Le médecin de « Saint-Stup »
(mai 1998)
(Interview publiée dans un dossier sur la médecine en prison réalisé pour le Journal du Médecin paru le 12 mai 1998)
La prison de Saint-Hubert est le centre pénitentiaire le plus ouvert de Belgique. Elle accueille une moyenne de deux cent quarante détenus, en grande majorité des personnes en fin de peine. Plus de la moitié d’entre elles sont toxicomanes, d’où son surnom de « Saint-Stup ». La centaine d’hectares de terres qui entoure le centre est travaillée par les prisonniers les plus dignes de confiance. Ils y évoluent quasiment sans surveillance. S’ils le souhaitent, les autres détenus n’éprouvent pas plus de difficultés à échapper à la vigilance des cent gardiens (la prison est le troisième employeur de la commune): en journée, les portes du pénitencier sont ouvertes ! Une centaine de prisonniers s’évade chaque année, mais ils sont généralement bien vite repris. Le Dr Simon est le médecin de cet établissement très particulier.
Comment êtes-vous devenu médecin de prison ?
En 1988, le médecin attitré de la prison de la prison de Saint-Hubert est tombé malade. J’étais installé comme généraliste dans la commune et il m’a proposé de le remplacer durant une semaine. Il m’a ensuite demandé de prolonger cet intérim et, lorsqu’il a cessé ses activités professionnelles pour raison de santé, j’ai continué. Ce n’était donc pas une vocation, mais ça m’a plu dès le début.
Pourquoi ?
En raison de la variété des pathologies que je rencontre. J’ai été directement plongé dans le milieu de la toxicomanie et c’est ici que j’ai connu mes premiers cas de HIV. Ca m’a changé de mes habitudes dans ma clientèle privée. J’ai dû m’informer, suivre une formation complémentaire, ... J’ai vu des maladies que je n’avais jamais rencontrées jusqu’alors: des syndromes de Kaposi, des zonas dans des localisations exceptionnelles, toutes sortes de maladies vénériennes, etc. J’ai appris à manipuler une médecine très différente de celle du privé.
Comment ont réagi vos patients habituels ?
Très bien. Dans le temps, la prison était divisée en deux sections: une partie relativement fermée et un centre pénitentiaire agricole, c’est-à-dire une ferme où travaillaient les délinquants ayant commis de petits délits. Ainsi, les gens de Saint-Hubert ne parlent pas de la prison mais de la ferme. Dans leur esprit, le Dr Simon va plus à la ferme qu’à la prison. Ils n’ont aucune crainte vis-à-vis du travail que je mène ici. Je viens à la prison comme si j’allais chez un patient de Saint-Hubert.
Combien de temps consacrez-vous aux prisonniers ?
Je suis présent à l’infirmerie tous les matins entre 7h30 et 8h15. Au cours de cette consultation, je reçois les détenus qui ont demandé à leur surveillant de me voir ainsi que tous les nouveaux entrants, en moyenne une dizaine tous les deux à trois jours. Ceux-ci ont déjà rencontré l’une des deux infirmières la veille afin d’effectuer un examen de base (tension, poids, urine) et de savoir s’ils ont un problème de santé particulier. En général, cette consultation matinale ne suffit pas et je dois revenir dans l’après-midi. On m’appelle encore quatre ou cinq fois par semaine pour des urgences.
Quels types d’urgences ?
Ce sont souvent des malaises de type comitial dus à un sevrage d’une drogue. Dans ce cas, j’ai la chance de pouvoir compter sur le service d’intervention d’urgence de l’hôpital de Libramont, situé à dix minutes. Il y a aussi pas mal de problèmes cardio-vasculaires, surtout depuis l’augmentation du nombre de détenus pédophiles, qui sont fréquemment âgés de plus de soixante ans.
Recevez-vous parfois des détenus dans votre cabinet privé ?
Lorsque le chauffeur et la camionnette de la prison sont disponibles, il peut arriver qu’un détenu vienne chez moi s’il est nécessaire d’accomplir un acte technique, ou si je suis occupé à une urgence et que je ne peux me déplacer. C’est exceptionnel.
Y a-t-il moins de maladies d’origine psychosomatique en raison du caractère ouvert du centre pénitentiaire de Saint-Hubert ?
Non. Je rencontre énormément de patients demandeurs d’anxiolytique ou de somnifères. Certains détenus sont plus stressés ici que dans leur prison d’origine parce qu’ils peuvent difficilement s’habituer à une privation de liberté sans être enfermé. A la limite, ils préfèrent rester dans une cellule que de se retrouver ici, en plein air, sans être libre.
D’autre part, comme ils sont en fin de peine, le stress lié à la perspective de la libération est plus important ici qu’ailleurs. L’échéance diminue mais elle peut également s’allonger pour différentes raisons: problèmes de conduite, de poursuites dans une autre affaire, ... Ils se sentent angoissés parce qu’ils ne savent pas toujours quand ils seront libérés réellement.
Saint-Hubert est parfois surnommé « Saint-Stup » ! Une prison est-elle invivable sans drogue ?
Il est vrai que la drogue circule mais je suis persuadé que si ce n’était pas le cas, j’aurais bien plus de travail. Depuis quelques années, je distribue de la méthadone à certains détenus bien ciblés. Avec leur accord, je diminue la dose de cinq à dix milligrammes toutes les trois semaines. Ma seule hantise est qu’ils prennent une autre drogue en même temps, ce qui provoque des troubles très difficiles à contrôler.
Propos recueillis par Samuel Grumiau
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