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Congo

Marie Josée Lokongo Bosiko est vice-présidente de l’Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC) (1). Elle témoigne des obstacles qui se dressent sur la route des femmes congolaises qui veulent s’affirmer dans le mouvement syndical et sur leurs lieux de travail, et donne ses recettes pour les contourner. Elle nous confie aussi la façon dont l’UNTC s’y prend pour intéresser les travailleurs de l’informel au syndicalisme et pour lutter contre le sida.         

 

Quels sont les principales difficultés rencontrées par une femme congolaise qui veut être militante syndicale ?

 

Il y a d’abord le problème de l’acceptation par les hommes. Pour eux, notre place n’est pas au syndicat mais au foyer. J’ai commencé très jeune à militer dans les syndicats, on avait peur des hommes à cette époque. Mais nous devons travailler ensemble pour que la promotion de la femme trouve sa place au sein des syndicats. Chacun doit comprendre qu’un syndicat qui compte beaucoup de travailleuses est un syndicat fort : quand les femmes participent aux activités syndicales, quand elles s’occupent du recrutement des femmes, elles apportent un grand « plus » car nous sommes de véritables propagandistes.

 

L’accès aux formations syndicales est un problème pour les travailleuses. Beaucoup de ces formations ne sont données qu’aux hommes car une femme doit recevoir l’autorisation de son mari pour s’absenter. Le code de la famille dit en effet que la femme doit avoir l’autorisation de son mari pour tout acte qu’elle pose. Nous devons apprendre aux femmes à contourner ces problèmes. Il faut s’organiser car si vous rentrez après une réunion syndicale et que votre mari vous dit que vous avez laissé les enfants sans surveillance, il ne voudra plus vous laisser assister à une réunion la fois suivante. On demande donc aux femmes de concilier leurs rôles d’épouse, de mère et de travailleuse. En tant que syndicaliste qui a évolué du bas de l’échelle jusqu’au niveau de vice-présidente, je peux témoigner que c’est possible à condition de bien concilier ces rôles. Nous luttons bien sûr pour faire évoluer ce code de la famille, mais il y a plus d’hommes juristes que de femmes et quand on commence à discuter des problèmes des femmes, les hommes commencent à huer dans la salle !

 

Avez-vous personnellement obtenu le soutien de votre mari et de votre famille en faveur de votre action syndicale ?

 

Oui. Quand on accepte que la femme est fidèle, qu’elle fait très bien son travail, on ne voit pas pourquoi on va l’empêcher d’être militante, d’autant que les fruits qu’elle récolte à travers le syndicat sont partagés par son mari, sa famille et sa communauté. Par exemple, des gens viennent me trouver car ils savent que je suis aussi responsable des projets sur le sida au sein de l’UNTC. Je donne des conseils aux jeunes, on projette un film de sensibilisation… tout le monde vient, me pose des questions, parle de ses inquiétudes sur tel ou tel symptôme. Je les rassure, je leur dis qu’avoir le sida n’est pas la fin du monde, de faire le dépistage volontaire et en cas de résultat positif, de revenir me voir afin que je leur donne les informations pour qu’ils se sentent à l’aise. Une fois que vous connaissez votre état sérologique, vous pouvez prendre les médicaments, suivre les conseils et vivre encore longtemps.

 

Quelles sont les principales activités de l’UNTC concernant le sida ?   

 

L’UNTC a une double action : via le personnel du syndicat et via nos délégués en entreprise. Nous avons formé 45 employés permanents de l’UNTC en tant que pairs éducateurs. Ils font de la sensibilisation sur les moyens de transmission du sida, sur les façons de s’en protéger, sur les traitements possibles, ils motivent leurs amis afin qu’ils fassent un dépistage volontaire.

 

Nous avons aussi formé plus de 400 pairs éducateurs au niveau des entreprises. Ils consacrent quelques pauses de midi à la sensibilisation de leurs collègues. Par le dialogue, ils évitent aussi qu’il y ait des discriminations et des stigmatisations. Chaque pair éducateur a par ailleurs des préservatifs à distribuer lors des sensibilisations. Mais on insiste aussi sur l’abstinence, surtout pour les jeunes, car quand on distribue les préservatifs, ils se sentent libres de faire n’importe quoi, et parfois ils ne les portent pas correctement.    

