Les mineurs ukrainiens veulent encore croire à un avenir
(janvier 2006)
Reportage publié dans « Le Monde Syndical » (magazine de la Confédération internationale des syndicats libres) de janvier 2006
L’Ukraine doit-elle compter sur ses importantes réserves de charbon pour se défaire de sa dépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe ? C’est ce que pensent les mineurs du Donbass, eux qui ont vu leurs conditions de vie et de travail se dégrader terriblement depuis la fin de l’époque soviétique. Tous espèrent que le gouvernement ukrainien va enfin gérer intelligemment ses mines de charbon.
La crise provoquée par le désaccord entre la Russie et l’Ukraine au sujet du prix du gaz acheté par cette dernière au géant russe Gazprom a ravivé bien des espoirs dans le bassin houiller du Donbass, au sud-est de l’Ukraine. Pour rappel, Gazprom avait interrompu le 1er janvier dernier ses livraisons de gaz à l'Ukraine car celle-ci refusait une hausse de prix de 50 à 230 dollars les 1.000 m³. Le ministère de l'Energie a immédiatement averti trois centrales thermiques situées dans les régions de Donetsk et Kharkiv (est de l’Ukraine), les informant d'une probable réduction de leur approvisionnement. « Elles doivent être prêtes à remplacer le gaz par du charbon et n'utiliser qu'un tout petit peu de gaz pour améliorer la combustion », avait expliqué à l'AFP un responsable de ce ministère, affirmant que cette procédure devrait réduire de façon drastique la consommation de gaz par ces centrales.
Si un accord a depuis été trouvé entre Kiev et Moscou pour régler cette crise (1), le débat sur l’indépendance énergétique est relancé en Ukraine. Depuis des années, les syndicalistes du Donbass en appellent à une révision complète de la politique ukrainienne qui consiste à se débarrasser au plus vite des mines de charbon. Pour eux, les grandes réserves de charbon dont dispose l’Ukraine dans son sous-sol devraient inciter le gouvernement ukrainien à intensifier ses efforts pour moderniser les mines qu’il n’a pas encore privatisées. Ils estiment que l’Ukraine pourrait ainsi limiter sa dépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe.
« L’Ukraine ne peut fournir que 40% de l’énergie dont elle a besoin actuellement, souligne Leonid Davydov, vice-président du Comité central du Syndicat des travailleurs de l’industrie du charbon de l’Ukraine. Le charbon joue un rôle très important si l’Ukraine veut devenir autosuffisante sur le plan énergétique car il représente 95,4% de l’énergie combustible située sur son territoire (le reste se répartit en 2,6% de gaz et 2% de pétrole). Nous avons des réserves de charbon pour plusieurs siècles. Il coûterait moins cher à l’Ukraine d’investir dans le développement de ses mines que de continuer à acheter du gaz russe à un prix élevé ».
L’Ukraine hérite de mines en très mauvais état
Le défi économique et écologique que représenterait un retour vers le charbon dans la production d’électricité se heurte à un obstacle de taille : la grande majorité des mines de charbon encore en état de fonctionnement en Ukraine sont obsolètes, dangereuses et mal gérées, une situation qui ne date pas d’hier. « Le développement de l’industrie minière dans le Donbass date du 19ème siècle, il s’est poursuivi jusqu’à la seconde guerre mondiale, puis l’URSS a favorisé le développement de mines en Sibérie, où l’extraction était moins chère pour un charbon de meilleure qualité. Pendant les vingt années qui ont précédé l’indépendance, en 1991, 80% des mines ukrainiennes n’ont pas été bien entretenues. C’est de cette situation dont l’Ukraine a hérité à son indépendance, en 1991 », explique Valery Mamchenko, premier vice-président du Comité central du Syndicat des travailleurs de l’industrie du charbon de l’Ukraine.
Les différents gouvernements qui se sont succédé en Ukraine depuis 1991 n’ont pas consacré les budgets nécessaires à rénover les charbonnages. « Il aurait fallu de très importants investissements publics pour remettre l’industrie minière de charbon en état, mais le gouvernement avait d’autres problèmes, d’autres priorités, affirme Anatoliy Akimochkin, vice-président de la KVPU. De plus, une bonne partie des budgets prévus pour ce secteur a été détournée, elle n’a pas été investie dans les mines. Même les budgets prévus pour fermer les mines ont été détournés. Résultat : aucune mine ukrainienne n’a été fermée en respectant toutes les normes de sécurité. Il y a eu des catastrophes écologiques, de l’eau et du gaz se sont échappés des sous-sols et se sont répandus jusque dans des caves de maison, certaines habitations ont d’ailleurs explosé ».
Une région de villes « déprimées »
L’Ukraine comptait 1,2 millions de mineurs lors de son indépendance, en 1991. Il n’en reste qu’environ 300.000 aujourd’hui. « Beaucoup de travailleurs ont quitté le pays en raison de la fermeture d’une centaine de mines de charbon depuis l’indépendance. Ceci a contribué à une baisse de la population ukrainienne de 52 à 47 millions », explique Anatoliy Akimochkin. Les villes minières de l’est de la province de Donetsk (Torez, Shakhtarsk, …) sont parfois appelées « villes déprimées » : alors que la fermeture de nombreuses mines a entraîné l’arrêt des services qu’elles rendaient à la population (entretien des routes, soutien des écoles et crèches, …), la dévalorisation salariale du métier de mineur s’est poursuivie, provoquant l’exode de milliers d’habitants partis à la recherche d’un emploi ailleurs en Ukraine, en Russie ou en Europe occidentale. « Une ville comme Snezhnoye, située à 90 km à l’est de Donetsk, comptait 100.000 habitants il y a 7 ou 8 ans, mais il n’en reste que 68.000 actuellement, explique Naumova Elena Viktorovna, responsable du parti politique Sobor pour la région de Donetsk. Beaucoup sont partis en Russie travailler dans la construction, la prostitution, etc. Il n’y a vraiment plus d’emplois dans ces régions, surtout pour les femmes ». Les industries qui restent au Donbass (métallurgie, chimie, …) ne parviennent pas à absorber le flot de personnes qui ont perdu leur emploi dans le secteur minier.
