Quatre morts par million de tonnes de charbon extraites
(janvier 2006)
Reportage publié dans « Le Monde Syndical » (magazine de la Confédération internationale des syndicats libres) de janvier 2006
Les mines ukrainiennes sont parmi les plus dangereuses du monde. Plus de 3.500 mineurs y sont décédés d’accidents depuis quinze ans. Le paiement des salaires en fonction du nombre de tonnes extraites contribue à ces statistiques sinistres, tout comme la vétusté et la mauvaise gestion des mines. Alors que les jeunes se détournent d’un métier aussi dur que dangereux et mal payé, les mineurs pensionnés reprennent du service pour joindre les deux bouts.
Lorsque l’on demande à un mineur ukrainien si un accident s’est déjà produit cette année dans sa mine, il répond en toquant du doigt sur la table s’il n’y en pas eu, un petit geste qui signifie « touchons du bois : nous avons été épargnés jusqu’ici… pourvu que ça continue ». Les mines de charbon ukrainiennes sont en effet parmi les plus dangereuses du monde. En 2005, selon les statistiques officielles, 7.768 travailleurs y ont subi des blessures qui, pour 157 d’entre eux, ont entraîné la mort. Au total, depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, plus de 3.500 personnes sont décédées dans les mines de charbon. « En moyenne, sur les dernières années, il y a quatre travailleurs morts par million de tonnes extraites en Ukraine », souligne Anatoliy Akimochkin, vice-président de la confédération syndicale KVPU.
Plusieurs raisons expliquent le grand nombre d’accidents dans les charbonnages ukrainiens : l’ancienneté des mines, leurs conditions géologiques défavorables (profondeur, présence de méthane, …), leur manque d’entretien, mais aussi le système de rémunération des mineurs ukrainiens. Ceux-ci ne sont pas payés à l’heure mais en fonction du nombre de tonnes produites, les profits étant partagés selon les qualifications des travailleurs. Certains ont donc tendance à négliger les règles de sécurité si cela permet de produire davantage. « Les mineurs ne sont pas payés en fonction du nombre d’heures de travail mais du nombre de kilos de charbon extraits. Le respect des règles de sécurité n’est donc pas leur principal souci, reconnaît Filimonchuk Vladimir Nikolaevich, ingénieur des mines près de Donetsk. S’ils touchaient 1.000 ou 2.000 euros par mois, ils pourraient penser à la sécurité, mais dans le système actuel, ils pensent à produire, produire, produire. Une certaine apathie gagne aussi les mineurs : leur métier perd son prestige, leur salaire est si bas qu’ils vivent mois par mois, sans savoir ce qu’il adviendra le mois prochain, ils ne se sentent plus impliqués dans le futur de leur mine ».
Des centaines d’emplois ne trouvent pas preneurs
Un système d’amendes a été instauré dans beaucoup de mines pour punir les travailleurs qui ont négligé les normes de sécurité, mais les accidents demeurent nombreux, notamment parce que les mines d’Etat ukrainiennes souffrent d’un manque de personnel qualifié : les conditions d’emploi qu’elles offrent n’attirent plus les jeunes travailleurs tandis que les plus âgés partent à la pension ou sont réaffectés à des tâches en surface. Dans la région minière du Donbass, au sud-est de l’Ukraine, des centaines d’emplois de mineur de fond ne trouvent plus acquéreur. « Le métier de mineur était prestigieux à l’époque soviétique, il permettait parfois de se payer une voiture, lance une « gueule noire » dans le wagon qui l’emmène à son poste de travail à 689 mètres sous le sol dans la mine Yuzhnodonbasskaya n°3, au sud de Donetsk. Maintenant, les salaires suffisent à peine à nourrir une épouse et un enfant, et il est très difficile aux femmes de trouver un emploi dans les charbonnages : elles ne peuvent pas travailler sous le sol et le nombre d’emplois en surface est limité ».
Les salaires des employés de charbonnages varient beaucoup selon qu’il s’agit d’une mine d’Etat ou privée, d’un emploi de surface ou de fond de mine. Dans les mines d’Etat, le mineur de fond reçoit généralement de 1.200 à 2.000 hryvnias par mois (de 160 à 190 euros, un montant qui varie selon la production), mais les travailleurs de surface touchent à peine 350 ou 400 hryvnias (56 ou 64 euros). Le salaire d’un mineur de fond peut être beaucoup plus élevé (jusque 4.000 ou 5.000 hryvnias – 648 ou 810 euros) dans une mine privatisée où l’employeur est sérieux. Rares sont cependant ceux qui gagnent des salaires aussi intéressants. « Ici, même si tu travailles très dur, tu n’atteins presque jamais un salaire décent », déclarent les syndicalistes de la région de Donetsk. Il faut en effet un revenu d’au moins 250-300 euros par mois pour assurer une vie décente à un couple avec un enfant à charge.
Des mineurs pensionnés contraints de continuer à travailler
Ces salaires n’attirent plus grand nombre dans les mines ukrainiennes, d’autant qu’ils ont souvent été payés en retard. La moyenne d’âge de la main-d’œuvre ne cesse d’augmenter car de moins en moins de jeunes sont prêts à suer et risquer leur vie au fond des mines pour de telles rémunérations. L’un des avantages substantiels du métier de mineur de fond, qui est de pouvoir prendre sa pension après vingt ans de travail, ne représente plus grand-chose à l’heure actuelle : les pensions sont si petites comparées au coût de la vie que beaucoup de mineurs choisissent de poursuivre leur activité professionnelle après vingt ans « de fond ». « J’ai 70 ans mais je dois continuer à travailler car j’ai une petite-fille de 17 ans à ma charge, explique Panteley, un électricien qui a travaillé durant 46 ans sous le sol dans une mine de Dzerzhinsk. Ma pension n’est que de 780 hryvnias (126 euros) par mois, j’y ajoute les 700 grivnas de mon salaire, mais ça suffit à peine pour vivre ».
Beaucoup de mines d’Etat ont de la peine à trouver les travailleurs nécessaires à leur fonctionnement en raison des salaires trop bas et de la concurrence des mines illégales. « Normalement, je ne travaille qu’entre 20 et 23 jours par mois, mais comme il n’y a pas assez de mineurs, on me demande souvent de travailler aussi les jours fériés, explique ainsi Roman, 46 ans, un mineur de fond de Makiivka. Je suis en charge de la maintenance de l’équipement électrique. Les conditions de travail sont très difficiles sous le sol : la température est de 37°, l’humidité de 100%. J’ai pourtant choisi d’abandonner mon métier d’enseignant à l’âge de 34 ans car le salaire de mineur est le double de celui d’enseignant et j’avais deux fils à élever. Mon épouse est encore enseignante à l’heure actuelle, son salaire n’est que de 500 hryvnias (80 euros) alors que j’en gagne 1.200 (194 euros). Toute ma famille a travaillé dans les mines, c’était un travail valorisant par le passé. Maintenant, ni le métier d’enseignant ni celui de mineur ne sont valorisants ».
Samuel Grumiau
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