« La place d’un enfant domestique est à l’école »
(juin 2010)
Reportage publié dans "Travail" le magazine du BIT (Bureau international du travail) en avril 2010
Un programme d’actions mené par un syndicat tanzanien a permis à des milliers d’enfants d’échapper au travail domestique. Il pourrait trouver un nouvel élan en cas d’adoption d’une norme internationale sur le travail domestique. Samuel Grumiau, journaliste et spécialiste des questions syndicales, nous envoie ce témoignage de Tanzanie.
Une étude sur la main-d’oeuvre menée par le gouvernement tanzanien en 2006 a révélé qu’un cinquième des enfants âgés de 5 à 17 ans était engagé dans des formes dangereuses de travail. Chez les filles, le travail domestique est l’une des principales exploitations. La plupart d’entre elles sont amenées dans les grandes villes par des personnes qui ont gagné la confiance de leurs parents en promettant un salaire et une scolarité. Dans la pratique, elles sont souvent victimes des pires abus: jusqu’à dix-huit heures de travail par jour, coups et humiliations de la part des employeurs, logement à même le sol, mauvaise alimentation, etc. Les salaires des enfants domestiques ne dépassent pas les 12 dollars par mois… quand ils sont payés.
Depuis sa création en 1995, le syndicat CHODAWU (1) lutte contre le travail des enfants domestiques. Ses actions ont été soutenues par l’IPEC, notamment avec les programmes assortis de délais dont la Tanzanie fut l’un des premiers bénéficiaires. L’une des premières étapes du programme d’actions de CHODAWU fut d’établir des comités contre le travail des enfants dans chaque quartier visé. Ils se composent de personnes influentes au sein des communautés locales (enseignants, infirmières, représentants de l’administration, etc.) et ont notamment pour rôle d’identifier les enfants domestiques, une tâche difficile, car le lieu de travail est un domicile privé.
« Nous commençons par demander aux membres de la communauté locale s’ils connaissent des enfants travailleurs domestiques dans leur rue », explique Leah Medard, militante de CHODAWU à Dar es-Salam, dans le quartier Kawe (district de Kinondoni). « Lorsqu’ils mentionnent des cas, une délégation du comité contre le travail des enfants se rend au domicile de l’employeur pour vérifier la véracité des informations. Des personnes respectées dans le quartier font partie de l’équipe afin d’aider à ouvrir les portes. Si la personne emploie bel et bien un enfant, nous essayons de la sensibiliser en lui expliquant que même si l’emploi d’un mineur est illégal, nous ne voulons pas la punir, mais simplement aider l’enfant. Nous voulons convaincre chacun que la place d’un enfant domestique est à l’école.»
Tendre la main aux employeurs
L’emploi d’enfants domestiques est à ce point répandu en Tanzanie que le syndicat préfère tendre la main aux employeurs que les menacer d’action en justice. « Les arrestations et sanctions sont du ressort de la police, pas des syndicats », note Towegale Kiwanga, secrétaire général de CHODAWU. « Nous ne contactons les policiers que lors d’abus extrêmes, par exemple le harcèlement sexuel. Dans les autres cas, nous préférons négocier avec l’employeur pour en arriver à une situation de travail décent si la travailleuse domestique a plus de 14 ans, ou à ce qu’il envoie son employée à l’école si elle est plus jeune .» La pression des comités contre le travail des enfants a toujours un effet positif: « Même dans les cas rares où l’employeur refuse de libérer l’enfant, il le traitera mieux, car il se sentira surveillé par la communauté », souligne Leah Medard.
Lorsqu’un accord est trouvé avec l’employeur, les employés de CHODAWU exposent à l’enfant les options possibles: être intégré dans les écoles publiques (éventuellement après une période de remise à niveau dans l’un des centres créés par le gouvernement à cet effet), suivre des cours dans l’un des trois centres de formation professionnelle du syndicat ou retourner dans le village d’origine. « Lors de la première phase du projet, nous avions davantage de fonds pour la réintégration des enfants dans leurs villages d’origine », explique Silpha Kapinga, coordinatrice des actions de CHODAWU contre le travail des enfants. « Ces opérations s’effectuaient en collaboration avec nos représentants dans les différentes régions et avec les autorités locales, mais il n’est pas facile de faire le suivi de ces enfants quand ils sont rentrés chez eux. Ces dernières années, la grande majorité des ex-enfants domestiques aidés par notre projet ont préféré demeurer en ville pour suivre des formations dans nos centres ou retourner à l’école. »
Plus de 6000 enfants ont été retirés du travail domestique par CHODAWU depuis 1995. Des campagnes de sensibilisation ont prévenu le recrutement de milliers d’autres. « Dans les districts où le programme a été mis en place, il est devenu difficile de trouver des enfants travailleurs domestiques », se réjouit Vicky Kanyoka, coordinatrice de l’UITA en Afrique. La lutte contre le travail des enfants a aussi permis au syndicat d’améliorer son image dans la société et de mener une action de plaidoyer efficace auprès du gouvernement. CHODAWU a ainsi obtenu que la législation reconnaisse les employées de maison comme des travailleuses, qu’elles bénéficient d’un salaire minimum (allant de 48 dollars chez un employeur quelconque à 66 dollars chez un diplomate), du droit à la protection de la maternité, d’un congé annuel, etc.
Etant donné la longue tradition d’exploitation des travailleuses domestiques et le caractère individuel de leur relation de travail, l’application de tous les droits reconnus dans la législation tanzanienne est encore loin d’être une réalité de terrain. « Une convention de l’OIT sur le travail domestique nous aiderait à faire appliquer ces droits », souligne Titus Mlengeya, Président de CHODAWU. « Elle susciterait aussi une autosensibilisation chez les travailleuses elles-mêmes: elles seraient reconnues mondialement comme une catégorie de main-d’œuvre qui contribue de façon importante à l’économie et à la génération de revenus. Si le gouvernement tanzanien ratifie cette nouvelle norme, personne ne nous regardera bizarrement en demandant ‘Comment pouvez-vous défendre des servantes?’. Nous serons au contraire perçus comme des citoyens qui protègent les intérêts d’un groupe de personnes tout aussi importantes que les autres. »
(1) CHODAWU (Conservation, Hotels, Domestic and Allied Workers’ Union) est affilié au Congrès des syndicats tanzaniens et, sur le plan international, à l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes).
ENCADRE :
Neema témoigne
« A l’âge de 12 ans, j’ai arrêté l’école pour être employée comme travailleuse domestique sept jours sur sept, de 7 à 22 heures, sans interruption. Je gagnais 15 000 shillings (11 dollars) par mois. Je dormais sur un matelas dans le salon de mon employeur, sans avoir le droit de manger la même chose que sa famille. C’était un couple avec trois enfants. La femme ne cessait de me frapper et de m’insulter. Les tâches les plus pénibles étaient de laver les vêtements, d’aller chercher l’eau et de nettoyer les toilettes.
Lorsque des membres du comité contre le travail des enfants de CHODAWU m’ont rencontrée en 2008, je n’étais plus payée depuis trois mois. J’ai suivi des cours de couture dans un centre de CHODAWU jusqu’en décembre 2009. Depuis, je fais de petits travaux chez une voisine qui a une machine à coudre, afin de ne pas perdre la main. Si je ne trouve pas d’emploi dans ce domaine, je redeviendrai travailleuse domestique, car je n’ai pas le choix: je suis l’aînée de quatre frères et soeurs, et ma mère est seule. Si j’avais pu continuer mes études, j’aurais voulu devenir enseignante. »
Neema Jackson, 16 ans
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