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La dictature militaire délaisse complètement le secteur médical

(septembre 2003)

Reportage publié dans Le Journal du Médecin du 26 septembre 2003

 

Le manque criant d’investissements dans le médical et la formation des médecins est responsable de dizaines de milliers de morts chaque année en Birmanie. 

 

Avec à peine 2,6 % du budget de l’Etat consacrés au secteur de la santé, il ne fallait pas attendre de miracle : la Birmanie est l’un des pays d’Asie où l’on est le plus mal soigné (1). Une espérance de vie de 55,8 ans pour la période 1995-2000, une mortalité infantile de 78 pour mille en 2000 (2) ne sont que quelques chiffres révélateurs d’un système de santé indigent. Pénétrer dans un hôpital public moyen (un acte normalement interdit aux étrangers) donne une idée de l’ampleur des besoins : aucun médicament disponible gratuitement, pas de banque de sang, de laboratoire, d’eau potable, d’ambulance, aucun drap, oreiller ou couverture sur les lits, un personnel médical rare et démotivé, etc. L’alimentation électrique est aléatoire, y compris durant les opérations.  

 

L’aide d’organisations non gouvernementales reste réduite en Birmanie, tant en raison des limitations posées par la dictature militaire au développement de leurs activités que par la condamnation internationale du régime. L’agonie du secteur public a entraîné le développement de petites structures privées, principalement dans les villes. Elles sont souvent tenues par des médecins des hôpitaux public qui, le soir ou pendant leurs heures de travail, tentent d’améliorer leurs revenus à travers la création de petits dispensaires, mais la qualité des soins et des médicaments qu’ils vendent laisse à désirer.

 

« Nous gagnons 7.500 kyats (environ 7,5 dollars) par mois, expliquent les deux médecins d’un hôpital public proche de la capitale, Rangoon, alors qu’il faut 50 dollars par mois pour nourrir une famille de taille moyenne. Nous pourrions multiplier ce salaire par 8 ou 8 ou 10 en travaillant dans un grand hôpital privé, mais le gouvernement nous interdit de démissionner avant d’avoir travaillé plusieurs années pour ses établissements ». Ce nombre d’années n’est pas clairement défini, une incertitude qui sape davantage le moral des médecins. S’ils bravent cette interdiction de démissionner, ils risquent de se retrouver sur la « liste noire » des Birmans qui ne peuvent être engagés nulle part. Ils pourraient alors créer leur propre petit dispensaire, mais il y aurait fort à parier que les collaborateurs du régime, présents dans chaque quartier, feraient pression sur les patients pour que ceux-ci ne se rendent pas chez les médecins « dissidents ».  

 

Ces deux médecins, complètement démotivés par leur salaire et leurs conditions de travail, n’ont aucune connaissance des moyens de transmission de maladies comme le sida alors qu’ils ont quitté l’université il y a à peine trois ans. Ils refusent de mettre le pied dans la prison pour femmes proche de leur hôpital qu’ils sont supposés superviser parce que, selon eux, « on ne trouve que des femmes porteuses du virus du sida dans cette prison. Nous n’osons pas les toucher car nous pourrions être contaminés » ! Peut-on reprocher à ces jeunes médecins leur incompétence alors que beaucoup de leurs livres de cours datent de périodes aussi lointaines que 1948 ? Comme si le manque de formation ne suffisait pas, le gouvernement militaire interdit l’accès à Internet pour la quasi-totalité des Birmans, fussent-ils des médecins à la recherche d’informations scientifiques de base.

