L'enfer pour les Vietnamiennes
(octobre 2000)
Reportage paru dans un dossier sur l'exploitation sexuelle d'enfants au Cambodge du Journal du médecin, 24 octobre 2000
Le Cambodge est en train de devenir le « Sodome et Gomorrhe » de l’Asie. L’immigration volontaire ou forcée de femmes et d’enfants vietnamiens y est pour quelque chose, tout comme la passivité scandaleuse des autorités khmères.
L’étranger qui découvre la misère et le délabrement du Cambodge n’en croit sans doute pas ses oreilles… Pour les habitants du pays voisin, le Vietnam, le pays khmer est considéré comme un petit Eldorado où il est facile de gagner de l’argent. Plusieurs facteurs expliquent, partiellement, cette réalité : l’ouverture du Cambodge à l’économie de marché, la proximité de la riche Thaïlande, l’utilisation très répandue du dollar américain au détriment de la monnaie nationale, etc. L’envie d’aller y tenter sa chance est d’autant plus grande que de nombreux Vietnamiens ont de la famille au Cambodge, ce qui rend la migration plus facile. L’économie cambodgienne demeure toutefois très sous-développée, et les possibilités d’y gagner sa vie sont moins nombreuses que ne le dit la rumeur au Vietnam. La prostitution est en fait l’un des seuls secteurs qui génère de grosses masses d’argent au Cambodge. C’est aussi celui qui est le plus avide de main-d’œuvre étrangère, et surtout vietnamienne : les filles de ce pays sont très prisées par les clients cambodgiens, qui apprécient leur peau plus claire. Un fantasme populaire colporte également l’idée que les Vietnamiennes sont des filles plus « portées sur la chose » que la moyenne des Asiatiques. Ca tombe d’autant mieux pour les Cambodgiens qu’ils vouent une haine historique à leurs voisins de l’Est, et sont donc particulièrement fiers d’avoir à disposition leurs femmes comme esclaves sexuelles, un peu comme en ex-Yougoslavie du temps de la guerre.
A la merci des barons
Pour les barons de prostitution, la situation est donc claire : il y a une demande de filles vietnamiennes au Cambodge, et une envie des Vietnamiennes de tenter leur chance au Cambodge. Il ne reste plus qu’à organiser les réseaux, chose très facile dans ces pays où la passivité d’un policier ne coûte que quelques dizaines de dollars. La plus grande partie des prostituées vietnamiennes du Cambodge y sont toutefois venues de leur plein gré, attirées par les promesses de fortune mais sans nécessairement se rendre compte des épreuves qu’elles devront endurer. Beaucoup ont été séduites par l’argent ramené dans leur village par l’une de leurs amies travaillant chez les Khmers, puis lui ont demandé de l’emmener avec elle à Phnom Penh. Si l’amie en question n’a pas l’envie ou la possibilité de la prendre sous sa coupe, la candidate au voyage s’adressera aux filières d’émigration vers le Cambodge, quitte à endetter toute sa famille pour payer le voyage.
Les filières qui attirent les Vietnamiennes au Cambodge utilisent parfois des tactiques plus perfides. Des femmes bien habillées rôdent par exemple dans les villages vietnamiens afin d’identifier les familles les plus pauvres, les femmes divorcées, désespérées, … Elles lient amitié avec elles et leur proposent de les aider à trouver un emploi bien payé au Cambodge. Difficile de refuser une telle offre lorsque l’on n’est pas au courant des risques encourus. Une fois arrivées dans les villes cambodgiennes, les « amies » en question ont tôt fait de déposer leurs victimes dans les bordels et de retourner en chercher d’autres au Vietnam, laissant les premières aux mains de proxénètes qui les tabasseront jusqu’à ce qu’elles acceptent de se prostituer.
Parents complices
Les enfants vietnamiens prostitués au Cambodge, notamment dans le village-bordel de Svay Pak (1), sont souvent d’autres victimes de ces intermédiaires, ces femmes « qui présentent bien » et qui promettent monts et merveilles aux pauvres villageois. L’idée, cette fois, est d’offrir de très jeunes vierges aux clients fortunés, qui paient des centaines ou des milliers de dollars aux gérants de maisons de passe. Celui-ci baissera ensuite le prix de l’enfant en fonction du nombre de fois où il a déjà été abusé, descendant jusqu’à trois ou cinq dollars la passe pour les filles moins jolies. Il est difficile de savoir avec précision si les parents qui vendent leur enfant dans ces conditions sont tout à fait au courant des sévices qu’elle va subir au Cambodge. On leur offre 200 ou 300 dollars pour emmener leur fille et cette somme, considérable pour le Vietnam, va leur permettre de rembourser leurs dettes, de payer une scolarité à un autre de leurs enfants, d’offrir plus qu’un maigre repas par jour à toute la famille, peut-être de sauver ainsi la vie d’un autre de ses enfants … L’Européen ne comprend pas comment une famille peut en être réduite à vendre l’un de ses enfants. Il semble que l’on soit plus nuancé lorsque l’on vit dans la misère absolue, sans le moindre espoir d’en sortir.
A souligner enfin qu’une minorité de femmes et d’enfants vietnamiens tombés dans la prostitution au Cambodge le sont après avoir été kidnappés. Les auteurs des rapts sont souvent des proches : oncle, cousin, frère, ami, … Ils séquestrent la fille à l’insu des parents et la revendent ensuite aux intermédiaires. En quelques jours, des filles passent ainsi du foyer familial à la maison de passe où elles sont tabassées jusqu’à ce qu’elles acceptent de se prostituer. Et là, aucun espoir de « travailler » beaucoup pour épargner un peu d’argent et l’envoyer à sa famille, comme le voudrait la tradition asiatique d’aide aux parents. Beaucoup de filles kidnappées se suicident, ou meurent petit à petit du sida, transmettant le virus aux clients venus abuser d’elles. Une bien maigre revanche pour ces petites esclaves…
Samuel Grumiau
(1) Voir reportage en page dans le même dossier: http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-58.html
NOTE - Septembre 2010: Depuis la publication de ce dossier, toute une série d'actions entreprises par les autorités cambodgiennes, les organisations non gouvernementales et les agences des Nations Unies ont permis de réduire l'exploitation sexuelle des enfants au Cambodge.
Le rêve dominicain des Haïtiens vire souvent au cauchemar
Des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient chaque année la pauvreté pour tenter leur chance dans le pays voisin, la République dominicaine. Dépourvus de documents de voyage, la plupart contactent des passeurs supposés les aider à traverser clandestinement la frontière. Du « simple » bakchich au viol en passant par les coups de machette et d’autres abus, les rêves d’eldorado peuvent virer au cauchemar.
Lire la suite
« Le plus important pour eux est d’instaurer la peur chez les citoyens »
La répression des activités syndicales est de plus en plus grave au Swaziland. Arrestations arbitraires, menaces, passages à tabac se succèdent pour réduire au silence les militants. Barnes Dlamini, président de la fédération syndicale SFTU (Swaziland Federation of Trade Union), a été arrêté à plusieurs reprises en 2011. Il fait le point sur cette situation.
Lire la suite