Les forces de l’ordre complices des employeurs véreux ?
(octobre 2012)
Reportage inclus dans un dossier « Haïti-République dominicaine » publié sur le site Equal Times le 15 octobre 2012. L’entièreté du dossier est disponible en cliquant sur
http://www.equaltimes.org/wp-content/uploads/2012/10/Equal_Haiti_FR.pdf
Plus d’1 million de migrants haïtiens vivent en République dominicaine, la plupart en situation irrégulière. Cette main-d’œuvre est prête à de nombreux sacrifices pour obtenir un travail. Elle suscite la convoitise de nombreux employeurs dominicains, notamment dans le secteur de la construction.
95 % des ouvriers travaillant sur des chantiers dans les zones touristiques sont des Haïtiens. A Santo Domingo et dans le reste du pays, le pourcentage est moindre mais la main-d’œuvre haïtienne demeure largement majoritaire dans ce secteur (1). Les recherches menées par le syndicat CNUS (2) n’ont pas révélé de grandes différences de salaires entre travailleurs de la construction des deux pays. « Les différences se situent dans les horaires de travail, qui sont plus longs dans le cas des migrants haïtiens, et dans une moindre fréquence de paiement des cotisations donnant accès à la sécurité sociale dans le cas des travailleurs migrants haïtiens, déclare Eulogia Familia, vice-présidente de CNUS (2). Par ailleurs, en 2008, 23% des travailleurs haïtiens que nous avons interrogés dans le secteur de la construction déclaraient avoir été victimes d’une forme de traite des êtres humains ».
L’un des problèmes les plus fréquemment rapportés par les Haïtiens employés dans la construction est de ne pas recevoir le salaire promis. Une technique utilisée dans ce but est de prévoir une descente des autorités de l’immigration le jour de paie : les travailleurs haïtiens doivent s’enfuir pour ne pas être arrêtés et risquer d’être rapatriés de force. La multiplication du nombre de cas où des agents de l’immigration se présentent sur des chantiers lors d’un jour de paie laisse penser que ces descentes ne sont pas le fruit du hasard, qu’il existe une connivence entre les personnes responsables du paiement des salaires et ces agents de l’immigration.
« Ca m’est arrivé à deux reprises depuis 2007, explique Johnny Pierre, 21 ans, originaire de Piment (une section communale de Pilate, département haïtien du Nord). Lorsque ça s’est produit en 2010, nous savions que l’employeur avait amené l’argent de nos salaires dans un petit bureau situé sur le chantier, mais peu avant le paiement, nous avons vu des policiers de l’immigration s’approcher, et nous avons compris qu’il fallait fuir si nous ne voulions pas être arrêtés et renvoyés en Haïti. J’ai ainsi perdu 3.000 pesos (75 US$) de salaire. L’employeur, un homme important dans cette ville de Moca, n’est pas au courant de cet indicent, c’est son subordonné, en charge du paiement des salaires, qui a gardé l’argent ».
Autre façon de léser les travailleurs migrants : le jour de paie, la personne en charge du paiement des salaires ne verse qu’une fraction des salaires promis lors de l’embauche, ou postpose indéfiniment le paiement. Les travailleurs protestent verbalement, des échauffourées se produisent parfois mais face à la menace d’un recours aux forces de l’ordre qui les arrêteraient et renverraient en Haïti, les travailleurs acceptent souvent ce qui leur est donné. « En 2010, j’étais employé par l’entreprise de construction « Hacienda », dans la région de Santiago, explique Darius Semelus, 30 ans, originaire du nord d’Haïti. Un jour, nous devions recevoir 10.000 pesos (252 US$), le salaire d’un mois. On ne nous a pas payés, on nous a dit de revenir le lendemain, mais ce jour-là, on nous a de nouveau dit de revenir le jour suivant. Comme il n’y avait toujours pas de paiement au bout du deuxième jour, les travailleurs se sont mis en colère, se sont saisi de bâtons, ont menacé le responsable du chantier, qui a appelé les agents de l’immigration. Nous avons été arrêtés, puis libérés le lendemain soir ».
Insécurité lors des jours de paie
Un autre problème souvent rapporté par les travailleurs migrants haïtiens employés dans le secteur de la construction est de subir des agressions de voleurs en rue, le jour où ils ont reçu le paiement de leur salaire. Ils n’osent pas se plaindre à la police, de peur d’être renvoyés en Haïti. « Des gangsters m’ont agressé à trois reprises lors de jours de paie témoigne Johnny Pierre. En novembre 2011, à Moca, on m’a volé 1.800 pesos (45 US$). Nous étions plusieurs travailleurs haïtiens sur le chemin du retour vers notre domicile, satisfaits d’avoir reçus notre salaire, quatre Dominicains équipés d’armes à feu nous ont attaqués. Personne n’a été blessé, mais ils ont volé nos salaires. Je n’ai pas estimé utile de déposer plaint car les Haïtiens ont une très mauvaise image en République dominicaine. Ca n’aurait servi à rien ».
Le retour forcé en Haïti suite à un contrôle d’identité est une menace constante pour tous les travailleurs en situation irrégulière, mais une enquête menée récemment par la CSI a montré qu’il y a souvent moyen d’y échapper en corrompant les agents dominicains. « Il est clair que des policiers interpellent des migrants haïtiens en rue afin de gagner de l’argent », affirme Joseph Cherubin, coordinateur général de MOSCTHA (3). Certains travailleurs de la construction se sentent plus particulièrement visés par les contrôles d’identité les jours de paie. « En 2011, j’ai été intercepté à deux reprises par la police lors de jours de paie, rapporte Jodené Flélimond, 22 ans, un ex-travailleur de la construction qui était actif dans la région de Moca. On ne m’a pas contrôlé les autres jours. Est-ce un hasard ? La première fois, les policiers m’ont mis en prison durant un jour et une nuit (sans nourriture) et m’ont confisqué 700 pesos (17,7 US$). La deuxième fois, ils se sont emparés des 2.000 pesos (50 US$) de ma paie. En plus de la perte du salaire, nous subissons souvent des violences lors de ces arrestations, car les autres prisonniers vous « accueillent » par des coups lorsque vous arrivez en cellule ».
Samuel Grumiau
(1) Selon les calculs de l’Association des entreprises de construction de projets de logements (ACOPROVI). Source : Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Rapport IIIA, juin 2012
(2) CNUS est l’une des trois confédérations dominicaines affiliées à la CSI (les deux autres sont la CASC et la CNTD
(3) Le MOSCTHA (Mouvement socio-culturel pour les travailleurs haïtiens) est affilié à la CASC
Le rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar
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« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »
La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.
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