 

Notre lutte contre le sida s’étend à l’économie informelle. On explique aux travailleurs de l’informel dans quels centres ils peuvent aller se faire dépister ou soigner. Les pairs éducateurs de l’UNTC peuvent aller chercher les préservatifs, les antirétroviraux (ARV), on leur explique comment ces ARV se prennent à vie.

 

Comment organisez-vous l’économie informelle ?

 

Nous avons commencé dans les 64 marchés de la capitale, Kinshasa, en constituant des comités de femmes pour leur apprendre ce que sont les syndicats. Ces comités expliquent par exemple comment l’affiliation syndicale épargne des tracasseries avec les diverses autorités. Ces tracasseries sont typiques de l’économie informelle, où il n’y a pas de taxes fixées selon des règles claires, pas de contrat, de sécurité sociale, où l’on fait tout en dehors des lois. En devenant membre de notre syndicat, si des responsables de marché imposent des taxes sans suivre de règle, nous pouvons aller trouver ces responsables, leur expliquer qu’il faut fixer une taxe journalière ou mensuelle une fois pour toute, qu’il faut laisser les gens respirer.

 

Nous essayons aussi d’assembler les travailleurs de l’informel dans des mutuelles de santé. C’est important car pour le moment, le salaire est insignifiant et n’est pas payé à date fixe. Dès lors lorsque les gens tombent malades, ils ne savent pas où aller. Mais en devenant membres des mutuelles de santé de l’UNTC, ils peuvent bénéficier de traitements à prix réduits. Nous avons aussi notre propre dispensaire, avec des prix abordables, destiné aux membres de l’UNTC ou d’autres syndicats et à leurs proches.

 

Offrez-vous d’autres services aux travailleurs de l’informel ?

 

L’information et la formation. La formation leur explique quels sont les bienfaits à retirer d’un syndicat, mais nous offrons aussi des formations pratiques sur, par exemple, la façon de tenir un budget. Nous leur apprenons à tenir un petit carnet de budget avec les entrées et les sorties. Nous les poussons aussi à s’assembler en coopératives car ils peuvent ainsi obtenir plus facilement le soutien de bailleurs de fonds. L’UNTC peut parfois leur prêter un petit fonds, sous la forme de microcrédit. C’est le cas par exemple dans la province du Bas-Congo, non loin de Kinshasa, où nous avons un champ sur lequel nous travaillons en partenariat avec des communautés de paysans : nous leur fournissons de la semence de manioc et, à la récolte, l’UNTC et ces travailleurs partagent les bénéfices. Le fonds initial qui nous a permis de débuter cette activité est issu d’une petite coopérative de pisciculture que nous avions mise sur pieds dans une autre région.

 

Ailleurs, à Bandoudou, nous avons financé l’achat d’un vélo par des travailleurs de l’économie informelle. Ils s’en servent pour faire office de vélo-taxi. Celui qui emprunte ce vélo doit payer une location par jour, il garde en poche tout ce qui excède le montant de la location et s’il gagne moins, il signe une reconnaissance de dette. Cette location permettra à l’UNTC de récupérer à terme son investissement dans l’achat du vélo. 

 

Quelles actions menez-vous en faveur des travailleuses ?

 

Nous devons avoir un comité de femmes au sein de chaque entreprise, son rôle est de canaliser tous les problèmes spécifiques aux travailleuses et d’en discuter dans les réunions avec les employeurs. L’adage qui dit « On n’est jamais mieux défendu que par soi-même » se vérifie car si aucune femme n’est déléguée syndicale, les problèmes spécifiques aux femmes ne seront pas bien présentés. Le comité de femmes peut par exemple décider de créer une mutuelle au niveau de l’entreprise afin de s’entraider, comme en cas de naissance ou de décès, histoire de ne pas trop déranger l’employeur. Celui-ci trouve aussi son compte dans l’existence de ces comités de femmes car lorsque les travailleuses n’ont pas de problèmes au niveau de l’entreprise, la productivité augmente.

