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La traite d’enfants « restaveks » à Haïti

(octobre 2012)

Reportage inclus dans un dossier « Haïti-République dominicaine » publié sur le site Equal Times le 15 octobre 2012. L’entièreté du dossier est disponible en cliquant sur

http://www.equaltimes.org/wp-content/uploads/2012/10/Equal_Haiti_FR.pdf

 

Au moins 225.000 enfants, en majorité des filles, sont contraintes de quitter leurs familles pour devenir travailleuses domestiques en Haïti. Une situation souvent proche de l’esclavage moderne.  

 

On les appelle communément les « restaveks » (« reste avec » en langue créole). La tradition ancienne qui a institué leur travail part d’une bonne intention : une famille très pauvre confie un de ses enfants à une famille plus aisée qui en prend soin, l’inscrit à l’école (ce qui n’est généralement pas le cas chez les parents) en échange éventuellement de petits services domestiques. Dans beaucoup de cas, le système est perverti : les familles d’accueil abusent de la confiance de la famille « biologique », elles ne l’inscrivent pas à l’école et l’utilisent comme esclave domestique.

 

La plupart des enfants restaveks vivent des situations d’exploitation extrêmes. Elles sont les premières à se lever et passent leurs journées à accomplir des tâches ménagères exténuantes jusqu’au crépuscule. Beaucoup décrivent le transport de récipients d’eau sur de longues distances comme la tâche la plus pénible qu’elles doivent accomplir : les employeurs ne disposent généralement pas de l’eau courante, ils envoient donc l’enfant restavek à la pompe publique pour puiser les quantités d’eau nécessaires à leur consommation. Selon le BIT (1), la journée de travail d’une enfant restavek dure en moyenne de 10 à 14 heures.

 

Beaucoup de restaveks sont frappées, humiliées et/ou insultées par les membres de la famille d’accueil. Souvent, les employeurs ne les autorisent à manger que les restes des repas. Cette mauvaise alimentation engendre qu’une enfant restavek de 15 ans mesure en moyenne 4 centimètres et pèse 20 kilos de moins qu’un enfant haïtien ordinaire (2). L’origine sociale différente (village très reculé, bidonville, situation d’orphelin, etc.) des enfants restaveks renforce leur position d’infériorité dans la famille « d’accueil » si celle-ci est animée de mauvaises intensions.

 

Beaucoup de filles restaveks sont victimes de viols ou d’harcèlements sexuels au sein ou dans l’environnement de la famille de l’employeur. Les auteurs peuvent être le chef de famille, ses fils (certains se servent de la petite restavek pour vivre leurs premières expériences sexuelles), un voisin, etc.

 

L’histoire de Micheline (3), une enfant de 12 ans, est typique de celle des restaveks. « J’ai grandi dans une commune proche de Ganthier, dans le département de l’Ouest. Je vivais dans une famille de huit personnes. J’aidais ma mère à prendre soin de ma petite sœur, à effectuer des tâches ménagères. A l’âge de 11 ans, ma mère m’a envoyé vivre chez une cousine à Port-au-Prince, Florène, car celle-ci avait besoin d’une aide pour les tâches ménagères. Je n’avais pas envie de partir, j’étais vraiment très triste le jour de mon départ. 

 

Chez Florène, je me levais à 6h et je travaillais jusque 21h : prendre soin du bébé, faire la vaisselle, la lessive, aller au marché, laver les sols, … Je devais aussi aller chercher l’eau, à 35-40 minutes de marche, je la transportais dans des récipients, je devais effectuer jusque trois voyages par jour. On ne me permettait pas d’aller jouer avec les autres enfants.

 

Durant les deux années passées là-bas, je n’ai pas revu ma mère. Ma cousine Florène me la passait parfois au téléphone, mais comme Florène était à côté de moi, je n’osais pas dire à ma mère que j’étais maltraitée. Je recevais pourtant des coups : lorsqu’on n’était pas content de moi, le conjoint de ma cousine m’engueulait, mais elle me fouettait parfois avec un martinet ou une ceinture.

 

Un dimanche soir, le mari d’une autre cousine m’a appelée pour me demander d’aller prendre un objet chez lui. Quand je suis arrivée, il était seul, allongé sur son lit. Je ne voulais pas entrer, mais il m’a dit qu’il ne pouvait pas se déplacer. A l’intérieur, il a bondi sur moi, a plaqué sa main sur ma bouche et m’a violée. Il m’a menacée si je révélais ce qui s’était passé. J’étais terrifiée. Trois jours plus tard, il a violé une autre enfant, mais elle a dénoncé ce qu’elle a subi, un scandale a éclaté et ça m’a donné le courage de le dénoncer moi aussi. L’homme s’est retrouvé en prison et j’ai été confiée au CAD (4). J’espère pouvoir retourner à l’école, mon rêve est de devenir avocate pour aider mes parents, plaider pour les déshérités ».

 

Contrairement à une idée répandue, l’exploitation des restaveks ne se limite pas aux grandes villes. On trouve des enfants confiés en domesticité jusque dans les plus petits villages haïtiens. Dans les régions reculées, il n’y a pas encore de prise de conscience du caractère anormal du placement d’un enfant en domesticité. Dans les plus grandes villes par contre, les campagnes de sensibilisation menées depuis des années ont changé certaines mentalités. De nombreuses familles « d’accueil » se sentent coupables d’employer un enfant restavek, refusent de le reconnaître, la présentent comme leur propre enfant ou une « nièce »… tout en continuant à l’exploiter.

                                                                                             

                                                                Samuel Grumiau

 

(1) Source :http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/features/WCMS_188047/lang--fr/index.htm

(2) Source : idem

(3) Prénom d’emprunt

(4) Le Centre d’appui pour le développement (CAD) est une ONG haïtienne qui accueille de nombreux enfants rescapés de l’exploitation domestique et essaie de les réinsérer dans leur famille biologique.     

 

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