De la décharge à l’école
(mai 2005)
Reportage publié dans le mensuel d’Amnesty-Belgique francophone, Libertés!, de mai 2005
« Bons qu’à mendier ou à chaparder », les Roms ? Une plongée dans la réalité quotidienne de familles roms vivant en Albanie démonte ce préjugé.
Elles sont trois familles péniblement logées dans des entrepôts désaffectés de Korça, dans le sud-est de l’Albanie, non loin de la frontière grecque. C’est une ONG locale, NPF (1), qui est parvenue à obtenir des autorités qu’elles puissent occuper cet endroit lugubre. Avant, c’était la rue. Chaque famille a droit à une pièce d’environ 20 mètres carrés, il n’y a ni chauffage ni électricité et à peine une toilette pour les trois foyers. Mais c’est un début : grâce à ce pied-à-terre, les enfants ont une adresse fixe, ce qui facilite leur inscription à l’école. L’aide matérielle apportée par l’ONG sous la forme de vêtements pour les enfants et d’un apport de nourriture a aussi aidé ces familles à renoncer au travail de leurs enfants, au moins pendant la période scolaire.
En Albanie comme ailleurs, les Roms souffrent de discrimination à l’embauche. Dans ce pays où le taux de chômage dépasse les 35 % dans certaines régions et où la sécurité sociale est très réduite, les Roms n’ont que peu de chances de décrocher un emploi régulier, d’autant que leur niveau de scolarisation est généralement plus bas que celui des autres Albanais. Ils se rabattent donc sur les activités les moins valorisées, comme le recyclage de détritus. Maxime, 38 ans et père de deux garçons âgés de 11 et 12 ans, est chef d’une des familles logées dans les entrepôts de Korça. Il témoigne : « Tous les jours, je pars à 5 heures du matin dans les décharges, jusqu’à 4 heures de l’après-midi, afin de récupérer les canettes. Je les revends ensuite pour un dollar par kilo récolté. Les bons jours, je peux en récolter deux au maximum. On ne peut vivre décemment avec cette somme, mais il n’y a pas d’autre emploi ici. J’étais parti en Grèce pour travailler, j’avais trouvé un emploi clandestin de chargement de camions dans une petite entreprise, mais j’ai été arrêté par la police grecque et renvoyé ici ».
L’aide de NPF a redonné espoir à Maxime, qui est fier d’avoir pu inscrire ses enfants dans une école de Korça. « J’ai toujours voulu que mes enfants aillent à l’école car je ne veux pas qu’ils se retrouvent comme moi, à l’âge adulte, avec des difficultés pour lire et écrire. J’ai commis l’erreur d’arrêter l’école après deux années quand j’étais enfant, en partie parce que j’avais de mauvaises fréquentations. Mon problème est que je n’avais pas d’argent pour payer des vêtements corrects et des chaussures afin que mes enfants aillent à l’école. Maintenant, ils peuvent enfin y aller ».
Trop de concurrence à 5 heures du matin...
Maxime et ses enfants ne sont pas tirés d’affaire pour autant : l’amélioration de leur situation économique dépend en bonne partie de la poursuite du soutien de NPF, qui reçoit l’aide du BIT (Bureau international du travail). Hanne, 34 ans, l’une des voisines de Maxime, connaît les mêmes difficultés pour trouver un emploi. Elle vit avec son mari et un enfant adopté dans une autre petite pièce de l’entrepôt désaffecté. Elle est capable de broder, mais ne trouve plus de débouché dans ce domaine depuis qu’un homme qui lui achetait sa broderie pour aller la revendre en Grèce ne vient plus chez elle (il lui payait environ 10 dollars pour trois jours de travail). Elle pense qu’il a été arrêté. Elle parcourt donc les rues à la recherche de canettes à recycler. « Je le fais depuis plusieurs années avec mon fils, qui a huit ans, car je ne pouvais le laisser seul à la maison. Il va maintenant pouvoir être accueilli dans une école grâce à l’aide de NPF, je ne devrai donc plus l’emmener avec moi. C’est un travail très dur et de plus en plus de gens l’exercent. Il y a de plus en plus de compétition entre ramasseurs et je dois maintenant partir au beau milieu de la nuit si je veux avoir une chance de récupérer des canettes car si j’arrive à 5 heures du matin, d’autres sont déjà passés avant moi et il n’en reste quasiment plus ».
Hanne rêve de trouver de nouveaux acheteurs pour ses broderies. « Si je trouvais quelques acheteurs, nous pourrions aménager l’électricité dans notre pièce, installer un début de chauffage, mieux nous alimenter, je ne devrais plus courir les rues la nuit pour trouver des canettes ni dépendre de l’aide d’une ONG ». Maxime, lui, envisage de retenter sa chance en Grèce lorsque ses enfants auront grandi et pourront se prendre en charge eux-mêmes. D’ici là, ils continueront d’exercer les jobs les plus dégradants car même une embellie (improbable) du marché de l’emploi en Albanie n’éradiquerait pas les préjugés dont ils sont victimes.
Samuel Grumiau
(1) « Ndihmë për Fëmjët » (« Aider les enfants »)
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