Les travailleuses domestiques en syndicats en Afrique du Sud
(octobre 2007)
« Les travailleuses domestiques doivent oser éduquer leurs employeurs »
Employée domestique depuis 45 ans, Esther Stevens est la présidente du syndicat sud-africain des travailleurs domestiques, SADSAWU (1). Elle nous explique les difficultés mais aussi l’importance d’organiser cette catégorie de travailleurs, l’une des plus exploitées.
Est-il difficile d’organiser les travailleuses domestiques en syndicats en Afrique du Sud ?
Nous comptons actuellement 25.000 membres qui paient une cotisation de 120 rands (12 euros) par an, en très grande majorité des femmes. Ce n’est pas facile d’atteindre un tel nombre car les travailleuses ont peur de s’affilier à un syndicat. Nous devons bien leur expliquer à quel point il est important pour elles de s’affilier, en leur rappelant par exemple les pratiques du travail injustes qui ont lieu chaque jour en Afrique du Sud. Les travailleuses qui n’ont jamais participé à une réunion syndicale ne savent pas comment se défendre, elles ne connaissent pas leurs droits, mais elles comprennent vite l’utilité de s’affilier. En cas de licenciement par exemple, elles se contenteraient de quitter leur emploi, sans savoir que l’employeur leur doit de l’argent et n’a pas le droit de les mettre dehors du jour au lendemain. C’est particulièrement le cas depuis le changement de législation que nous avons obtenu en leur faveur. Elles ont le droit de demeurer dans le logement de l’employeur durant un mois en attendant de trouver un autre emploi.
Quels sont les principaux services que vous offrez à vos membres ?
Nous leur offrons des formations, par exemple sur les manières de se défendre dans les discussions concernant les heures supplémentaires, le salaire, etc. Nous les formons aussi à devenir les leaders de demain. Il y a également des formations sur le HIV-SIDA où nous apprenons notamment à nos membres que si un employeur leur demande de passer un test de dépistage, elles peuvent refuser et même poursuivre cet employeur devant un tribunal s’il veut imposer ce test contre leur volonté.
Les travailleuses domestiques sont généralement isolées. Comment parvenez-vous à les contacter et à les réunir pour des formations ?
Collaborez-vous avec les confédérations syndicales sud-africaines ?
Nous ne sommes affiliés à aucune confédération actuellement. En 1985, le syndicat des travailleurs domestiques a été le premier à s’affilier à la COSATU, mais nous avons connu des difficultés de gestion financière qui ont remis en cause notre affiliation. Nous envisageons de nous ré-affilier dans le futur. Entre-temps, la COSATU nous a laissé participer à toutes ses réunions, c’est un beau geste de sa part. Nous collaborons aussi avec la COSATU et d’autres organisations pour accompagner les travailleuses domestiques en justice. Une travailleuse domestique n’ira pas seule en justice, elle est trop effrayée par son employeur. Elle doit être accompagnée, sinon elle acceptera n’importe quelle somme donnée par l’employeur.
Quels sont les salaires des travailleuses domestiques ?
Nous avons tenté d’obtenir un minimum de 1.500 rands (150 euros) par mois pour les travailleurs domestiques, mais le gouvernement a répondu que ça nous mènerait au chômage. Il a décidé que les travailleurs domestiques de Johannesburg et du Cap devaient gagner 950 rands par mois, et seulement 600 en région rurale. Ces salaires sont très bas, ce n’est pourtant pas facile de les faire appliquer. Les travailleuses employées par la même personne depuis l’époque de l’apartheid gagnent moins.
Comment le recrutement d’une travailleuse domestique s’effectue-t-il ?
Certains employeurs et travailleuses domestiques passent des petites annonces. Cela dit, il y a encore beaucoup de travailleuses sans emploi, particulièrement dans les régions rurales, et une majorité d’entre elles passent par des agences de recrutement. Ces agences et leur enregistrement par le gouvernement constituaient déjà un problème sous l’apartheid. Chacun peut créer une agence : il suffit d’un téléphone, d’un fax, d’un bureau et d’une chaise, et vous pouvez être enregistré auprès des autorités comme agence fournissant des travailleurs. Dans la ville du Cap où je travaille, une agence enverra un véhicule dans les régions rurales où ses intermédiaires sont chargés de trouver des candidats au travail en ville. Arrivés au Cap, ces travailleurs et travailleuses seront entassés dans une pièce, puis les représentants de l’agence leur demanderont de se tenir sur une ligne tandis que les employeurs potentiels viendront les regarder, leur poser des questions sur leurs capacités, et choisiront laquelle ils préfèrent. L’employeur doit payer 300 rands (30 euros) à l’agence, et déduira cette somme du salaire de la pauvre travailleuse durant les premiers mois. Parfois, des travailleuses domestiques ne gagnent que 200 ou 300 Rands par mois car elles sont ignorantes de la loi. Elles feront tout pour trouver un emploi afin d’aider leurs familles restées au village.
