Une mine au fond du jardin
(janvier 2006)
Reportage publié dans « Le Monde Syndical » (magazine de la Confédération internationale des syndicats libres) de janvier 2006
La dégradation du tissu minier de la région du Donbass a provoqué un foisonnement des mines clandestines. Des anciens mineurs, des femmes et parfois des enfants sont exploités dans ces galeries construites sans le moindre respect des normes de sécurité.
« J’ai dû quitter mon emploi de mineur suite à un accident de travail qui a provoqué une lésion incurable à mon œil gauche, explique un travailleur employé dans une mine illégale de la localité de Snezhnoye, dans l’est de la région de Donetsk. Ce handicap m’interdit de travailler dans une mine normale. Or, malgré cet accident, ma pension ne correspond même pas à la moitié de ce qui serait nécessaire pour assurer une vie décente à ma femme et à mon enfant. J’ai cherché un emploi ailleurs, mais c’est la crise ici. J’ai donc accepté de travailler dans cette mine non déclarée, où je touche de 400 à 500 hryvnias par mois (de 65 à 80 euros) selon le niveau de production ».
Les mines clandestines existaient déjà avant l’indépendance de l’Ukraine, mais leur nombre a fortement augmenté à mesure que les difficultés économiques conduisaient à la fermeture de nombreuses mines légales dans la région du Donbass. Ces mines peuvent exister partout où le charbon se trouve proche de la surface du sol. Certaines sont creusées à l’arrière d’un jardin, dans une cour, dans un bois, près d’une route, etc. La complicité des autorités locales est indispensable. « Il suffit de quelques personnes pour faire fonctionner une petite mine illégale, mais il faut avoir des protecteurs. Ceux-ci sont des politiciens, des policiers, des directeurs d’entreprises ou toute personne influente, explique Anatoliy Akimochkin, vice-président de la confédération syndicale KVPU. Il arrive que quelqu’un commence à creuser une galerie sans payer ces protecteurs, mais lorsque ceux-ci s’en aperçoivent, ils lui ordonnent de « collaborer » avec eux, c’est-à-dire de les payer, sans quoi l’exploitant risque de gros ennuis ».
Certaines mines illégales sont gérées par des familles sans l’aide de travailleurs extérieurs, d’autres sont plus développées et « engagent » clandestinement des mineurs. La plupart des exploitants n’étant pas très regardants quant à l’âge des mineurs, il arrive que de très jeunes travailleurs soient engagés. « J’ai déjà vu des femmes et des enfants de huit ans travailler dans des mines clandestines, déclare Anatoliy Akimochkin. Nous collaborons avec le BIT pour sensibiliser un maximum de gens à l’urgence d’éradiquer tout travail des enfants de ce type ». Certains enfants ne font que trier le charbon mais, dans la plupart des cas, on leur demande aussi de descendre dans les galeries.
Ni ventilation ni sortie de secours
Le travail de mineur est généralement plus dur dans les mines clandestines car il s’effectue à l’aide d’outils primitifs, fabriqués à la main. Sans la protection de contrats de travail ni de syndicats, les travailleurs de ces mines sont à la merci des employeurs qui peuvent mettre un terme à la « collaboration » du jour au lendemain. Il n’y a pas d’horaire fixe et l’insécurité est totale : pas de sorties de secours, de ventilation, de détecteurs de gaz, … Comme les exploitants de mines illégales ne paient aucune taxe et n’investissent aucunement dans la santé et la sécurité, une partie d’entre eux offrent des salaires plus élevés que ceux des mines d’Etat, des salaires qui sont payés à la semaine et non au mois. Ces deux avantages attirent certains mineurs : « Beaucoup quittent les mines d’Etat pour aller dans les mines illégales. Nous avons des postes à pourvoir mais nous ne trouvons pas de preneurs », regrette Vitali Stepanovich Kontsurak, délégué syndical de la mine Carbon, dans la région de Donetsk.
Les dangers liés aux mines clandestines ne se limitent pas aux travailleurs qui y descendent, car le creusement de leurs galeries est effectué à des profondeurs proches de la surface (6 à 8 mètres) et peut provoquer des glissements ou des effondrements de terrain. « Ceux qui ouvrent des mines clandestines ne font pas de grande recherche géologique pour savoir où creuser, explique Naumova Elena Viktorovna, responsable du parti politique Sobor pour la région de Donetsk. Ils demandent à d’anciens mineurs les plans du sous-sol, recherchent les veines proches de la surface et commencent à creuser. Ils négligent la ventilation des galeries (ce qui accroît les risques d’explosion), ils utilisent du bois de piètre qualité pour les soutenir, etc. La corruption peut mener à des drames. Ainsi, à Snezhnoye, quelqu’un avait creusé une galerie parallèlement à la rue centrale, elle passait sous un restaurant et sous le bâtiment qui abrite le système collectif de chauffage de la ville. C’était évidemment très dangereux en cas d’effondrement d’une galerie, par exemple suite à une explosion. Un procureur local était le protecteur de l’exploitant. J’ai dû le menacer de faire fermer toutes les mines qui le soudoient pour qu’il accepte de fermer cette mine clandestine dangereuse ».
Le charbon produit clandestinement intéresse beaucoup de monde
Le charbon extrait de ces mines illégales trouve facilement acquéreur. « Ce charbon est de bonne qualité car il a été extrait à la main, et il ne coûte pas cher étant donné que ses producteurs ne respectent aucune règle. Une partie du charbon produit par les mines illégales est vendu la nuit à de petits intermédiaires qui viennent le charger en catimini dans leurs véhicules privés. D’autres businessmen achètent de vieilles mines d’Etat prêtes à être fermées, ils ne les exploitent pas ou pas entièrement mais achètent le charbon des mines illégales et le revendent au nom de la vieille mine », dénonce Valery Mamchenko, premier vice-président du Comité central du Syndicat des travailleurs de l’industrie du charbon de l’Ukraine.
Ces ventes de charbon de bonne qualité à un prix intéressant sont aussi une aubaine pour les habitants des régions concernées. Elena Viktorovna : « Le prix du charbon est trop élevé pour les gens : les pensions minimales débutent à 320 hryvnias par mois (52 euros), or le charbon coûte environ 360-370 grivnas la tonne et il en faut de trois à cinq tonnes par hiver. Les personnes âgées achètent donc leur charbon non pas à la tonne mais par petites quantités, y compris aux mines illégales. Il n’est pas normal que le montant d’une pension minimale soit inférieur au prix d’une tonne de charbon ».
Le gouvernement ukrainien issu de la révolution orange réprime plus sévèrement les exploitants de mines illégales. Beaucoup ont été fermées mais, selon des estimations officielles rapportées par le BIT (Bureau international du Travail), il en reste plus de 800 à travers l’Ukraine, on en extrait de 30 à 40.000 tonnes de charbon par mois. Elles sont plus cachées qu’auparavant, fonctionnent plus souvent la nuit pour éviter les contrôles. Quelle serait la solution pour éradiquer ce type d’économie informelle ? « Nous sommes opposés aux mines clandestines, mais il n’y a pas assez d’emploi pour tous dans les régions où elles se trouvent, reconnaît Anatoliy Akimochkin. Il faut donc légaliser ces mines afin que leurs propriétaires soient contraints de respecter les lois et de payer leurs taxes. Quand les autorités se contentent de fermer une mine clandestine, dix autres ouvrent ailleurs ».
Samuel Grumiau
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