actes. Nous pouvons aussi aller en justice en cas de traitement inhumain. Récemment, nous avons aidé une fille employée depuis cinq ans sans le moindre salaire. Lorsqu’il l’avait recrutée auprès de ses parents, son employeur lui avait promis 500 roupies (7 dollars) par mois et une aide financière lors de son mariage. Lorsqu’elle s’est mariée, elle a demandé l’aide promise, mais l’employeur l’a frappée très durement. Elle s’est échappée. Nous avons menacé l’employeur de poursuites en justice. En échange de notre silence, il a accepté de verser 65.000 roupies (890 dollars) à son ex-employée ».    

  

NIDWU et GEFONT sont aussi impliqués dans un lobby pour l’adoption d’une nouvelle norme internationale de l’OIT sur le travail domestique. « D’autres conventions sont à ratifier, comme la convention 87 sur la liberté syndicale qui pourrait bénéficier à tous les travailleurs, mais l’adoption puis la ratification d’une norme sur les travailleurs domestiques signifierait qu’ils sont reconnus comme travailleurs et protégés par une législation adaptée, ce qui n’est pas le cas actuellement », souligne Pemba Lama, secrétaire générale adjointe de GEFONT. 

  

(1) « A Study of the Domestic Labour in Nepal », par la National Labour Academy-Nepal, disponible à http://www.cawinfo.org/wordpress/wp-content/uploads/2008/12/domestic_labour_report_nepal.pdf

(2) Nepal Independent Domestic Workers Union

(3) Children – Women in Social Service and Human Rights, http://www.cwish.org.np/index.html

 

 

 Citation :

 

« L’ampleur des problèmes vécus par les travailleurs domestiques est difficile à imaginer si l’on n’a pas occupé soi-même ce type d’emploi : aucune limitation des horaires de travail, non-reconnaissance par la législation du travail, traitements inhumains, absence de congés et de loisirs, etc. La seule chose que les enfants domestiques savent est qu’ils appartiennent à leur employeur »

(Sanu Danuwar, présidente de NIDWU)

 

 

« Selon ma patronne, comme je suis logée et nourrie, je ne dois rien recevoir de plus »

 

Sanu Danuwar est la présidente du Syndicat indépendant des travailleurs domestiques du Népal (NIDWU). Agée de 24 ans, elle compte déjà 17 années d’expérience professionnelle comme travailleuse domestique.

 

« J’ai commencé à travailler comme aide domestique à l’âge de 7 ans, dans le district de Jhapa, pour remplacer ma mère chez son employeur. Suite au décès de mon père, elle avait dû rentrer dans notre village d’origine pour s’occuper de mes cinq frères et sœurs. Je ne recevais pas de salaire, je travaillais pour rembourser le prêt que mon employeur avait consenti pour payer les funérailles de mon père. Le prêt s’élevait à 300 roupies et à 6 kilos de riz, mais je ne sais pas combien de temps j’aurais dû travailler pour rembourser cette somme. Mon travail était très dur pour mon âge : cuisiner, faire la lessive, collecter le bois, etc. En plus, j’étais souvent battue par mon employeur. J’ai fini par m’enfuir pour rentrer chez moi.

 

Peu après mon retour, ma mère a entendu parler d’une femme originaire de mon village et mariée à une personne de Katmandou qui cherchait une travailleuse domestique, elle m’a introduite auprès de cette femme, chez qui je suis partie à l’âge de 9 ans. J’y suis encore aujourd’hui. Durant les trois premiers mois, je dormais dans la cuisine, puis j’ai pu partager la chambre de la fille de mon employeuse. Je fais tout le ménage mais je n’ai jamais touché de salaire. Aucune rémunération n’avait été prévue avant mon départ. Parfois, quand je rends visite à ma famille, mon employeuse paie le ticket de bus. Je n’ai reçu de l’argent qu’à quatre ou cinq reprises depuis que je travaille là, des sommes de 1.000 à 5.000 roupies (14 à 70 dollars) pour acheter des sandales ou quelques objets. Je reçois aussi parfois des vêtements qui ont appartenu à la fille de l’employeuse, qui a plus ou le moins le même âge que moi. Selon elle, comme je suis logée et nourrie, je ne dois rien recevoir de plus.

 

Après deux années de travail à Katmandou, j’ai rencontré des militants de CWISH, une organisation non gouvernementale, je leur ai dit que je souhaitais aller à l’école et ils ont convaincu mon employeuse de me laisser assister à des classes informelles de mise à niveau. Neuf mois plus tard, j’ai pu être inscrite en quatrième année de l’enseignement primaire. CWISH m’a offert le matériel scolaire. Je me levais à 5h pour travailler durant une heure, puis j’allais à l’école jusque 10h30, puis je recommençais à travailler pour mon employeur jusque 22 ou 23h. J’ai ainsi pu suivre ma scolarité jusque la fin de l’enseignement secondaire ».

 

Dernier article

photoLe rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar

Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.

Lire la suite

Dernière interview

photo« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »

La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.

Lire la suite

Dernière photo

image