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Que reste-t-il des Tigres ?

(octobre 2008)

Reportage publié dans le numéro d’octobre 2008 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone

 

Le Sri Lanka (alors Ceylan) obtient son indépendance de la Grande Bretagne en 1948. Rapidement, la cohabitation entre ses deux principales communautés, les Cinghalais (74% de la population) et les Tamouls (18%) pose problème. En 1956, alors que le Sri Lanka s’appelle encore Ceylan, le Parti de la liberté créé par S.Bandaranaïke arrive au pouvoir. Il impose le cinghalais comme seule langue officielle et donne la prééminence au bouddhisme, la religion d’une majorité de Cinghalais (les Tamouls sont généralement hindous ou chrétiens). Quelques confrontations éclatent, puis elles s’atténuent et reprennent dans les années 70, avec notamment la création de l’armée des Tigres tamouls, les LTTE. En 1977, une modification législative reconnaît le tamoul comme langue officielle au même titre que le cinghalais, mais elle se produit trop tard : la guerre civile opposant le gouvernement et les LTTE prend de l’ampleur.

 

La puissance régionale, l’Inde, tente d’intervenir, notamment par l’envoi d’une force de maintien de la paix entre 1987 et 1990, mais l’échec de cette mission renforce les Tigres, qui sont parvenus à éliminer d’autres groupes tamouls partisans de l’opération indienne. Depuis, les LTTE se proclament les seuls représentants légitimes de la volonté des Tamouls, ils empêchent toute contestation interne et affirment que la seule solution acceptable sera la formation d’un Etat tamoul dans la province du nord-est et des régions du sud-est du Sri Lanka. Un cessez-le-feu est intervenu de 2002 à 2005, mais il était régulièrement violé de part et d’autre (chaque partie accusant l’autre de ces violations). Les affrontements et les attentats commis par les LTTE n’ont depuis lors plus cessé.

 

Lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent d’un mouvement comme les Tigres tamouls, qui se bat depuis 1972 en leur nom mais n’a jamais rien obtenu grand-chose de concret, une grande majorité de Tamouls du Sri Lanka répondent qu’ils ne soutiennent pas (ou plus) ce groupe… mais qu’ils n’ont pas d’autre alternative vu l’attitude du gouvernement sri lankais. Ils ne se reconnaissent pas dans les attentats commis par les Tigres contres des populations civiles à Colombo ou ailleurs, ils en ont plus que marre de ce conflit qui ne leur a valu que des horreurs, ils voudraient simplement vivre en paix et en toute dignité.

 

                                   De piètres gestionnaires     

 

L’image des LTTE au sein de la population tamoule s’est encore ternie en raison de leur attitude au cours de la dernière période de cessez-le-feu, de 2002 à 2005. « Dans la zone qu’ils contrôlaient, les Tigres imposaient une taxation arbitraire bien trop lourde pour une population aussi pauvre, explique Muttukrishna Sarvananthan, chercheur tamoul vivant à Colombo (1). Et puis, les Tamouls se sont aperçus que durant cette période, beaucoup de dirigeants des Tigres ont envoyé leurs enfants faire de hautes études dans les pays occidentaux. Les gens se posent des questions : pourquoi emmenez-vous nos enfants pour combattre alors que vous envoyez les vôtres à l’étranger ? Le soutien de la population a donc vraiment diminué, et c’est l’une des raisons qui expliquent les victoires militaires du gouvernement pour le moment, par rapport à des phases précédentes du conflit ».

 

La sympathie envers les Tigres dans les régions qu’ils contrôlent est beaucoup moindre que celle dont ils peuvent encore jouir dans une partie de la diaspora tamoule. « Les Tamouls de l’étranger ne subissent pas les mêmes souffrances que les habitants des zones contrôlées par les Tigres, et notamment l’enrôlement forcé, souligne Muttukrishna Sarvananthan. Même des personnes âgées et des écoliers reçoivent une formation de base, pas nécessairement à la manipulation des armes, mais au combat, en cas de besoin ». De nombreux témoignages dénoncent aussi le fait que les LTTE ont empêché des civils de rejoindre des lieux plus sûrs situés dans des zones contrôlées par le gouvernement, afin notamment de s’en servir comme boucliers humains. Amnesty International a par ailleurs reçu des informations crédibles selon lesquelles les Tigres continuent à recruter activement des mineurs dans les camps de personnes nouvellement déplacées.

  

Les Tigres ont subi une très lourde perte en 2004, lorsqu’un de ses responsables militaires, connu sous le nom de « colonel Karuna », a cessé les combats, entraînant avec lui 6.000 hommes. Cette désertion a précipité le retrait des Tigres de l’est de l’île, qui était une importante source de renforts pour les LTTE quand ils étaient attaqués par les forces du gouvernement dans le Nord. Selon des sources crédibles, il resterait à l’heure actuelle moins de 5.000 soldats « purs et durs » au sein des Tigres tamouls. Il resterait aussi quelques milliers de combattants enrôlés de force et de policiers, mais ils pourraient déserter si ça tourne vraiment mal, contrairement aux « purs et durs », qui sont là pour la cause et lutteront jusqu’au bout.           

 

Les Tigres tamouls ont eu, au cours de leur histoire, plusieurs possibilités de conclure un accord de paix durable avec certains gouvernements sri lankais. Colombo n’a jamais accepté de leur accorder l’indépendance réclamée par les Tigres radicaux, mais plusieurs gouvernements modérés étaient prêts à accorder à la population tamoule une certaine autonomie dans la gestion de ses affaires, ce dont se seraient sans doute contentés bien des civils. Les Tigres ont refusé ces possibilités, et n’ont jamais complètement abandonné leurs actions terroristes.

 

                                                                         Samuel Grumiau

 

(1)     Chercheur principal du Point Pedro Institute of Development, www.pointpedro.org

 

 

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