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Terreur chez les Tamouls

(octobre 2008)

Reportage publié dans le numéro d’octobre 2008 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone

 

La population tamoule du nord du Sri Lanka est la principale victime du conflit entre les Tigres et l’armée régulière. Entre rafles, disparitions, tortures et coups de canon, elle vit dans une tension permanente.

 

Depuis la fin du cessez-le-feu entre le gouvernement sri lankais et les Tigres tamouls, la situation des civils tamouls est devenue très difficile dans le nord du pays. Le gouvernement a établi une zone « tampon » entre le sud, où habite la majorité cinghalaise (74% de la population), et le nord contrôlé par les Tigres (à l’exception de la péninsule la plus septentrionale, Jaffna, occupée par l’armée sri lankaise). Cette zone tampon est habitée d’une large majorité de Tamouls, mais ils y vivent sous l’oppression constante de l’armée, à 100% cinghalaise, et de la police, en très large majorité cinghalaise elle aussi.

 

Vavuniya est l’une des principales villes de cette zone tampon. Elle se situe à 8 km au sud d’Omantai, où se trouve un grand poste de contrôle entre la zone tenue par l’armée sri lankaise et celle contrôlée par les LTTE (1), et à 20 km au nord de Medawachchiya, là où le gouvernement a établi un impressionnant check-point délimitant la zone tampon. Les véhicules des civils ne peuvent traverser ce check-point, et les habitants de la région de Vavuniya qui voudraient se rendre dans le Sud doivent passer par de lourdes procédures administratives à Medawachchiya. Les postes de contrôles de l’armée et de la police sont extrêmement fréquents à l’intérieur de cette zone tampon. « En voiture, cela prend au moins deux heures pour parcourir les 20 km séparant Vavuniya de Medawachchiya car nous devons sans cesse nous arrêter pour répondre aux mêmes questions des policiers et militaires : qui nous sommes, où nous allons, pourquoi nous y allons, … », déclare un habitant de Vavuniya (2).        

 

Les contrôles sont tout aussi fréquents au sein de la ville de Vavuniya. Dans le centre et les zones sensibles (comme celles où sont situées les bureaux des ONG et agences onusiennes), il est impossible de marcher 100 mètres sans rencontrer des militaires armés jusqu’aux dents. Les contrôles d’identité se déroulent dans un climat tendu : soldats, policiers et habitants n’ont pas la même langue maternelle, ils ont toutes les peines à communiquer. « Si je demande à un policier ou à un militaire pourquoi il me pose toutes ces questions, ça suffit pour l’énerver et être arrêté, indique un travailleur humanitaire tamoul vivant à Vavuniya. Et si on hésite dans les réponses aux questions, ce qui arrive parfois sous la panique, il se peut qu’on soit battu ou arrêté durant plus longtemps ». A la décharge des policiers et militaires cinghalais, qui sont contraints d’obéir aux ordres, il faut aussi reconnaître que leur vie est stressante au sein d’une population dont ils ne parlent pas la langue et en sachant qu’ils sont à tout moment la cible potentielle d’attentats suicides.

 

                                        Informateurs cagoulés

 

A Vavuniya, comme dans toutes les localités de la zone tampon situées près de la ligne de démarcation, les opérations de rafles attisent encore le stress ambiant. Ces opérations menées par l’armée sri lankaise, avec l’aide de la police locale, consistent à rassembler tous les habitants d’un quartier ou d’un village sur une place publique (temple, …), à les obliger à écouter des sermons sur leurs devoirs de dénoncer les sympathisants du LTTE, et parfois à obliger chacun à défiler un par un devant une personne dont la tête est recouverte d’une cagoule. Cette personne est une informatrice de l’armée. Si elle opine de la tête lorsque vous passez devant elle, vous êtes arrêté et suspecté d’être sympathisant des Tigres tamouls. Tout peut alors arriver : tortures, maintien en détention sans jugement pour une très longue période, disparition...

 

Parfois, les informateurs ne sont pas couverts d’une cagoule mais cachés dans un véhicule militaire garé à un endroit très fréquenté, par exemple un carrefour. Ils doivent alors scruter les passants et désigner aux militaires les sympathisants des Tigres tamouls, qui sont rapidement appréhendés. « Il peut arriver que ces informateurs se trompent, et la personne arrêtée est alors torturée pour rien, mais en général, ils essaient de désigner les bonnes personnes car s’ils induisent souvent les militaires en erreur, eux-mêmes auront de graves ennuis, d’autant qu’ils sont tamouls », explique un observateur basé à Vavuniya.  