Ces agences de recrutement amènent parfois en ville des personnes de moins de 18 ans alors que selon la loi, personne ne peut être travailleur domestique avant cet âge. Nous voulons la fermeture de ces agences car elles exploitent les travailleurs. Elles sont légales parce que le gouvernement les enregistre mais il sait ce qui se passe. Nous en avons parlé au ministère du Travail, mais sans résultat, personne ne nous écoute.
Comment êtes-vous devenue impliquée dans le syndicalisme ?
Au départ, je ne connaissais rien du syndicalisme. Je suis devenue travailleuse domestique à l’âge de 14 ans, j’ai dû quitter l’école au cinquième niveau. Je ne savais pas avant à quel point ce travail était difficile avant de commencer. Un jour, au Cap, j’ai vu la police qui jetait des gaz lacrymogènes sur des manifestants qui se dirigeaient vers le Parlement. Je ne savais pas de quoi il s’agissait mais il y avait beaucoup de gens. Ils se sont dispersés et j’ai posé des questions. Ils m’ont répondu qu’ils luttaient pour un salaire décent, pour un meilleur traitement des travailleurs, etc. Je suis devenue membre en 1984 et de simple membre cotisante, j’ai commencé à participer aux réunions, puis je suis devenue militante active. J’ai été élue vice-présidente en 1996.
Votre employeur a-t-il bien réagi face à vos activités syndicales ?
J’ai heureusement un bon employeur… et je l’ai éduqué au fil des années ! Quand je suis rentrée chez lui après mon élection et que je lui ai annoncé la nouvelle, elle a trouvé ça bien. Nous nous sommes assises, je lui ai montré le planning des réunions qui nécessitaient que je sois hors de la ville, on en a fait une photocopie et on l’a placée sur le frigo afin qu’elle sache quand je ne serais pas présente. Nous avons une bonne relation. En 1995, j’ai été choisie pour représenter la COSATU dans une réunion d’une semaine concernant les questions d’égalité des genres à Bruxelles et Rio. Au départ, elle ne voulait pas mais je lui ai dit que même si cela me coûtait mon emploi, c’était une opportunité unique pour moi, travailleuse domestique, d’aller à l’étranger. Je n’ai pas tenu compte de ce qu’elle disait, j’ai introduit ma demande de passeport. Rien ne pouvait m’arrêter. Mes employeurs ne pouvaient rien faire car ils me font confiance : je suis honnête, je n’ai jamais rien volé dans la maison. Je suis chez eux depuis 1991, j’y suis encore. J’ai accès à toute la maison, au signal d’alarme, je surveille la maison quand ils partent en week-end, …
Qu’est-ce qui vous motive dans le syndicalisme ?
J’ai appris à me défendre sur le lieu de travail. Les employés du syndicat ne doivent pas venir pour me défendre car à travers toutes ces réunions et séminaires, j’ai appris à le faire moi-même. J’apprends maintenant aux autres travailleuses domestiques à faire de même, mais de façon disciplinée : d’abord faire savoir calmement à l’employeur qu’il y a une revendication à discuter, puis essayer d’arriver à un accord.
Les travailleuses domestiques sont généralement dans des situations de grande vulnérabilité. Comment peuvent-elles négocier ?
L’employée domestique travaille avec l’employeur. Elle connaît ses humeurs, elle peut voir quand il ou elle est de mauvais poil. Si la patronne est de bonne humeur, je vais lui proposer de lui préparer une tasse de thé… elle demandera pourquoi, et je lui répondrai qu’il y a quelque chose dont j’aimerais discuter. Elle me dira quand elle a le temps d’en parler. Le gros problème, c’est que les travailleuses domestiques préfèreront généralement quitter leur emploi sans essayer de discuter. Je conseille aux travailleuses de ne pas s’enfuir : il y a tellement de façons de procéder. Si l’employeur ne veut vraiment pas parler, que la travailleuse domestique prenne un papier et un stylo et si elle sait écrire, qu’elle laisse une note sur le lit ou l’oreiller de la patronne. Celle-ci ne pourra pas ne pas la voir, il sera alors peut-être possible de parler.
Quelles sont les difficultés du métier de travailleuse domestique?
Propos recueillis par Samuel Grumiau
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