25.000 enfances volées
(février 2006)
Reportage faisant partie d’un dossier « Ouganda » publié dans le numéro de février 2006 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone (1)
La LRA (Lord’s Resistance Army) se compose principalement d’enfants enlevés dans le nord de l’Ouganda. Contraints à se battre contre l’armée ougandaise et à commettre les pires exactions contre leurs propres communautés, certains parviennent à s’échapper ou sont capturés par les forces gouvernementales. Leur retour à une vie normale passe par des centres de réhabilitation.
25.000 enfants ont été enlevés par la LRA depuis le début du conflit, dont plus de la moitié depuis juin 2002. 7.500 d’entre eux sont des filles. Si les garçons sont cantonnés être porteurs et combattants, les filles sont contraintes d’être de petites servantes qui, à l’âge de la puberté, deviennent des épouses (ou plutôt des esclaves sexuelles) des commandants rebelles. Selon Amnesty, elles sont un millier à avoir conçu un enfant durant leur captivité. Comme les garçons, les filles subissent un entraînement militaire et participent à certains raids, souvent comme porteuses de butin. Tous ces enfants soldats apprennent à se servir d’une arme à feu, même si les attaques de la LRA sont souvent menées avec de simples machettes, des haches, des couteaux, …
Les enfants sont prévenus dès leur enlèvement : ceux qui sont trop faibles, qui ne savent pas marcher rapidement ou qui tentent de s’échapper sont tués cruellement. « Ils nous disaient que si nous essayions de nous enfuir, ils nous massacreraient, explique William, un garçon de 13 ans enlevé en 2002 par la LRA et libéré en 2004 suite à une attaque de l’armée ougandaise. Un de mes amis s’était échappé, mais il a été retrouvé et tué sur le champ à coups de machette, j’en ai été témoin. Il avait environ 8 ans ».
La LRA contraint également ses jeunes combattants à commettre des atrocités auprès de leurs camarades ou lors des attaques contre les civils. « Ils appellent ça l’initiation. Les commandants de la LRA disent de ne pas gaspiller les balles, ils doivent utiliser machettes, bâtons, … C’est déjà très traumatisant de voir un être humain mis à mort, mais c’est encore pire ici : ça dure très longtemps de tuer quelqu’un à coups de bâtons », souligne Rose Nyakato, coordinatrice de la « Transcultural Psychocial Organization », une ONG du district de Lira soutenue par l’UNICEF. L’un des aspects les plus traumatisants de ces atrocités est que les enfants sont souvent contraints de les commettre à l’encontre de proches. Le but est de les déshumaniser, d’ancrer en eux la certitude qu’après avoir commis de telles horreurs, ils ne pourront plus jamais rentrer chez eux, même s’ils désertent. « De nombreux enfants enlevés sont ensuite utilisés comme guides pour aller dans leurs villages, et là ils sont contraints de tuer un parent, un ami, un voisin… Certains n’ont que 11 ou 12 ans lorsqu’ils sont contraints de perpétrer ces atrocités ».
Endoctrinement
Les enfants enlevés par la LRA subissent un lavage de cerveau lorsqu’ils atteignent les camps rebelles. Joseph Kony se présente comme un intermédiaire spirituel, il impose toute une série de rites de sorcellerie à ses combattants. « Ici, beaucoup de gens croient aux esprits, la LRA utilise ces croyances en affirmant qu’un esprit guide son chef, Joseph Kony, explique Daniel Okello, directeur du centre de réhabilitation pour ex-enfants soldats Rachele, à Lira (voir plus bas). Les commandants rebelles expliquent aux enfants que l’esprit sait s’ils ont l’intention de s’échapper. Les rebelles peuvent attraper un des leurs sans raison apparente et le tuer face aux autres en affirmant que l’esprit savait que celui-là planifiait de s’échapper ! Le but de ces mensonges est bien sûr d’effrayer les enfants soldats, de les isoler de ce qui se passe à l’extérieur. Parfois, les commandants de la LRA disent aussi que dès que vous avez mangé de leur nourriture, c’est trop tard, ils retrouveront et tueront les déserteurs car ceux-ci ont déjà avalé de la nourriture fournie par les esprits ». Kony organise aussi des cérémonies traditionnelles « d’initiation » pendant lesquelles le corps des enfants récemment enlevés est enduit d’huile bizarre. Il promet à ses soldats une protection contre les balles des ennemis en les aspergeant d’une « eau magique ».
