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A quand la paix en Ouganda ?

(février 2006)

Reportage publié dans le numéro de février 2006 de « Libertés ! », mensuel d’Amnesty International en Belgique francophone (1)

 

Depuis 1986, 100.000 personnes ont péri dans le conflit qui oppose l’armée ougandaise à l’Armée de libération du Seigneur, un mouvement constitué principalement d’enfants enlevés et contraints à se battre. Si la cruauté des rebelles terrorise la population civile du nord de l’Ouganda, de grandes questions se posent sur la volonté réelle du gouvernement ougandais d’aboutir à la paix.  

 

Les rivalités politiques entre les différentes ethnies de l’Ouganda ainsi qu’entre le nord et le sud du pays sont des constantes depuis son indépendance, obtenue de la Grande-Bretagne en 1962. Des dirigeants issus du nord ou nord-ouest (Milton Obote et Idi Amin Dada) se sont tout d’abord succédé à la tête du pouvoir en usant de méthodes dictatoriales. Lorsque le mouvement de guérilla dirigé par Yoweri Museveni renverse Milton Obote en 1986, il s’agit de la première personne non issue du nord du pays qui accède à la présidence : Museveni, qui est encore à l’heure actuelle président de l’Ouganda, est originaire du sud-ouest. Plusieurs mouvements armés animés par des leaders du nord du pays se sont opposés à Museveni depuis 1986, mais sans parvenir à le menacer réellement. Le dernier d’entre eux est l’Armée de résistance du Seigneur (en anglais Lord’s Resistance Army, LRA), menée par un chef mystique, Joseph Kony.   

 

Dès le début, les rebelles de la LRA se sont distingués par de graves exactions à l’encontre de la population civile du nord de l’Ouganda. 20 ans plus tard, rien n’a changé : la LRA n’a pas dépassé le stade de mouvement de guérilla et elle impose toujours la terreur aux habitants. 80% de ses effectifs se composent de personnes enlevées et contraintes à se battre aux côtés de quelques leaders sous peine d’être massacrées. Une grande partie de ces combattants sont des enfants, certains ont à peine 11 ou 12 ans. Les rebelles ont édicté leurs règles : toute personne qui rapporte leur présence à l’armée ougandaise est torturée à mort ou a les lèvres coupées, parfois percées d’un cadenas pour « punir » la bouche par laquelle les informations ont été transmises. Le paysan qui refuse de leur donner sa récolte ou le rebelle qui déserte est massacré ainsi que sa famille. Durant plusieurs années, Joseph Kony avait également décidé que toute personne circulant à vélo ou moto dans le nord de l’Ouganda aurait un pied ou une main amputé si elle est découverte par les rebelles, car ces moyens de locomotion permettent de prévenir plus rapidement des soldats de l’armée nationale en cas de mouvement de la LRA (ces punitions par l’amputation sont toutefois devenues moins fréquentes ces derniers mois).

 

La LRA a longtemps pu bénéficier du soutien du gouvernement du Soudan, qui accusait de son côté l’Ouganda de soutenir la Sudan People’s Liberation Movement/Army (SPLM/A), une armée rebelle opposée à Khartoum (2). Les soldats de Joseph Kony pouvaient ainsi commettre leurs exactions dans le nord de l’Ouganda et se réfugier ensuite dans leurs bases du Sud Soudan. Un accord a toutefois été conclu entre l’Ouganda et le Soudan en 1999 afin que les deux pays ne soutiennent plus leurs mouvements rebelles réciproques. L’armée ougandaise, l’UPDF (3), a ainsi reçu l’autorisation de Khartoum de pénétrer sur le territoire du Sud Soudan pour y combattre les rebelles de la LRA (une zone que Khartoum ne contrôle pas).

 

                                   Coup de poing dans l’eau

 

L’UPDF a déclenché l’opération « Iron Fist » (« Poing de fer ») en 2002 : 10.000 soldats gouvernementaux ont été déployés dans le sud du Soudan pour éradiquer la LRA. Affaiblis, délogés de leurs bases, les rebelles de Joseph Kony se sont dispersés : une partie est allée se cacher ailleurs au Soudan, accentuant ses pillages contre la population soudanaise et provoquant le déplacement de milliers de familles soudanaises déjà très affectées par le conflit du Sud-Soudan. Une autre s’est repliée sur le nord de l’Ouganda et y a accru ses attaques contres les populations civiles et les unités de l’armée ougandaise. L’opération « Iron Fist » se soldait par un échec. « Nous n’avons pas les moyens de lutter seuls contre une guérilla répartie sur un si grand territoire, reconnaît un porte-parole de l’UPDF basé à Gulu. Et puis, n’oubliez pas que nous avons en face de nous des rebelles qui ne sont généralement que des enfants ou des adolescents. Savez-vous ce que ressent un soldat quand il découvre qu’il a abattu des enfants de 12 ou 13 ans ? ».   

 

Depuis la conclusion de l’accord entre Kampala et Khartoum, la LRA n’a donc plus de base sûre où elle peut se réfugier. Ses unités circulent dans les brousses de la région (Ouganda, Soudan et jusqu’en République démocratique du Congo), elles évitent d’emprunter les routes car celles-ci sont mieux gardées par les soldats gouvernementaux, mais elles continuent à commettre les pires atrocités partout où elles passent. Les motivations de Kony ne sont plus très claires : son rêve demeure le renversement du Président Museveni, mais même ses plus fidèles lieutenants se rendent compte qu’ils ne seront jamais de taille à atteindre cet objectif, surtout depuis la fin (sur papier en tout cas) du soutien soudanais. Afin de séduire la majorité chrétienne de la population ougandaise, Kony a souvent affirmé que la LRA avait pour but la création d’un Etat basé sur les dix commandements de la Bible, mais il n’a jamais été crédible à ce sujet vu que ses rebelles n’ont cessé de violer massivement ces commandements. La motivation profonde de Kony est peut-être finalement la fuite en avant : il sait que lui-même ne bénéficiera sans doute pas de l’amnistie offerte par le gouvernement ougandais aux rebelles qui déposent les armes. Il sait aussi que la Cour pénale internationale l’a inculpé, lui et quatre autres dirigeants de la LRA, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.   