 

Ce climat de tension est encore attisé par les dissensions internes aux Tamouls. Un mouvement nationaliste opposé aux LTTE, intitulé PLOTE (3), est fréquemment montré du doigt pour participer à des opérations paramilitaires contre des personnes que les autorités souhaitent voir disparaître. Le groupe Karuna est accusé des mêmes exactions, tout comme EPDP (4) et d’autres. Ces paramilitaires opèrent dans tout le pays, souvent  à bord des tristement célèbres « camionnettes blanches » (5). La région de Vavuniya est l’une de celles où se sont produits le plus de crimes et de disparitions de civils ces derniers mois. « Il y a ici des gens en uniformes civil qui sont utilisés pour faire peur, tuer avec la bénédiction des autorités, souligne un militant des droits humains. Dès qu’une personne est suspectée d’affinités avec les LTTE, elle peut être tuée par les paramilitaires. Ceux-ci demandent parfois de l’argent à des civils, ils leur font comprendre qu’ils seront tués s’ils ne paient pas et qu’ils les feront passer pour des sympathisants des LTTE afin d’éviter toute enquête ».

 

                                    Des gangsters opportunistes

 

La population civile, terrifiée par ces exactions de l’armée, de la police et des groupes paramilitaires, doit aussi supporter l’impunité de la plupart des gangsters opérant dans la zone tampon. « Des groupes criminels qui n’ont rien à voir avec la politique utilisent ce climat de terreur, ils demandent des rançons en se proclament du PLOTE, du Karuna ou d’autres. Comme tout est en noir, caché, il est difficile d’identifier qui est derrière ces agresseurs. La nuit, il arrive souvent que des groupes, parfois de 5 à 10 personnes, débarquent chez vous avec des armes, volent tout, et menacent de vous tuer si vous les dénoncez. C’est d’autant plus terrifiant que la police est parfois liée à ces groupes criminels et/ou paramilitaires et qu’elle les contacte si la victime se plaint… celle-ci recevra alors une nouvelle visite du groupe dans les heures suivantes et sera éliminée ».

 

Les exactions et tortures sont parfois commises directement par des militaires. Un juriste basé à Vavuniya tente discrètement de réunir des témoignages à ce sujet : « Nous avons plusieurs cas d’hommes arrêtés par des militaires, puis amenés dans la nature, dans la forêt (parfois après passage par un camp militaire) où ils sont battus durant des heures au cours desquelles on ne cesse de leur dire d’avouer qu’ils sont des Tigres tamouls ou qu’ils les soutiennent.

Un homme est venu nous trouver récemment, ses orteils étaient très gravement blessés parce que des militaires l’avaient pendu par une jambe durant une journée avant de le relâcher ».  

 

L’impact psychologique de ce climat de terreur est important, notamment sur les enfants. A Vavuniya par exemple, l’armée sri lankaise tire quasiment chaque jour des obus en direction de la zone tenue par les LTTE. Or, la majorité des habitants ont de la famille ou des amis dans cette zone, les coups de canon qui résonnent lourdement dans la ville leur font à chaque fois craindre que des proches aient été touchés là où les obus atterrissent. Un membre du Syndicat des enseignants tamouls de Ceylan explique les difficultés de donner cours dans ces conditions : « Mon école est située à côté d’un camp militaire. Les bruits de l’artillerie s’entendent très fort dans ma classe, les élèves sursautent, vous imaginez comme c’est difficile de donner cours dans ces conditions ». L’ONG Shade, partenaire de l’Unicef et de MSF à Vavuniya, gère des programmes de soutien psychologiques aux populations, elle signale plusieurs cas de syncopes d’enfants et de fausses couches de femmes enceintes suite au stress provoqué par ces tires d’artillerie depuis les régions urbaines.

 

La situation des civils est encore pire dans les zones tenues par les Tigres, là où la population doit composer avec des attaques de l’armée sri lankaise, le recrutement forcé chez les rebelles et des déplacements incessants pour échapper à tout ça. Quelle que soit l’issue du conflit, elle apportera un soulagement pour ces dizaines de milliers de civils.

 

                                                                       Samuel Grumiau

 

 

(1) Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (Liberation Tigers of Tamil Eelam). Selon les LTTE, l’Eelam tamoul est  formé de la province du nord-est et des régions du sud-est du Sri Lanka

(2) Pour préserver la sécurité des personnes qui ont eu le courage de rencontrer un journaliste étranger malgré les risques qu’elles encouraient, tous les témoignages de Vavuniya sont sous couvert d’anonymat. 

(3) People’s Liberation Organisation of Tamil Eelam

(4) Eelam People’s Democratic Party

(5) « White van » (camionnette blanche) est un terme qui fait peur actuellement au Sri Lanka : de très nombreuses personnes ont été enlevées par des individus circulant en camionnette blanche, parfois sans plaque d’immatriculation. Certaines victimes d’enlèvements n’ont jamais été retrouvées, d’autres ont été retrouvées assassinées, d’autres encore réapparaissent entre les mains du Service d’enquête sur le terrorisme (TID, Terrorist Investigation Department), connu pour son utilisation de la torture au cours des interrogatoires. 

 

 

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