 

Ces comités de femmes sont aussi chargés d’agrandir les bases de militantes. Notre devise est « Une pour dix » : celle qui est recrutée doit essayer d’en recruter 10 autres. Les présidentes des comités de femmes de chaque entreprise s’assemblent par ailleurs pour constituer un comité provincial. Elles nous aident à formuler des revendications nationales concernant les problèmes des femmes.

 

Quels sont les principaux problèmes soulevés par les comités des femmes ?

 

Il y a d’abord celui de la maternité. Avant, les femmes accouchaient jusqu’à deux fois par an, par exemple en mars et en décembre. Des employeurs se plaignaient, ils ne voulaient pas engager de femmes car ça voulait dire engager beaucoup de problèmes : les absences pendant la grossesse, les visites médicales, les vaccinations du bébé… tout ça énervait les employeurs. Il fallait trouver une solution. En tant que syndicat, nous apprenons à nos travailleuses membres comment régulariser les naissances. Nous utilisons les quatre « T » pour expliquer aux femmes ce qu’il faut éviter : trop tôt, trop rapproché, trop nombreux et trop tard. Ces quatre « T » peuvent vous mener à la mort si vous ne respectez pas la règle. Cette formation donnée via les comités de femmes en entreprises a donc pour but qu’elles espacent les naissances et que l’on obtienne de bons résultats dans les entreprises.

 

Au niveau syndical, nous luttons également pour la protection des droits liés à la maternité. Il s’agit d’une recommandation cruciale de la CSI car beaucoup de gens ne savent pas ce dont il s’agit. Nous expliquons pourquoi la protection de la maternité est importante au niveau de la société, de la justice sociale, de l’indépendance économique de la femme, … C’est un message qu’il faut répéter tant au niveau du gouvernement qu’à celui des employeurs et des travailleuses elles-mêmes. Nous devons tous lutter pour ratifier la convention n°183 de l’OIT sur la maternité. Nous avons pour le moment une femme ministre du Travail et de la Prévoyance sociale qui est très favorable à la condition féminine, nous l’avons rencontrée afin de pousser la RDC à ratifier cette convention internationale.

 

Qu’en est-il du harcèlement sexuel ?

 

C’est un gros problème. Nous demandons aux femmes de dénoncer tout cas de ce genre, c’était d’ailleurs le thème de la Journée du 8 mars cette année : « Non à la violence sexuelle faite à la femme ». Si un homme découvre que dès qu’il commence à harceler telle ou telle femme, celle-ci le dénonce, il va hésiter, comprendre que ce n’est pas bien. Il faut punir les auteurs des harcèlements et dès ce moment, ça va peut-être diminuer. Mais les femmes peuvent être des harceleuses également : quand la femme porte des habits qui ne sont pas très convenables, qui dévoilent beaucoup, ça peut être une façon d’harceler les hommes également. Nous conseillons donc les femmes sur la manière de se comporter, tant face au harcèlement sexuel que pour sa prévention.

 

Quand on parle du Congo dans les médias internationaux, c’est souvent au sujet de la guerre. L’UNTC est-elle présente dans une région comme l’Ituri ?

 

Nous sommes implantés dans toute la RDC à travers nos 64 unions syndicales. Nous recevons des rapports de leur part de nos permanents dans ces régions au sujet des cas de viols, des tueries, … Mais nous manquons de moyens pour arriver là-bas, évaluer les souffrances des gens. Pour le moment, nous travaillons par lettres, par courrier mais lorsque nous disposerons du financement, nous programmerons la province orientale.

 

                                                                       Propos recueillis par Samuel Grumiau

 

(1) L’UNTC est l’une des trois affiliées de la CSI en République démocratique du Congo,  avec la Confédération syndicale du Congo et la Confédération démocratique du travail.

 

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