Malgré cet endoctrinement, des centaines de combattants de la LRA quittent chaque année les rangs rebelles pour retrouver la vie civile. Certains désertent car ils sont attirés par l’amnistie offerte par le gouvernement ougandais aux rebelles qui se rendent. D’autres sont capturés lors des combats entre LRA et l’armée ougandaise. Quelques-uns sont relâchés par des unités de la LRA lorsqu’ils n’avancent pas assez vite, avec beaucoup de chance car le traitement généralement réservé par les rebelles aux plus faibles est d’être massacré face aux autres. Pour tous, le retour à la vie civile est difficile : en plus des traumatismes, ils vivent dans la crainte qu’eux-mêmes ou leurs proches soient retrouvés par la LRA et systématiquement massacrés. Ils craignent aussi d’être rejetés par leurs communautés en raison des nombreuses atrocités commises par les rebelles dont ils ont fait partie.
Des fonds belges pour aider les ex-enfants soldats
Les ex-enfants soldats de la LRA passent généralement plusieurs semaines dans des centres de réhabilitation gérés par des organisations non gouvernementales avant de rentrer dans leurs communautés. Ils y reçoivent des soins médicaux complémentaires à ceux des hôpitaux et un suivi psychologique qui les prépare à leur retour. Une journaliste belge, Els De Temmerman, est à la base de la création d’un tel centre dans la ville de Lira, le centre Rachele, grâce au soutien financier du gouvernement belge. Des centaines d’enfants enlevés par la LRA y retrouvent les sensations de la vie normale. « Lorsque les nouveaux arrivent dans le centre, ils reconnaissent parfois des enfants qui étaient leurs compagnons d’infortune sous la LRA, explique le directeur de Rachele, Daniel Okello. C’est comme une résurrection car souvent, les commandants d’un enfant soldat qui disparaît disent aux autres qu’il a été tué. J’ai ainsi connu une fille de 11 ans bouleversée de retrouver un ancien ami car les rebelles lui avaient montré un cadavre très mutilé en lui disant que c’était celui de son ami ».
Les ex-enfants soldats reçoivent quelques petits cadeaux en arrivant à Rachele (couvertures, vêtements, brosse à dents, …), puis ils participent à une petite cérémonie de bienvenue au cours de laquelle les habits qu’ils portaient sous la LRA sont brûlés. « Nous créons ainsi une séparation entre la vie en captivité et la nouvelle vie dans le centre, qui est le début d’une réintégration dans la communauté, souligne Daniel Okello. Ces vêtements sont généralement sales, déchirés, malodorants, et dans quasi tous les cas, ils ont été volés dans les communautés. Il serait malheureux qu’un habitant reconnaisse ses vêtements et soupçonne l’enfant de les lui avoir volés. Avant de brûler ces habits, nous expliquons bien sûr à l’enfant pourquoi nous le faisons, sans quoi l’enfant pourrait nous en vouloir car dans la brousse, il lui était extrêmement difficile d’obtenir des habits : il fallait faire un raid dans un village pour en voler, risquer sa vie. Aucun enfant ne refuse de brûler les habits qu’il portait sous la LRA ».
Les enfants passent ensuite plusieurs semaines dans le centre. Ils participent à des activités de jeux, de dessins, de danse, à des petits débats sur ce qu’ils ont vécu, etc. Chaque enfant est confié à un conseiller chargé de le suivre plus particulièrement et de mesurer son évolution. Comme la plupart ne sont que très peu ou pas du tout allés à l’école, des cours d’alphabétisation sont donnés, tout comme quelques cours de base pour leur donner une chance de suivre une formation professionnelle ou une nouvelle scolarité. « Parfois, nous les invitons à rencontrer des enfants aveugles ou sourds du district de Lira. Cela les aide à comprendre que différentes personnes passent par différentes difficultés, qu’il y a moyen de s’en sortir malgré ce qu’ils ont vécu à condition de vouloir aller de l’avant ».
Parallèlement au suivi des enfants, les centres préparent le terrain dans les communautés afin que les ex-enfants soldats soient bien accueillis à leur retour. Chaque clan a sa manière de composer avec ce retour, de pardonner les atrocités que l’enfant a pu devoir commettre contre sa volonté, parfois dans sa propre famille. Le plus difficile est de réintégrer dans leurs communautés les filles qui ont eu un enfant suite aux viols subis durant leur captivité : le père de l’enfant est généralement un commandant de la LRA et il peut surgir à tout moment, profitant d’une amnistie ou lors d’une attaque des rebelles. La sécurité de toute une communauté peut se trouver menacée par la réintégration de la fille accompagnée de son enfant, ce qui peut mener à son rejet.
Samuel Grumiau
(1) Autres reportages du dossier:
- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-89.html
- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-90.html
- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-91.html
- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-93.html
- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-94.html
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