La guerre contre les médias
(octobre 2008)
Reportage publié dans le numéro d’octobre 2008 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone
Au moins 12 professionnels de médias ont été tués ces 36 derniers mois, sans qu’aucune enquête n’aboutisse à une condamnation. Le message du gouvernement aux médias est clair : si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous…
La reprise des combats avec les Tigres tamouls, fin 2005, a poussé le gouvernement sri lankais dans une logique nationaliste absolue. Pour le président Rajapakse, les choses sont claires : il faut choisir son camp, et celui qui ne suit pas le gouvernement dans sa volonté d’en découdre par la guerre est considéré comme un traître. Une majorité de la population cinghalaise (l’ethnie qui constitue environ 74% du pays) soutient le gouvernement en ce sens, conditionnée par des médias qui n’ont d’autre choix que de relayer les positions nationalistes s’ils veulent rester en vie. Fort de ce soutien populaire, le gouvernement est allé plus loin en se servant de la guerre pour justifier beaucoup de problèmes du pays (y compris économiques) et mettre la pression sur tous les types de contestation. Syndicalistes, journalistes, militants des droits humains ont compris le message, ils sont de moins en moins nombreux à oser critiquer ouvertement le gouvernement, même sur des thèmes non liés à la guerre.
Les journalistes tamouls qui veulent travailler en toute indépendance sont pris entre deux feux : d’un côté le gouvernement sri lankais, de l’autre les Tigres tamouls, qui n’acceptent eux non plus aucune contestation dans la partie de territoire qu’ils contrôlent encore. Dans son dernier rapport annuel, l’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières dénonce avec force la répression du journalisme au Sri Lanka, plus particulièrement dans le nord du pays : « La péninsule de Jaffna (Nord), région peuplée majoritairement de Tamouls, directement administrée par l’armée, est devenue un enfer pour les journalistes, les militants des droits de l’homme et les civils en général. Assassinats, kidnappings, menaces, censure, ont fait de Jaffna l’un des endroits les plus dangereux au monde pour la presse ».
Plus aucun journaliste sur le terrain à Jaffna
Les professionnels du secteur des médias sont particulièrement exposés aux manœuvres d’intimidation à Jaffna parce qu’ils ne peuvent quitter la péninsule sans autorisation de l’armée (comme toute la population de Jaffna). Sept ont été tués à Jaffna depuis début mai 2006, dont quatre employés du journal Uthayan. Son rédacteur en chef n’a pas plus quitté les locaux du journal depuis plus de deux ans, par crainte d’être assassiné. « Jaffna avait une culture des médias très importante, avec 200 journalistes actifs le terrain, mais aujourd’hui, plus un seul journaliste n’ose travailler sur le terrain là-bas, même lors d’enlèvements ou de meurtres, explique Sunanda Deshapriya, porte-parole de Free Media Movement, un collectif sri lankais de défense des journalistes (1). Tous ceux qui l’ont fait ont été tués ou menacés ». Cette répression sans pitié de la liberté de la presse laisse la population à la merci de toutes les exactions des forces gouvernementales et des Tigres tamouls. « J’ai travaillé au Darfour, en Afghanistan et au Kosovo, je n’avais jamais vu une situation aussi désespérée que celle des Tamouls du nord du Sri Lanka recevoir aussi peu d’attention des médias internationaux », confie un employé d’un programme des Nations unies.
Un minimum de douze personnes travaillant dans les médias ont été assassinées ces 36 derniers mois. Au moins deux auraient disparu alors qu’elles étaient détenues par les forces de « sécurité », tandis que d’autres ont été torturées et arbitrairement détenues en vertu des règlements d’exception qui accordent de grands pouvoirs aux autorités. Le dernier journaliste assassiné est le correspondant à Jaffna du groupe Maharaja Television, Paranirupasingam Devakumar. Dans la soirée du 28 mai 2008, à quelques kilomètres de la ville de Jaffna, des agresseurs non identifiés l’ont frappé à mort avec une arme tranchante alors qu’il rentrait à moto chez lui en compagnie d’un ami, qui est mort à l’hôpital des suites de ses blessures.
Les journalistes tamouls ne sont pas les seuls à vivre dans la crainte : dans le reste du pays, tous les professionnels des médias sont également menacés s’ils remettent en question les informations du gouvernement, surtout en ce qui concerne les combats. L’une des dernières agressions à Colombo a visé Namal Perera, journaliste et responsable des campagnes pour la liberté de la presse au Sri Lanka Press Institute (SLPI). Le 30 juin, six personnes circulant dans une camionnette blanche ont tenté de le kidnapper alors qu’il se trouvait dans un véhicule avec un employé de l’ambassade britannique. Ils ont brisé les vitres de la voiture pour tenter de le kidnapper, mais ont dû battre en retraite suite aux protestations de passants.
Comme des dizaines d’autres journalistes sri lankais, Namal Perera a dû chercher refuge à l’étranger pour échapper à de nouvelles agressions. « Tous ceux qui ont été enlevés ont quitté le pays car on leur a clairement dit de le faire, indique Sunanda Deshapriya. Certains m’ont dit qu’ils avaient été amenés menottés dans un building de deux étages, qu’on leur a bandé les yeux, qu’on leur a demandé les sources de leurs reportages, qui est derrière tel ou tel numéro de téléphone appelé via leur GSM, etc. Puis, ils menacent : nous savons que ta fille ou ton fils étudie à telle école, qu’elle ou il sort des cours à telle heure,… Ils ont très peur de parler quand ils sont libérés ».
Samuel Grumiau
(1) http://www.freemediasrilanka.org/English
Encadré :
Aller en Justice malgré les risques
Le 20 septembre dernier, un homme victime de torture qui avait osé déposer plainte contre une tentative de corruption de la part de la police a été assassiné. Sugath Nishanta Fernando se trouvait avec son fils de 11 ans à bord de son véhicule lorsque deux personnes circulant à moto se sont approchées de lui, au carrefour de Dalupotha (région de Negombo) et ont tiré sur lui. Il est mort à l’hôpital. La veuve de Sugath soupçonne fortement que les instigateurs de ce crime sont les policiers contre lesquels son mari avait déposé plainte pour corruption et tortures : il avait été menacé de mort par quatre individus qui lui avaient ordonné de laisser tomber sa plainte. Negath avait demandé la protection des autorités suite à ces menaces.
Des cas comme ceux-là, Brito Fernando, infatigable militant des droits humains, peut en citer des dizaines. A la tête d’une petite ONG de défense des droits humains, Right To Life, il fait partie des rares Sri Lankais qui veulent continuent à se battre en Justice, pour la Justice. Malgré les menaces, il accompagne des victimes comme Sugath et sa famille. « On nous dit parfois qu’il vaut mieux se taire, que des innocents sortent plus rapidement de prison si aucun tapage n’est fait autour de leur cas. Nous savons que nous ne pouvons arrêter ce genre d’exaction en allant en Justice, mais nous pouvons au moins les décourager car les représentants des autorités concernées doivent venir se défendre devant un juge. Et c’est embarrassant pour le Sri Lanka quand nous portons cela devant les organes internationaux de défense des droits humains. C’est la seule façon d’agir car pour le moment, toute la nation est militarisée, tout le monde attend la victoire et est d’accord avec les meurtres car ils pensent que les personnes disparues sont des Tigres tamouls ».
S.G.
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