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Comment panser les plaies psychologiques des Tamouls ?

(novembre 2008)

(Reportage publié dans Le Journal du médecin du 14 novembre 2008)

 

Le conflit entre les Tigres tamouls et l’armée sri lankaise a jeté sur les routes des centaines de milliers de civils. Au-delà de la catastrophe humanitaire, l’impact psychologique des combats est énorme, surtout sur les enfants. Une ONG locale partenaire de MSF-Hollande et de l’Unicef tente de limiter les traumatismes. 

 

La guerre qui oppose depuis plus de 30 ans le gouvernement sri lankais et une organisation indépendantiste connue sous le nom de « Tigres tamouls » (1) a provoqué la mort d’au moins 70.000 personnes. Reconnus internationalement comme groupe terroriste, les Tigres luttent pour l’autodétermination et la création d'un Etat tamoul dans le nord-est de l'île, où les Tamouls sont majoritaires (les Tamouls constituent environ 18 % de toute la population sri lankaise, les Cingalais 74%). L’armée des Tigres tamouls a longtemps contrôlé de larges territoires du Nord et de l’Est du pays, mais des divisions internes et des débâcles militaires la confinent actuellement à une partie du Nord du Sri Lanka. Ces derniers mois, de grandes offensives de l’armée sri lankaise ont encore réduit la zone contrôlée par les Tigres, mais l’impossibilité de pratiquer un journalisme indépendant dans les régions du conflit rend très difficile un compte-rendu exact de la situation militaire.

 

Sur le plan humain, par contre, les choses sont claires : la peur fait partie du quotidien. Dans les régions tamoules contrôlées par le gouvernement, pas un jour ne se passe sans que des civils ne soient enlevés, torturés, assassinés, souvent car ils sont soupçonnés d’avoir un contact avec des Tigres tamouls. La situation des civils est tout aussi désespérée dans les régions contrôlées par ces Tigres : en plus des combats avec l’armée sri lankaise, les familles tamoules doivent composer avec ce mouvement terroriste qui ne tolère aucune voix discordante et qui a longtemps contraint les enfants à le rejoindre comme soldats (ce recours par les Tigres aux enfants soldats semble avoir diminué ces dernières années, notamment grâce aux pressions de l’Unicef, mais l’intensification des combats ces dernières semaines laisse craindre le pire).

 

Plus de 220.000 personnes sont déplacées dans le Nord du Sri Lanka suite aux combats. Elles vivent généralement dans des camps, et l’impact psychologique du climat de terreur sur ces civils est très important. « Les symptômes les plus fréquents chez les adultes sont des problèmes de tension, de maux de tête continus, d’insomnies, de stress, … Pour les enfants, nous constatons de nombreux cas d’incontinence et de pleurs nocturnes, et aussi un nombre anormalement élevé de cas de paresse, de volonté de solitude, d’amertume constante, d’agressivité, d’automutilations, etc. », indique Asantha, une responsable de Shade (2), une ONG sri lankaise partenaire de MSF-Hollande et soutenue notamment par l’Unicef.

 

Shade est basée à Vavuniya, une ville située en zone tamoule contrôlée par le gouvernement. Elle emploie 30 « promoteurs de santé communautaire » qui sont en contact régulier avec les personnes déplacées. « Nous menons des programmes de sensibilisation pour leur apprendre comment traiter ces problèmes, explique Asantha. Nous utilisons des éléments de notre culture : des programmes de télévision, de petites pièces de théâtre, de la musique, des spectacles de marionnettes, …Pour les enfants, nous créons des unités de soutien dans les camps de personnes déplacées : dans ces refuges, il arrive assez souvent que les parents ne s’occupent pas suffisamment de leurs enfants. Ceux-ci traînent donc un peu partout et risquent d’être abusés. Nos unités essaient de les réunir, de mettre en valeur leurs talents, de les inciter à parler de leurs histoires, de leurs hobbies. Nous faisons de notre mieux pour distraire les enfants, détourner leur esprit de la guerre. Ca passe par des jeux, de la méditation, de la relaxation, du yoga, du dessin, … Au début, nous organisons des forums ouverts, puis nous les répartissons dans de petits groupes où les enfants se sentent plus en confiance ». 

 

                              Un par un devant un individu cagoulé

 

L’ONG Shade est particulièrement active après les opérations de « round up ». Ces opérations menées généralement par l’armée sri lankaise (à 100% cingalaise) consistent à rassembler les habitants d’un quartier sur une place publique, à leur faire des sermons sur leurs devoirs de dénoncer les sympathisants des Tigres tamouls. Ils sont parfois obligés de défiler un par un devant une personne dont la tête est recouverte d’une cagoule. Il s’agit d’un informateur de l’armée et s’il opine de la tête lorsqu’une personne passe devant lui, elle est arrêtée et suspectée d’être sympathisante des Tigres tamouls (ce qui se traduit généralement par des tortures et un maintien en détention sans jugement durant une longue période). « Après un round up, nous essayons d’organiser plus d’activités pour les enfants qui ont y ont accompagné leurs parents ou qui étaient morts d’inquiétude chez eux pendant que leurs parents ont dû y participer », indique Asantha.

