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La dette ou la vie

(juin 2000)

Article publié dans "Le Monde Syndical", mensuel de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) le 15 juin 2000

 

Au plus fort des inondations, le Président du Mozambique, Joachim Chissano, a lancé un appel au secours : si la communauté internationale veut aider son pays, elle doit annuler sa dette. La CISL et beaucoup de ses affiliés appuient pleinement cette demande. Le cri désespéré d’un pays sinistré trouvera-t-il écho chez les gouvernements riches ?

 

Petit rappel historique : peu après son indépendance, obtenue du Portugal en 1975, le Mozambique s’oppose à la politique d’apartheid de l’Afrique du Sud et à la prise de pouvoir par la minorité blanche en Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe). Il ferme ses frontières avec cette dernière et soutient les nationalistes sud-africains. Rhodésie du Sud et Afrique du Sud se relaient alors pour financer un mouvement d’opposition armé, la Renamo (Résistance nationale du Mozambique), qui profite du mécontentement provoqué par l’étatisation de l’économie pour recruter des combattants. Le Mozambique s’enfonce alors dans une guerre civile qui ne se terminera qu’en 1992, avec la signature d’un accord de paix entre le Président Chissano et le chef de la Renamo, qui se transforme en parti politique.

 

A la fin de cette guerre civile suscitée par des puissances étrangères, le Mozambique est exsangue. Le conflit a coûté au moins 20 milliards de dollars, tué un million de personne et le revenu moyen par habitant, l’un des plus faibles du monde, ne dépasse pas les 100 dollars. Pour financer son armée, le Mozambique a dû recourir massivement à des emprunts à l’étranger. Sa dette extérieure s’élève, en 1992, à environ 4,4 milliards de dollars, soit quatre fois son PNB de l’époque. Il faut alors reconstruire le pays, investir dans la réparation des infrastructures, relancer l’économie, entamer le déminage de centaines d’hectares de terrain cultivable, … Or, les richesses générées par une population active à 80% dans l’agriculture de subsistance ne pèsent pas bien lourd. Il faut donc à nouveau recourir à l’emprunt extérieur et c’est ainsi que la dette totale du Mozambique s’élève, en 1998, à 8,3 milliards de dollars. Plus de la moitié de cette somme est constituée de la dette bilatérale. Le plus gros créancier est la Russie (grand pourvoyeur d’armement pendant la guerre), suivi de la France, l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les USA et le Japon. 2,1 milliards sont dus aux institutions financières internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale, le reste à des institutions privées.

 

                                   On réduit la dette, mais à nos conditions

 

Le Mozambique n’a pas attendu d’être recouvert par les eaux pour demander une annulation de sa dette. L’année dernière déjà, constatant qu’il consacrait plus d’argent à payer sa dette qu’à financer ses dépenses de santé et d’éducation primaire, le gouvernement mozambicain avait obtenu un premier allégement. Dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (plus connu sous le sigle HIPC, en anglais « Heavily Indebted Poor Countries »), la dette du Mozambique avait été réduite de 1,7 milliards de dollars. Le remboursement passait ainsi à 73 millions de dollars par an, une somme qui demeurait impayable pour ce pays. Dès lors, sur l’initiative de la Banque Mondiale, une autre initiative HIPC était envisagée et vient d’aboutir, en avril dernier, à l’annonce d’une nouvelle réduction de 600 millions de dollars de la dette du Mozambique. Cette réduction est toutefois soumise à une série de conditions, présentées par la Banque Mondiale et le FMI (Fonds monétaire international) comme des « mesures prises de commun accord », mais on sait par expérience qu’il s’agit là d’un doux euphémisme pour « mesures imposées par la Banque Mondiale et le FMI ». Parmi ces mesures, certaines touchent le secteur public, le développement social ou encore le maintien d’un environnement macro-économique stable. De quoi semer bien des craintes au Mozambique, où les syndicats rappellent que les précédents plans d’ajustement structurels du FMI ont coûté leurs emplois à 100.000 travailleurs.

 

Quoi qu’il en soit, en tenant compte de cette deuxième « initiative HIPC », le Mozambique devra encore payer près d’un million de dollars par semaine pour rembourser sa dette. De quoi freiner sérieusement le gouvernement dans ses efforts pour reconstruire les régions dévastées par les inondations. C’est pourquoi de nombreuses ONG et syndicats internationaux se joignent aux politiciens et à la société civile mozambicaine pour exiger la suppression totale de la dette du Mozambique. Certains pays ont répondu favorablement à cet appel, comme la France, l’Italie ou encore la Norvège. D’autres, comme l’Espagne et le Portugal, renoncent à une partie seulement de la dette. FMI et Banque Mondiale ont annoncé que suites aux inondations, elles suspendaient le paiement de la dette durant une année, ce qui n’arrange pas grand monde au Mozambique. Enfin, il semble y a avoir un blocage dans les négociations avec des créditeurs eux-mêmes en proie avec des difficultés économiques, comme l’Algérie ou la Russie (quoique cette dernière trouve « subitement » des millions de dollars lorsqu’il s’agit de financer une guerre ou un programme spatial). La suppression de la dette laisse toutefois naître des craintes quant à l’aide future apportée au Mozambique : « Il existe un risque que certains pays considèrent la suppression de la dette comme leur seule contribution à la reconstruction de notre pays, souligne Paulo Cuinica, du Programme de plaidoyer commun des Oxfam (« Joint Oxfam Advocacy Program »). Mais on a beau nous dire de consacrer par exemple les deux millions de dollars d’une dette à la reconstruction : ces deux millions, nous ne les avons pas ».

   

En résumé, nonobstant la complexité de ces problèmes macro-économiques, la situation est simple. D’un côté, un pays extrêmement pauvre et sinistré, le Mozambique, qui croule sous le poids de sa dette. De l’autre, les créditeurs, en général des pays ou institutions financières riches pour qui les millions dus par le Mozambique ne représentent finalement pas grand-chose. Les nantis continueront-ils à exiger des plus pauvres qu’ils s’appauvrissent davantage pour rembourser leur dette ? Le bon sens et l’humanité imposent que l’on arrête cette injustice.

 

                                                                  Samuel Grumiau

 

                                                                                                

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