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L’enfer en travers de la gorge

(février 2006)

Reportage faisant partie d’un dossier « Ouganda » publié dans le numéro de février 2006 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone

 

 

Jacqueline Ajok a 17 ans. Enlevée à l’âge de 8 ans, son histoire est typique des atrocités vécues par les 25.000 enfants enrôlés de force dans la LRA (1) depuis 1986. Battue, offerte comme épouse à un commandant, elle ne doit sa liberté qu’à un combat perdu par les rebelles contre l’armée ougandaise, qui l’a ramenée parmi les siens. Un fragment d’obus est logé dans son larynx depuis ce combat, c’est donc en chuchotant qu’elle nous raconte son parcours.

 

 

 

« J’étais âgée de 8 ans lorsque j’ai été enlevée, le 15 juin 1996. Ce jour-là, j’avais accompagné mes parents qui étaient partis travailler la terre, mais ils m’ont demandé de rentrer chez nous pour préparer le repas de midi. Lorsque je suis arrivée, beaucoup de rebelles étaient dans notre village. Ils m’ont enlevée immédiatement, tout comme cinq autres personnes, dont deux de mes cousins (l’un d’eux a été tué dans un combat plus tard). Ils m’ont directement donné une lourde charge à porter et j’ai dû les suivre sur le chemin du Soudan. En raison de cette longue route sans chaussure, mes pieds et mes jambes étaient blessés, les rebelles me frappaient souvent parce que je n’avançais pas assez rapidement en raison de ces blessures. Ca nous a pris cinq jours pour atteindre un grand camp de la LRA, au Soudan. Là, il y avait beaucoup de personnes enlevées et très peu de nourriture. Dès que mes blessures se sont un peu guéries, j’ai été désignée pour accompagner des rebelles qui pillent la population soudanaise pour trouver de la nourriture. Mon rôle était de rester à l’arrière et de porter les nourritures volées. Nous menions des raids tous les jours, au Soudan ou dans le district de Kitgum, dans le nord de l’Ouganda.  

 

 

 

A 14 ans, j’ai été offerte à un commandant rebelle. Il était âgé de 40 ans et avait déjà cinq épouses, dont deux avaient eu des enfants. Je devais accepter d’être son épouse car je craignais d’être tuée en cas de refus. Il me battait presque tous les jours. Il m’a contrainte à des relations sexuelles et je suis tombée enceinte en 2003, à l’âge de 15 ans. Je devais malgré tout continuer à accompagner les rebelles dans leurs attaques, sinon j’étais battue. C’est ainsi que j’ai accouché seule, dans la brousse, alors que mon unité avançait depuis plusieurs jours à marche forcée pour échapper aux soldats ougandais qui nous poursuivaient. Les autres rebelles ne m’ont quasiment pas laissé de temps pour me remettre, nous avons directement repris notre marche. Il a fallu deux jours avant de trouver un endroit où nous avons pu nous reposer quelques heures et donner le premier bain au bébé. C’était en mai 2004. 

 

 

 

Trois mois après mon accouchement, mon unité a été attaquée par l’armée ougandaise alors que nous nous trouvions dans une clairière dans le nord de l’Ouganda. Les soldats du gouvernement étaient appuyés par l’aviation qui ne cessait de nous bombarder. Une autre fille enlevée par la LRA se cachait tout près de moi mais, sous la panique, elle s’est mise debout et a été abattue par une bombe. Elle n’avait que 10 ans, l’explosion l’a tuée sur le coup. Je m’étais recroquevillée dans les herbes en protégeant mon bébé, mais l’un des fragments de cette bombe a pénétré dans ma gorge. J’ai commencé à saigner beaucoup, à avaler et vomir du sang. A la fin du combat, quasiment tous les rebelles de mon unité étaient tués. Les soldats du gouvernement m’ont découverte dans l’herbe et m’ont amenée à l’hôpital de Kitgum, où l’on a soigné ma blessure mais sans pouvoir extraire le fragment de bombe logé dans mon larynx. J’ai ensuite été confiée avec mon bébé au centre de réhabilitation de l’ONG World Vision, à Gulu.

 

 

 

Mon rêve serait de trouver un hôpital qui puisse enlever le fragment d’obus et de pouvoir commencer une petite activité pour gagner de l’argent. Comme la LRA m’a enlevée à l’âge de 8 ans, je ne suis jamais allée à l’école, mais je voudrais vendre de petites choses pour survivre tout en restant avec mon enfant chez mes parents ».

 

 

 

                                                              Samuel Grumiau

 

 

 

(1) Lord’s Resistance Army, voir les autres articles du dossier:

 

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-89.html

 

 

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-90.html

 

 

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-91.html

 

 

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-92.html

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-94.html

 

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