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Retrouver le moral

(juin 2000)

Reportage publié dans le Journal du Médecin du 9 juin 2000

 

 

Le désastre qui a frappé le Mozambique a provoqué des séquelles graves sur le plan mental. Les enfants, surtout, sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Une petite équipe de psychologues tente de leur venir en aide.

 

Les Mozambicains sont habitués aux catastrophes. Après seize ans de guerre et des inondations quasiment annuelles, ils ont appris ce que signifie l’expression « repartir de zéro ». L’ampleur du drame qui les touche cette année est toutefois, si l’on ose dire, la goutte d’eau qui fait déborder le vase chez bon nombre d’entre eux. « J’ai passé toute ma vie à constituer un troupeau de quarante bovins, explique un vieux paysan de la région de Chokwe. Tous ont été emportés par les eaux. Cette fois, c’en est trop, je ne recommencerai plus, mais ça me désole de ne rien léguer à mes enfants ». Les adultes plus jeunes n’ont toutefois pas le choix et pour la énième fois, ils rassemblent du matériel de construction afin de rebâtir leur case. Certains ont eu la chance de pouvoir mettre en lieu sûr le toit de leur ancienne demeure avant l’arrivée des eaux, d’autres ont tout perdu. Cette souffrance est doublée par celle de dépendre de l’aide alimentaire pour se nourrir jusqu’à la prochaine grande récolte, début 2001.

 

Dans ce contexte où l’on pare au plus pressé, il est parfois difficile de déceler les symptômes annonciateurs du mal plus profond qui affecte l’état mental des victimes, surtout chez les enfants. Une ONG mozambicaine, baptisée « Reconstruindo a Esperança » (« Reconstruire l’espoir »), va trouver les enseignants et leur explique comment certains changements de comportement chez les élèves peuvent révéler l’existence d’un traumatisme psychique. La grande majorité des professeurs et instituteurs n’a en effet reçu aucune formation dans ce domaine. Ana Bela Ratilal, psychologue à l’Hôpital central de Maputo, consacre une partie de ses temps libres à « Reconstruindo a Esperança » :  « Il faut se mettre à la place d’un enseignant, qui a lui-même été victime des inondations, et qui se retrouve dans des locaux dévastés face à une classe de cent élèves où des comportements inhabituels ont fait leur apparition : certains enfants n’arrivent plus à se concentrer, d’autres ont une grande tendance à se battre, à s’isoler, d’autres encore ne dorment plus la nuit,…L’instituteur, qui est peut-être lui-même traumatisé, ne se rend pas compte que ces changements de comportement sont la conséquence des terribles inondations. Nous l’incitons à demeurer patient avec les enfants qui développent des symptômes de ce genre et, s’ils ne disparaissent pas avec le temps, à référer les élèves à des unités de soins psychologiques ». Le problème est que de telles équipes de psychologues n’existent qu’à Maputo, la capitale, distante de plusieurs centaines de kilomètres de la plupart des zones inondées. C’est pourquoi l’ONG « Reconstruindo a Esperança » a recruté des psychologues qui partent bénévolement en week-end dans la région de Chokwe, l’une des plus touchées par les inondations, afin d’y visiter un maximum d’enfants.

 

                                   La crainte du changement de temps

 

Dans un pays qui n’a même pas les moyens de financer un service de soins médicaux de base à toute sa population, il n’est pas aisé de faire admettre l’importance du suivi psychologique des victimes des inondations, qui se comptent par dizaines de milliers. L’ONG choisit donc de cibler son action de sensibilisation sur les enseignants en espérant que ceux-ci relaient le message auprès des parents. « Les familles sont désemparées face aux angoisses de leurs enfants, elles ne comprennent pas le lien avec le désastre vécu, explique Ana Bela Ratilal. Certains enfants sont par exemple très craintifs lorsqu’ils voient des nuages arriver, ou lorsque la nuit tombe. D’autres ont perdu une partie de leur confiance envers leurs parents, qui n’ont pu les protéger lorsque les éléments se sont déchaînés. Tout le travail de l’enseignant consiste alors à expliquer aux enfants que les adultes ne peuvent les protéger face à tous les dangers, que ce n’est pas de leur faute ».    

 

On l’a dit, les enseignants sont parfois eux-mêmes traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Ana Bela Ratilal : « Une institutrice m’a raconté qu’elle a fui en même temps que les gens de son village lors de l’arrivée soudaine des eaux. Ils ont été obligés de grimper sur un arbre pour sauver leur peau et y sont restés plusieurs jours avant qu’on vienne les secourir. Alors qu’elle était installée sur une branche, elle a vu une femme grimper sur un autre arbre avec son bébé sur le dos, mais l’enfant est tombé à l’eau et commençait à être emporté par les flots. Lorsque la maman s’en est aperçu, elle a plongé pour récupérer son bébé, mais ils ont été emportés tous les deux. L’institutrice, qui a assisté complètement impuissante à cette scène, est maintenant traumatisée ». Le rôle des psychologues est alors de faire preuve de beaucoup de compréhension face aux personnes qui ont vécu ces horreurs, de prêter attention à ce qu’elles ont envie de confier, leur dire qu’il est normal qu’après de telles expériences, elles ne se comportent pas tout à fait normalement durant un certain temps.       

 

                                Un stylo redonne courage

 

Pour certains, le simple fait d’être aidé, de recevoir un petit cadeau suffit à relancer l’espoir et l’envie de recommencer sa vie. « Lors d’un séminaire que nous avions organisé pour des enseignants, nous avions donné à chacun un stylo, un crayon et du papier, explique la psychologue mozambicaine. Ils étaient si heureux ! Nous n’avons pas les moyens de leur offrir de la nourriture, mais la plupart sont déjà bien contents quand on leur amène un pantalon de rechange, ou un tableau noir, des craies, un matelas pour bien dormir, … Ils voient soudainement le bon côté des choses : ils ne sont plus seuls, des gens viennent de loin pour les aider, … Le pire, c’est quand on pense que personne ne viendra à votre secours parce que personne ne sait que vous êtes là » Les psys ne sont pas contre les croyances traditionnelles, qui peuvent aider à reprendre le dessus. C’est ainsi qu’il leur arrive d’aider une victime à se déplacer sur la tombe de ses ancêtres, où elle retrouve une certaine énergie.

 

Le programme d’urgence de l’organisation « Reconstruindo a Esperança » est actuellement financé par les dons de ses bénévoles et une aide de l’OMS. Ses fonds actuels ne lui permettent toutefois pas de poursuivre ce programme après la fin juin alors qu’elle souhaiterait continuer au moins dix-huit mois supplémentaires, le temps que les personnes traumatisées aient retrouvé un semblant de vie normale. Elle espère trouver un support financier avant la fin de ce mois.

                                                                   Samuel Grumiau

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