 

Beaucoup d’observateurs se demandent s’il existe une véritable volonté politique du gouvernement ougandais de mettre un terme au conflit dans le nord du pays. Le président Museveni n’a cessé de privilégier la piste militaire pour résoudre la question, sans jamais parvenir à se rendre maître de la situation. Les quelques tentatives de dialogue entre le gouvernement ougandais et la LRA ont toujours échoué, en partie à cause des combats qui se poursuivaient durant les discussions censées amener la paix. L’amnistie proposée aux rebelles qui se rendent à l’armée gouvernementale n’a séduit qu’une petite minorité des combattants de la LRA, en raison notamment des répressions impitoyables du mouvement rebelle à l’encontre des déserteurs et de leurs proches.

 

                                   A qui profite cette guerre ?

 

Le gouvernement ougandais ne ressent pas de grande pression en faveur d’un règlement rapide du conflit de la part des habitants du sud du pays, et notamment de la capitale, Kampala, car le conflit est localisé dans les régions du nord. « Il est facile d’ignorer cette guerre car elle a lieu loin, dans des endroits qui ne soutiennent pas beaucoup Museveni. Cela ne dérange pas vraiment le sud, où tout continue comme s’il n’y avait pas de guerre dans ce pays », remarque Paul Omach, maître de conférences à la faculté de sciences sociales de l’Université Makerere (Kampala). La guerre est par contre un prétexte tout trouvé pour justifier l’incapacité du gouvernement ougandais à sortir son peuple de la misère. D’autre part, selon de nombreux analystes, certains hauts gradés de l’armée ougandaise n’auraient pas intérêt à voir cette guerre s’arrêter car elle leur permet de détourner à leur profit une partie des gros budgets alloués par le gouvernement à la lutte contre la LRA. Des soldats ougandais stationnés dans le nord ne reçoivent pas toujours leurs paies en raison de ces détournements, ils s’en prennent dès lors aux populations civiles pour compenser ces pertes.  

 

La grande victime de ce conflit vieux de 20 ans est la population du nord de l’Ouganda, tiraillée entre deux feux: d’un côté, les rebelles sont des ennemis cruels qui les terrorisent sans merci, mais de l’autre, 80% des combattants de la LRA ont été enrôlés de force suite aux enlèvements, ce sont des gens de la région, parfois de la même famille. « Si je suis le parent d’un enfant qui a été enlevé et endoctriné pour être combattant de la LRA, je ne soutiens pas les activités des rebelles, mais il peut m’arriver d’en être un sympathisant ponctuel : si mon enfant me rend visite, je lui dirai de faire attention à telle ou telle route, de ne pas aller ici ou là car il y a des soldats de l’armée ougandaise. La LRA peut recueillir de précieuses informations par ce biais, explique Philip Lutara, coordinateur de l’ONG « Concerned Parents Association » (4) pour le district de Gulu, au nord de l’Ouganda. Des espions de la LRA sont également intégrés à la population, ils soutiennent les rebelles en échange de sommes d’argent ou pour des raisons politiques ».

 

L’immense majorité de la population du nord de l’Ouganda n’a cependant qu’un seul espoir : la paix, une paix qui lui permettrait de quitter les camps de personnes déplacées où elle s’entasse et de reconstruire une vie « normale ». Rien n’indique que ce sera pour bientôt.       

 

                                                                                 Samuel Grumiau

 

 

 

(1) Autres reportages de ce dossier : 

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-90.html

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-91.html

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-92.html

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-93.html

- http://www.sampress.org/base/frFR/affiche_art/articles-94.html

 

(2)   Capitale du Soudan

(3)   Uganda People's Defense Force (Force de défense du peuple ougandais)

(4)   Une ONG formée par des parents d’enfants enlevés par la LRA, son but est de soutenir la population du nord et de promouvoir la paix (site : http://cpauganda.8m.net/about.html)

 

ENCADRE :

 

                           Mobutu, Mugabe, Museveni : même combat ?

 

Des élections présidentielles devraient se tenir le mois prochain en Ouganda. Vingt ans après son arrivée au pouvoir, le président Museveni ne recule devant rien pour s’assurer la victoire. Il s’attelle depuis quelques mois à contrôler l’information, par exemple en engageant des poursuites judiciaires contre les journalistes qui critiquent ouvertement ses méthodes ou en menaçant de fermeture les médias qui contiennent des publicités pour l’opposition. Le chef de cette opposition, Kiiza Besigye, a quant à lui été emprisonné le 14 novembre 2005 sous  des accusations de trahison et de viol, puis relâché sous caution début 2006.

 

Les violations des droits humains commises par le gouvernement de Museveni lui ont valu une suspension de l’aide de la part de plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l’ancienne puissance colonisatrice de l’Ouganda. Museveni, perçu en Occident au début des années 90 comme l’incarnation du nouveau type de président africain, donne maintenant la piètre image du despote à la recherche du pouvoir à vie.

                                                                                                     S.G.

                                                                                                                                                      

 

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