On n’en serait sans doute pas arrivé là si les mines d’Etat avaient été gérées correctement depuis l’indépendance de l’Ukraine. Des hommes d’affaire peu scrupuleux ont construit des fortunes colossales en profitant de la corruption des autorités ukrainiennes. « Les oligarques ont longtemps dicté leur loi aux mines d’Etat, souligne Anatoliy Akimochkin. Ils achetaient aux mines le charbon au prix qu’ils désiraient, le nettoyaient, en faisaient du coke utile à la métallurgie. Avec leurs connexions au plus haut niveau du gouvernement, ils parvenaient même à décider du nom du directeur de telle ou telle mine. En avril 2005, le gouvernement a voulu changer la donne en augmentant le prix du charbon de 50%. Même si ce prix demeurait inférieur au prix normal du marché, les oligarques se sont mis d’accord pour ne plus acheter de charbon en Ukraine mais à l’étranger, principalement en Russie, qui a accepté de vendre à bas prix durant deux mois (espérant ainsi voir les mines ukrainiennes s’effondrer). Cette situation n’était pas tenable pour les mines d’Etat ukrainiennes. En juillet, les représentants du gouvernement ont donc dû accepter un compromis lors d’une réunion avec les oligarques. Ils se sont mis d’accord sur une augmentation de prix inférieure à ce que souhaitait le gouvernement ».
Les meilleures mines d’Etat pénalisées
Comme si les mines d’Etat n’avaient pas suffisamment de problèmes en raison du prix trop bas payé pour leur charbon, elles se sont heurtées jusqu’en 2005 à une obligation d’acheter leurs équipements à des prix très élevés. « Notre mine fait partie d’un groupement de mines d’Etat appelé « Donetsk Ugol » par qui nous devons passer pour acheter nos équipements, explique Zaitsev Nikolay Nikolayevich, représentant syndical de la mine Juzhnodonbasskaya n°3, à 70 km au sud de Donetsk. C’est aussi Donetsk Ugol qui nous achète le charbon à bas prix pour le revendre plus cher, et partage les bénéfices avec les autres mines beaucoup moins rentables qui font partir du groupement. Notre mine, qui est récente, ne peut donc vendre sa production ni acheter ses équipements elle-même tandis qu’elle voit une grande partie de ses bénéfices utilisés non pas à son propre développement mais au maintien en vie d’autres mines. C’est le gouvernement qui nomme le directeur de cette entité appelée Donetsk Ugol ».
Le nombre de mines appartenant à l’Etat est tellement important que le ministère ne peut pas tout contrôler lui-même depuis Kiev. Il a donc créé des entités comme Donetsk Ugol, qui regroupent plusieurs mines de charbon aux productivités différentes (des différences qui s’expliquent par leur situation géologique, leur ancienneté, …). Ce système équilibre les bénéfices mais porte préjudice aux mines les plus rentables. Ces entités étaient jusqu’à l’année dernière contraintes d’acheter leurs équipements en Ukraine, officiellement pour favoriser la production locale. Il s’avère cependant que les entreprises qui vendent ces équipements disposent du monopole en Ukraine, imposent dès lors les prix qu’elles souhaitent… et disposaient jusqu’il y a peu de relais suffisamment puissants auprès du pouvoir pour qu’il en soit toujours ainsi (les oligarques sont très impliqués dans ces entreprises). Le gouvernement issu de la révolution orange a cependant décidé l’an dernier d’ouvrir l’achat d’équipements à la concurrence étrangère, ce qui laisse espérer une baisse des prix.
La mauvaise gestion des mines de charbon ukrainiennes avant et après l’indépendance, leur situation géologique difficile (en raison notamment de leur profondeur) expliquent en bonne partie le coût de fonctionnement de ces mines souvent plus élevé que les revenus de la vente du charbon. Certaines erreurs peuvent être corrigées rapidement. « Il arrive régulièrement que plusieurs travailleurs reçoivent leur salaire d’une mine d’Etat sans jamais y travailler, dénonce Naumova Elena Viktorovna. Le directeur de la mine ou une autre personne influente les réquisitionne pour construire sa maison, y faire des travaux, … A une certaine époque, l’oligarque Rinat Akmetov était parvenu à faire passer les joueurs de son club de football, le Shakhtar Donetsk, pour des employés d’une mine ! Tout ceci affectait bien entendu le salaire des véritables mineurs »
Les autorités ukrainiennes ont consacré d’importants budgets à la relance économique des zones où de nombreuses mines ont fermé, mais là aussi, la corruption explique en bonne partie l’absence de résultats très convaincants. « De l’argent a été versé pour créer de l’emploi dans des entreprises qui n’existaient pas », souligne Anatoliy Akimochkin. Le gouvernement ukrainien se veut plus optimiste pour l’avenir : « Notre objectif est d’essayer de développer des petites et moyennes entreprises dans les zones touchées par la fermeture des mines, explique Volodymir Novikov, vice-ministre du combustible et de l’énergie. Notre principal soutien est d’offrir des crédits à des taux préférentiels, où l’intérêt serait payé par les autorités. Ceci dit, il faut reconnaître qu’une grande partie de ces fonds a été perdue en raison de la corruption. Nous établirons désormais des conditions strictes à l’allocation de ces fonds afin qu’un bureaucrate ne décide plus seul ».
Samuel Grumiau
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