 

A Vavuniya, le stress lié au statut de personne déplacée et aux humiliations vécues lors des contrôles de la police ou de l’armée est renforcé par les coups de canon qui tonnent régulièrement : l’armée sri lankaise occupe une base aux portes de la ville, elle tire presque chaque jour des obus en direction de la zone tenue par les Tigres tamouls, à une dizaine de kilomètres au nord. La plupart des Tamouls de Vavuniya ont de la famille ou des amis dans cette zone, chaque tir d’artillerie fait donc craindre que des proches aient été touchés là où les obus atterrissent. « Le stress et la peur liée à ces énormes bruits soudains ont déjà provoqué au moins deux avortements, explique Asantha. Nous avons aussi connu les cas de trois enfants qui ont fait une syncope suite à des tirs d’artillerie ».

 

                               Restaurer la confiance entre Tamouls

 

Les Tamouls du nord du Sri Lanka doivent aussi composer avec leurs dissensions internes : à l’opposé des Tigres, plusieurs groupes armés tamouls sont alliés au gouvernement, qui les utilise pour les « sales besognes » (enlèvements, assassinats, ...) et ferme les yeux sur les extorsions d’argent dont ils sont coupables. Ces divisions ajoutent encore à la tension car plus personne ne fait confiance à personne. Shade tente de restaurer cette confiance chez les plus jeunes. « Nous organisons des jeux adaptés au renforcement de la confiance aux autres, à la construction de la paix. Nous avons par exemple un jeu où un enfant a les yeux bandés et doit être guidé par les autres pour traverser un trajet difficile, semé d’embûches. Il faut aussi restaurer la confiance en soi. Voici trois semaines, j’ai rencontré dans un camp de déplacé un petit garçon qui se sentait coupable : il se demandait pourquoi il est né dans ce district, pourquoi il est tamoul, … Il est important d’écouter son histoire, de lui expliquer que ce n’est pas sa faute, que tous les autres enfants qu’il connaît sont dans la même situation, puis de lui donner un peu d’espoir pour le futur ».

 

L’alcoolisme est un autre problème important dans les communautés de personnes déplacées. Le kasippu, un alcool très fort, toxique et bon marché, est fabriqué de façon illégale dans certains camps, il sème des ravages dans la vie des familles tamoules. « Nous avons mis en place un programme « alcooliques anonymes » pour tenter d’aider ceux qui deviennent dépendants, explique un dirigeant de Shade. Ce programme a convaincu 44 personnes d’arrêter l’alcool au cours des trois dernières années. Le suivi est important pour éviter qu’elles ne replongent : avec l’absence de travail, les conditions de vie très dures, les inquiétudes pour l’avenir, les souvenirs des traumatismes vécus, il est facile de se réfugier dans l’alcool ».      

 

C’est MSF-Hollande qui a entamé ces programmes psychosociaux dans la région de Vavuniya avant de les confier à Shade en 2004. La section hollandaise de MSF poursuit d’autres projets médicaux dans cette zone, notamment un programme d’aide aux femmes victimes de violences. A. Moses, coordinateur de MSF à Vavuniya : « A l’hôpital général de Vavuniya, nous avons observé des cas de femmes venant avec des bandages, la nature de leurs blessures laisse penser qu’elles ont essayé de se suicider. Il y a aussi beaucoup de cas de femmes battues, elles ne veulent pas nous dire par qui, mais nos relais locaux savent qu’il s’agit de violence domestique. Les gens n’aiment pas parler de ces sujets, mais nous connaissons bien les mesures à mettre en place, les médicaments que nous pouvons fournir aux hôpitaux. Notre but est que ces femmes victimes viennent à l’hôpital, reçoivent un traitement, que nous les référions à des conseillers pour un suivi. Nous sommes en train de sensibiliser les docteurs et infirmières afin de s’assurer qu’ils sachent pourquoi il est important pour les victimes de se faire traiter, pour qu’ils comprennent la gravité du problème du viol, du traumatisme de la personne, des risques d’infection, … »

 

                                                                                 Samuel Grumiau

 

(1)     Tigres de libération de l'Eelam Tamoul - en anglais LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam)

(2)   Pour préserver la sécurité des Sri Lankais qui ont eu le courage de témoigner malgré les risques encourus en rencontrant un journaliste étranger, leurs noms ont été modifiés.

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