« Même les animaux sont mieux traités que les prisonniers »
(octobre 2009)
Article publié dans le mensuel d’Amnesty-Belgique francophone, Libertés!, d’octobre 2009
Plus de 2.000 prisonniers politiques birmans croupissent en prison. La junte met tout en œuvre pour les faire craquer mentalement.
L’argent est roi dans les prisons birmanes. Le prisonnier qui a un peu de soutien de l’extérieur peut survivre dans des conditions difficiles mais relativement supportables, celui qui n’a rien risque les pires exactions. Zaw (1), un ex-prisonnier politique libre depuis quatre mois et réfugié en Thailande, dénonce les extorsions d’argent dont il a témoin au sein de la prison Insein, tristement célèbre pour abriter de nombreux prisonniers politiques : « Les gardiens ne gagnent que 30.000 kyats (ndlr : 18 euros) par mois, un salaire avec lequel il est impossible de soutenir une famille. Ils soutirent donc de l’argent à certains prisonniers : si ceux-ci ne paient pas, ils sont battus. Ce même système est appliqué par les médecins d’Insein, qui touchent eux aussi des salaires dérisoires : ils « vendent » des certificats médicaux recommandant un séjour dans l’aile médicale de la prison, où les conditions de détention sont meilleures. Les prisonniers qui peuvent se le permettre paient environ 340 euros pour six mois dans cette aile ».
Zaw n’a pas de mots assez durs pour décrire ce qu’il a vu et vécu au sein d’Insein : « Même les animaux sont mieux traités que les prisonniers en Birmanie. Ils sont parfois 20 dans des cellules de 15 m², sous une chaleur suffocante. Seules quelques rares cellules ont de meilleures conditions de détention car des prisonniers de la classe moyenne ont payé pour les améliorer, par exemple en installant des toilettes. Durant le passage du cyclone Nargis, des détenus d’Insein ont mis le feu à une partie de la prison, ils étaient presque parvenus à s’échapper quand la répression s’est abattue. Il y a eu de nombreux coups de feu qui ont fait deux morts, puis une centaine de détenus considérés comme les meneurs ont été torturés durant deux semaines. Les gardiens refusaient même de leur donner de l’eau, ils buvaient dans des flaques sur le sol ».
Plusieurs anciens condamnés politiques affirment que les tortures les plus dures sont infligées avant le jugement, durant la période d’investigation. « Par la suite, ils subissent davantage de pressions psychologiques destinées à les briser sur le plan mental, explique Zaw. Les gardiens leur feront par exemple croire qu’ils ont placé dans leur eau un produit qui entraîne l’impuissance. Dans d’autres cas, on va leur bander les yeux, placer un sac sur leur tête durant de longues périodes, les confiner durant des semaines en régime d’isolation, etc. Les autorités essaient de limiter les risques de traces sur le corps des détenus. J’ai vu les gardes confectionner des fouets avec un mélange de caoutchouc, ils les utilisent beaucoup car les cicatrices internes provoquées par ces fouets sont difficiles à guérir alors que les traces externes disparaissent plus rapidement ».
Des familles désemparées
Les prisonniers politiques sont souvent détenus dans des prisons lointaines, à plusieurs jours de route de leur domicile. Il est très difficile pour les familles d’aller leur rendre visite car elles n’ont pas les ressources financières pour payer le voyage. « En plus, les familles doivent montrer à la police un document disant pourquoi elles voyagent, où elles vont, chez qui elles vont loger, explique Maung Maung, secrétaire général de
La junte militaire n’hésite pas à recourir aux chantages les plus abjects pour faire craquer ses opposants, par exemple en emprisonnant des enfants pour amener leurs parents à se rendre. C’est ce qui est arrivé en avril dernier quand Htet Yee Mon Eai a été arrêtée à Rangoon. Sa mère, Eai Shwe Sinn Nyunt, est une opposante politique réfugiée en Thaïlande. « Peu après mon arrestation, mes tortionnaires ont convoqué des membres de ma famille pour leur dire que je serais libérée si ma mère revenait en Birmanie, où elle aurait très certainement été arrêtée », explique Htet Yee Mon Eai. Les parents, d’anciens détenus politiques ayant passé plusieurs années en prison, n’ont pas cédé à ce chantage. Une pression internationale a abouti à la libération de Htet Yee Mon Eai dix jours après son arrestation, elle a aujourd’hui rejoint ses parents en Thaïlande.
Etre mineur d’âge est tout sauf une protection contre les mauvais traitements imposés dans les prisons birmanes. Htet Yee Mon Eai n’était âgée que de 17 ans lors de sa détention : « Quand ils sont venus m’arrêter chez moi, ils m’ont bandé les yeux, puis ils m’ont emmenée dans un centre des services de renseignement de l’armée. Ils m’ont enfermée durant deux jours dans une cellule très sombre. Ils ne cessaient de me poser des questions sur des syndicalistes qui connaissent ma famille. Ils voulaient aussi le mot de passe de mon adresse E-mail, ils me disaient que de toute façon, ils avaient les moyens de le trouver. Je leur répondais qu’en ce cas, ils n’avaient pas besoin de me le demander, mais les pressions s’intensifiaient, j’avais à peine le temps de dormir. Par la petite ouverture de la porte de ma cellule, je voyais parfois des hommes me regarder bizarrement. Des interrogateurs ont aussi levé la main en menaçant de me frapper. Lorsque je demandais à aller aux toilettes, deux gardiennes m’accompagnaient mais comme j’avais constamment les yeux bandés, je suis tombée plusieurs fois par terre, c’était très humiliant ».
Samuel Grumiau
(1) Prénom d’emprunt
(2) La FTUB (Fédération des syndicats birmans, www.ftub.org), interdite comme toutes les autres organisations syndicales indépendantes en Birmanie, vient en aide aux travailleurs birmans par un réseau clandestin de militants. 30 de ces militants purgent actuellement de longues peines de prison.
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