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« Même les sages-femmes craignent de s’aventurer sur certaines pistes »

(septembre 1997)

Interview publiée dans Le Journal du Médecin du 26 septembre 1997

 

 

Un médecin belge, le Dr Nicolas Krzemien, a passé le mois d’août à parcourir le Burundi dans le cadre d’une mission d’évaluation des septante-deux centres nutritionnels du réseau Caritas. Habitué aux missions en Afrique, il témoigne de son horreur face aux situations de famines vécues dans certaines régions.

 

Quelles sont les premières impressions en arrivant au Burundi ?

 

L’étranger ne connaissant pas bien le pays et qui débarque à Bujumbura pourrait avoir une impression de calme en se promenant durant la journée. Le centre-ville est pratiquement intact mais des quartiers populaires de la périphérie, comme Kamenge, ont été rasés. C’est la même chose dans tout le pays: on peut traverser certains villages en ayant le sentiment que les habitants y vivent en étant sereins, puis grimper en haut d’une colline toute proche et découvrir des gens qui n’osent pas en descendre, même s’ils vivent sur des terres improductives.

 

Tous les déplacés sont-ils des Hutus ?

 

Non. Il y a également des Tutsis et des Twas. J’ai visité des camps tutsis où les habitants vivent depuis trois ans et demi dans des conditions d’insalubrité inacceptables. Des familles de sept personnes peuvent loger dans de petites huttes de trois mètres carrés où il est impossible de se tenir autrement qu’à quatre pattes. Ces Tutsis ont été contraints de quitter leurs foyers sous la pression de l’autre ethnie ou des combats ayant suivi l’assassinat du Président Ndadaye, en 1993.

 

Le gouvernement est pourtant tutsi...

 

Oui, mais ce n’est pas pour ça que la totalité des Tutsis ont accès à des conditions de vie décentes. Ainsi, les membres de l’une ou l’autre ethnie habitant dans une région où existe un camp de déplacés de l’ethnie opposée ne se sentent souvent pas assez en confiance pour pénétrer dans le centre nutritionnel de ce camp. Inversement, il existe des camps dont les déplacés n’ont pas l’autorisation de sortir. Si le Programme Alimentaire Mondial n’a pas les moyens logistiques de leur distribuer suffisamment de nourriture, c’est-à-dire l’équivalent de deux mille calories par jour, la famine s’installe très rapidement. Et même s’ils ont l’autorisation de sortir du camp, par exemple pour cultiver un lopin de terre, ils ont à franchir des barrages de militaires dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas toujours bienveillants à leur égard.

 

La malnutrition concerne donc principalement les personnes déplacées...

 

La situation nutritionnelle est en effet plus grave chez les déplacés, mais certains habitants des collines craignent également d’en descendre, toujours à cause des barrages. Ils ne se rendent plus sur les marchés, souffrent parfois de maladies qui les tuent si elles ne sont pas soignées à temps, comme la malaria. Les difficultés pour se déplacer sont telles qu’il existe des centres nutritionnels situés dans des régions où la famine est importante mais qui n’accueillent que trente enfants. Lorsque je suis passé à Ruyigi, dans l’Est du pays, huit bébés avaient été amenés dans un orphelinat parce que leur mère était décédée faute d’assistance médicale après un accouchement. Même les sages-femmes traditionnelles craignent de s’aventurer sur certaines pistes.

 

Bujumbura ne connaît pas de problème de malnutrition ?

 

Si. Il y a un exode rural de gens qui fuient les combats ou qui ont perdu leurs terres. Ils viennent à Bujumbura dans l’espoir de trouver un travail mais il y en a très peu, le chômage est épouvantable. Or, le prix des principales denrées alimentaires, comme la patate douce ou les haricots, a doublé en un an en raison de la guerre. Les plus pauvres souffrent donc de malnutrition et, comme ils n’ont pas de quoi se payer les soins médicaux, ils peuvent mourir très facilement. Les Soeurs de la charité de Mère Térésa ont ouvert, dans la capitale, deux centres nutritionnels qui accueillent plus de sept cents personnes mal nourries.

 

Y a-t-il des épidémies ?

 

De ce côté-là, il y a une bonne nouvelle: à l’exception du paludisme, le Burundi ne connaît plus actuellement de grandes flambées épidémiques. Sur les septante-deux centres nutritionnels de Caritas, plus aucun n’a recensé de cas de choléra alors que cette maladie a fait des ravages jusque 1995, tout comme la dysenterie bacillaire. Reste la malaria dont les complications classiques, comme l’anémie hémolytique, font des ravages. Dans la province septentrionale de Kirundo, notamment, certains centres de santé accueillent trois nouveaux cas d’anémie critique par jour, avec des chiffres d’hémoglobine variant entre trois et cinq grammes pour cent millilitres de sang.

 

Quel est votre souhait pour le Burundi ?

 

Aucune amélioration durable ne se produira sans un retour de la paix. La communauté internationale devrait soutenir les Burundais qui, au péril de leur vie, prennent des initiatives allant dans le sens de la réconciliation. En attendant, il faut augmenter les moyens des organisations humanitaires car elles n’ont pas la possibilité de venir en aide à tout le monde alors que certains camps de déplacés vivent des situations extrêmement graves. Etant donné les grandes souffrances de la population, on peut également se poser des questions sur l’opportunité de maintenir un embargo.   

 

                                               Propos recueillis par Samuel Grumiau

 

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