           

                        Accouchements « cinq étoiles » ou « normaux »

 

En cas d’opération chirurgicale, le patient doit payer les outils du chirurgien, le fil pour les points, les « cadeaux » pour les médecins, etc. Une opération dans un hôpital public est supposée gratuite, mais les patients s’en tirent rarement avec moins de 100 dollars, une somme astronomique comparée aux revenus des Birmans. Même pour les accouchements, beaucoup de femmes préfèrent éviter les hôpitaux publics en raison des coûts et de la mauvaise qualité des soins donnés. Entre 70 et 80% des mères accouchent à la maison, où elles sont aidées par des personnes plus ou moins qualifiées, comme des sages-femmes. Une question d’image dissuade aussi les Birmans de se rendre dans les hôpitaux pour les accouchements : « les Birmans savent qu’il vaut mieux aller à l’hôpital pour un accouchement, explique un fonctionnaire de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à Rangoon, mais quand ils y vont, leurs amis leur demandent s’il y a un problème. Et puis, ils savent que dans les hôpitaux, il y a des accouchements « 5 étoiles » et des « normaux », selon l’argent que l’on donne ». La situation est pire encore dans les régions rurales, où beaucoup de villages n’ont aucun accès aux centres de santé du gouvernement car ils en sont situés trop loin.

 

Les généraux qui gouvernent la Birmanie et leurs proches ont, de leur côté, tout le loisir de se rendre dans les pays voisins lorsqu’ils doivent recevoir des soins, aux frais de l’Etat. Un hôpital ultramoderne de Bangkok envisage d’ouvrir une section dans un quartier riche de Rangoon pour soigner cette clientèle privilégiée, avec notamment des médecins expatriés. « Si cela se confirme, il s’agit d’une très mauvaise nouvelle pour le peuple birman, ironise une infirmière birmane réfugiée en Thaïlande : non seulement, ce nouvel établissement aurait des tarifs hors de portée de 95% de la population, mais en plus, il prolongerait la vie des généraux de la junte ! »  

 

                                                                                              Samuel Grumiau

 

(1) En 1998-99, le gouvernement birman avait consacré 49,93% de son budget à la défense, alors que le pays n’est soumis à aucune menace extérieure, pour à peine 6,98% à l’enseignement et 2,6 à la santé.

(2) Source : PNUD, Rapport annuel sur le développement humain 2002

 

Encadré:

 

                        Un gouvernement ennemi des étudiants

 

Les médecins ne sont qu’une catégorie d’universitaires birmans dont la formation comporte de graves lacunes. Les étudiants des universités ont joué un rôle important dans les manifestations de 1988 qui réclamaient le retour de la démocratie. Depuis, ils inspirent de grandes craintes aux généraux, qui ont tout fait pour empêcher un fonctionnement normal des universités civiles. Entre 1988 et 2000, elles n’ont été ouvertes que durant 40 mois, soit environ 3 mois et demi par an. Le contenu de leurs cours a été fortement réduit (d’environ deux tiers), ce qui rend très contestable la valeur des diplômes. Rien ne garantit par ailleurs que les examens sont passés de façon normale, c’est-à-dire sans acheter la bienveillance du professeur.

 

« Payer » est la seule façon d’obtenir un service de base en Birmanie, même lorsqu’on gagne à peine de quoi s’acheter un repas par jour. « Comme je ne gagne que 6 dollars par mois pour mon travail de jour au ministère, je recommence une seconde journée de travail le soir en tant que taximen, avec une voiture que je loue, explique un père de trois enfants à Rangoon. Je dois payer les cours privés de mes enfants, car leur institutrice gagne le même salaire que moi et oblige donc ses élèves à aller le soir chez elle suivre des leçons supplémentaires payantes, sans quoi ils ne réussiront pas leurs examens. D’habitude, je reçois un peu d’aide alimentaire de la part de mon frère qui est cultivateur, mais cette année, c’est moi qui ai dû lui envoyer de l’argent, car les inondations ont emporté ses récoltes, ce qui n’empêche pas le gouvernement de lui réclamer, comme chaque année, un quart des sacs de riz qu’il était supposé produire. Je dois lui prêter de l’argent pour qu’il achète du riz qu’il donnera ensuite aux militaires, sinon il risque les pires ennuis. Ma femme ne peut donc pas soigner ses maux de ventre, car il faudrait l’opérer, et nous n’en avons pas les moyens ».           

                                                                                                                      S.G.

 

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